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souvent embarrassés sur le choix d'une localité convenable pour l'exercice de leur art.

Extrait de l'Annuaire médical pour 1853, du Dr F. Roubaud.

I.

DES ALIÉNÉS EN FRANCE

Depuis la fin du siècle dernier.

HISTORIQUE DU SERVICE DES ALIENÉS DEPUIS LA FIN DU
SIÈCLE DERNIER.

La loi du 30 juin 1838 a marqué la date d'une ère nouvelle pour les aliénés en France. La législation antérieure à la révolution est muette en ce qui concerne ces infortunés. Alors qu'on voit, dans les siècles précédents, la charité publique ouvrir des asiles à toutes les misères, il ne s'en élève aucun pour la plus affligeante des infirmités humaines. A peine y a-t-il cinquante ans que ces malheureux erraient encore dans les villes et dans les campagnes, tristes objets d'une cruelle dérision, jusqu'au moment où les prisons s'ouvraient pour préserver la population de leurs emportements ou pour les soustraire eux-mêmes aux empressements d'une curiosité brutale. La loi du 16-24 août 1790, la première qui se soit occupée des aliénés en France, se borne à confier aux administrations municipales « le soin d'obvier ou de remédier aux accidents fà» cheux qui pourraient être occasionnés par les insensés » ou furieux laissés en liberté. » — -L'article 15 de la loi du 19-22 juillet 1791 établit des peines contre « ceux qui lais» seraient divaguer des insensés ou furieux. )) La loi de

vendémiaire an 11 (ar. 7, titre III) ordonna que les insensés enfermés dans les dépôts de mendicité aux frais de la nation fussent transférés dans les maisons de répression. Ils y étaient confondus avec les mendiants, les vagabonds et les repris de justice. Lorsque les dépôts de mendicité cessèrent d'exister, les aliénés furent reçus dans les prisons, dans les hôpitaux et hospices, et dans quelques établissements spéciaux. La législation n'avait presque rien réglé quant aux moyens de police à employer à l'égard des

aliénés, ct absolument rien quant aux moyens financiers qui devaient pourvoir aux frais de leur traitement..

La loi du 30 juin 1838 a eu pour objet de combler ces lacunes. Elle a été présentée comme une loi de police et de sûreté à l'égard de tous les citoyens, une loi de bienfaisance et de tutelle à l'égard des aliénés, une loi de charité publique à l'égard de ceux de ces infortunés que leur position et celle de leur famille laisserait sans ressource.

En 1791, d'après le rapport fait à l'assemblée nationale, au nom de son comité de mendicité, par La RochefoucauldLiancourt, les aliénés du département de Paris étaient

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Le rapport fait remarquer que les 2/5 au moins de ces malades, ou environ 532, étaient étrangers au département de la Seine. - Restaient donc, comme aliénés du département, à peu près 800 malades.

Sur ces 1,331 malades, on en comptait, dans les établissements qui font partie de l'administration, savoir :

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Si l'on en retranche les épileptiques, qui, selon l'ob-
servation du rapporteur, étaient plutôt des incura-
bles et des infirmes, au nombre de..

il restera..

...

......

322

641

dont les deux cinquièmes, étrangers au département, 256

réduisent le chiffre des aliénés de la Seine à.....

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395

Avant la révolution, les fous incurables étaient placés à Bicêtre, à la Salpêtrière et aux Petites-Maisons (1) (aujourd'hui l'hospice des Ménages). Les curables n'étaient admis et traités qu'à l'Hôtel-Dieu. Deux salles leur étaient destinées dans cet hôpital: la salle Saint-Louis pour les hommes et la salle Sainte-Geneviève pour les femmes. La première, située au premier étage et contigué à celle des blessés, renfermait dix lits à quatre places et deux petits; la seconde, au deuxième étage, voisine de celle des fiévreuses, dont elle n'était séparée que par une cloison, contenait six grands lits et huit petits. Il y avait donc en tout 74 places, qui n'étaient pas toutes occupées par des aliénés. Quelques-unes étaient consacrées aux hydrophobes, qui se trouvaient ainsi au milieu des insensés (2). Quatre aliénés, hommes ou femmes étaient donc couchés daus le même lit ! Il suffit de rappeler ce fait pour qu'on puisse se faire une idée de ce que devait être le traitement de l'aliénation à cette époque, et de tout ce que de pareilles dispositions devaient présenter d'inconvénients pour les blessés et les fiévreux des salles voisines. Encore si les pauvres aliénés avaient reçu des soins appropriés à leur état! Mais malheureusement il n'en était pas ainsi. Nous trouvons dans un mémoire manuscrit, rédigé en 1756 par les médecins de l'Hôtel-Dieu, le passage suivant : « Quoi» que la salle de Saint-Louis et celle de Saint-Martin » soient, pendant tout le cours de l'année, remplies de » personnes qui ont l'esprit aliéné, on voit cependant tous » les jours les hommes et les femmes, destinés au service

(1) On n'était admis aux Petites-Maisons qu'en produisant un certificat d'incurabilité, et moyennant le payement d'une pension qui était d'abord de 300 fr. ou de 400 fr. (selon que la famille était ou non chargée de l'entretien), el qui, en 1795, fut portée à 400 fr. dans le premier cas, à 500 fr. dans le second. Le nombre des malades était d'environ cinquante.

Rapport de M. de Pastoret au conseil général des Hospice, p. 177.)

(2) «N'est-ce pas encore contre les principes de l'art qu'on a placé dans cette maison, avec les fous, les personnes mordues par des chiens enragés? On met ces malades, qui ont horreur de l'eau, précisément dans un endroit où ils ont l'eau sous les yeux, ou sans cesse ils en entendent le bruit et en ont l'imagination frappée...... (Mémoires de Tenon, p. 216.)

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» de ces salles, se conduire comme s'ils n'étaient pas ac» coutumés à ces sortes de maladies on s'attroupe autour » des insensés, on s'occupe de leur folie, on rit de leurs extravagances; d'autres fois on s'amuse à les obstiner, à » les contrarier, à les mettre en colère, surtout à la salle » des femmes. Rien n'est plus contraire à la guérison de » ces malades d'esprit, et rien ne retarde davantage le » succès des remèdes. Il serait très à propos que mesdames » les religieuses en imposassent (sic) à leurs domestiques » ou les choisissent capables de se conduire vis-à-vis de » ces malades d'une facon convenable. »

Tenon, dans les excellents mémoires qu'il a publiés sur les hôpitaux de Paris, écrivait en 1786 : « Comment a-t-on » pu espérer qu'on pourrait traiter des aliénés dans des lits » où l'on couche trois ou quatre furieux qui se pressent, s'agitent, se battent, qu'on garrotte, qu'on contrarie, dans » des salles infiniment resserrées, à quatre rangs de lits, » où, par un malheur inconcevable, on rencontre une che» minée qui n'éteint jamais, uh fourneau pour chauffer les >> bains, etc. »

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La Rochefoucauld-Liancourt, frappé des mêmes inconvénients, les signalait à l'assemblée constituante de la manière la plus énergique, en 1791. « Deux hôpitaux destinés » à la guérison de la folie, disait-il, semblent nécessaires » à établir dans cette capitale. Ce genre de maladie n'est » aujourd'hui traité qu'à l'Hôtel-Dieu. Le traitement, con» fié souvent aux sœurs de l'hôpital, est à peu près com>> mun pour toutes les espèces de cette maladie, pour la-

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quelle le silence et la tranquillité sont généralement re» connus nécessaires. La France est bien reculée, pour ce » genre de traitement, de tous les royaumes voisins, et particulièrement de l'Angleterre. Cette maladie, la plus affligeante, la plus humiliante pour l'humanité, celle » dont la guérison offre au cœur et à l'esprit une plus en» tière satisfaction, n'a pas excité encore en France l'at» tention pratique des médecins. Un grand nombre d'ou» vrages, très-savants sans doute, ont été publiés sur cet » intéressant objet; mais aucun bien, aucun soulagement » n'est résulté encore de leur doctrine pour cette classe infortunée, malheureusement trop nombreuse. La propor

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» tion des guérisons n'en est pas augmentée; l'expérience » prouve cependant, dans les nations voisines, qu'un grand nombre de fous peut être rendu à l'usage de la >> raison par des traitements appropriés, par un régime >> convenable et même seulement par des soins doux, at»tentifs et consolants; tandis que la dureté avec laquelle » ils ne sont que trop souvent traités en France les rend » incurables et malheureux. La grande instruction des » médecins français rendra leurs soins, pour le traitement » de cette maladie, aussi utiles que ceux des médecins an» glais, quand les traitements donnés dans des maisons » tout à fait appropriées aux soins qu'ils exigent seront » plus multipliés.»

Voilà donc quelle était la situation des aliénés réputés curables à l'Hôtel-Dieu jusqu'en 1791. Loin qu'aucune disposition favorable à leur état eût été adoptée, on avait pris toutes celles qui leur étaient contraires. Des salles étroites, à plusieurs rangs de lits, et dans le même lit plusieurs insensés à la fois. Aucun moyen pour eux de sortir de l'enceinte où ils étaient resserrés, de faire mème le moindre exercice: la salle qui les renfermait était le seul local commun à tous. La plupart méme ne pouvaient quitter leur lit on les y attachait. Point de loges, point de promenoirs. Les autres malades entendaient leurs cris ; ils étaient sans cesse troublés, agités, affligés, effrayés par

eux.

A Bicêtre et à la Salpêtrière, où les aliénés incurables étaient enfermés suivant leur sexe, voici l'état dans lequel ils se trouvaient au moment de la révolution : Les loges de Bicêtre remontaient à plus d'un siècle; elles avaient été construites à l'époque où il y avait des cabanons, et où l'on mettait, dit Camus, « peu de différence entre la » manière de garder un insensé et celle de garder un scé» lérat (1). » Celles, dites de la Chapelle étaient les plus insalubres de toutes. Adossées à la terrasse du bâtiment des imbéciles, l'eau ruisselait sans cesse sur les murs. A la Salpêtrière, il y en avait qu'on appelait les basses-loges,

(1) Rapport au conseil général des Hospices, par Camus. (Fructidor an XI, p. 82.)

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