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Les faits principaux du mouvement de la population en 1850 ne peuvent être convenablement appréciés que si nous les comparons aux résultats constatés dans quelquesunes des années précédentes. Le tableau suivant fournit les éléments de cette comparaison.

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Le fait le plus remarquable que le rapprochement de ces cinq années mette en lumière, c'est la diminution considérable des décès en 1850, à la fois par rapport à 1849 et à la moyenne de la période 1846-50. En 1850, année du choléra, les décès s'étaient élevés à 982,008, soit une augmentation de 138,114 ou de 16 p. 0/0 par rapport à la moyenne des trois années antérieures, qui n'avait été que de 843,894. En 1850, le chiffre des décès descend à 774,410, soit une diminution de 26 p. 010 ou de plus du quart. C'est une nouvelle confirmation de cette loi observée pour la première fois par Süssmilch (die Gottliche Ordnung, 1774), vérifiée plus tard par Montesquieu (Esprit des lois) et définitivement constatée par les recherches modernes, que les pertes d'une population par suite d'un fléau quelconque se réparent le plus souvent dès l'année suivante, tantôt par un accroissement considérable des naissances, tantôt par une diminution notable des décès.

On voit, en effet, le mème phénomène se produire à la suite de l'épidémie cholérique de 1832. La moyenne des décès, pour la période quinquennale antérieure, avait été de 808,863. En 1832, ce chiffre s'élève à 933,733; soit une augmentation de 125,000 ou de 15 p. 0/0 (à peu près la même proportion qu'en 1849). En 1833, il descend à 812,548; soit une diminution de 121,185 ou de près de 15 p. 0/0. Toutefois ce chiffre est encore légèrement supérieur

à la moyenne des cinq années antérieures à 1832, et nous allons voir qu'à la différence de 1849, c'est moins, cette fois, par la diminution des décès que par l'augmentation des naissances que les pertes de la population se réparent. En 1850, les naissances ont été de 961,377; c'est assez exactement la moyenne des quatre années précédentes. En 1833, au contraire, les naissances, de 938,186 dans la période quinquennale précédente, s'élèvent à 969,983, soit une augmentation de 32,000 ou de 3, 4 p. 0/0.

Si, dans les années 1833 et 1850, les pertes de la population ne sont pas également réparées par un accroissement des naissances; elles offrent toutes deux le phénomène d'une augmentation considérable des mariages. En effet les mariages s'élèvent, en 1832, de 254,254, chiffre moyen des cinq années antérieures, à 264,061, et en 1850, de 273,025, moyenne des quatre années antérieures, à 297,583. Dans le premier cas, c'est une augmentation de 3, 9 p. 0/0; dans le second de 9 p. 0/0.

L'abaissement du chiffre des décès après les épidémies peut s'expliquer par ce fait, qu'elles attaquent généralement et tout d'abord les organisations débiles ou affaiblies par l'âge, les maladies ou les excès; d'où résulte nécessairement une diminution de la mortalité dans les années subséquentes. Quant à l'accroissement des mariages, il trouve probablement sa cause dans le nombre considérable des veufs ou veuves qui convolent en secondes noces, et des jeunes filles orphelines obligées de bonne heure de demander à un époux l'appui, la protection dont la mort de leurs parents les a privées.

Nous trouvons encore dans le mouvement de la population de 1847 (année d'extrême cherté), et de 1848, une nouvelle application de la loi des compensations rapides. En 1847, sous l'influence des privations rigoureuses imposées aux classes ouvrières, le chiffre des décès s'élève, de 831,498 en 1846, à 856,026; soit une augmentation de près de 3 p. 0/0, et le nombre des mariages tombe, de 270,633 en 1846, à 249,797, soit une diminution de plus de 8 p. 0/0. En 1818, les décès redescendent seulement au chiffre noyen ordinaire; mais les mariages augmentent de plus de 17 p. 0/0, et les naissances de 3 p. 0/0.

Le même fait se produit en Angleterre, quoique d'une manière moins sensible, dans les deux mêmes années. En 1847, le nombre des mariages, qui s'était progressivement accru de 1842 à 1846, année dans laquelle il avait atteint le chiffre de 145,664, tombe, en 1847, sous l'influence des mêmes circonstances, à 135,845, soit 7 p. 0/0 en moins. En même temps la mortalité moyenne s'élève de 358,516, chiffre moyen de la période de 1842-46, à 423,304, soit une augmentation de 18 p. 0/0. L'année suivante, bien que le choléra ait commencé à sévir dès le mois d'octobre et que l'émigration ait pris des proportions considérables, les moyennes des cinq années antérieures à 1847 sont dépassées, pour les mariages, de près de 3 p. 0/0 ; pour les naissances, de 5 p. 0/0.

Mais c'est en 1850 que se manifeste avec une évidence irrésistible, en Angleterre, l'action réparatrice de la nature. Dans les trois années antérieures le nombre moyen des mariages avait été de 138,238. Il s'est élevé, en 1850, à 152,738; soit une augmentation de 10,4 p. 0/0. Le nombre moyen des naissances s'est élevé, de 577,085, nombre moyen des années 1847-49, à 593,432: accroissement 2,8 p. 0/0. Enfin (et c'est le phénomène le plus caractéristique), les décès sont descendus de 421,941, dans la même période, à 368,986 (14, 3 p. 0/0 de diminution), et l'excédant des naissances sur les décès a été de 224,446, chiffre supérieur de 85,634 ou de près de 62 p. 0/0 à celui des trois années précédentes.

Et cet accroissement inusité de population a eu lieu malgré une émigration de 280,849 individus !... Que l'on s'étonne maintenant que la race anglaise envahisse si promptement le monde entier!

Le tableau comparatif que nous examinons donne lieu à d'autres observations. Il confirme notamment celle que nous avions déjà faite (Journ. des Écon., 1847, numéros 4 et 6) de la diminution progressive des naissances malgré l'accroissement des mariages. De 1824 à 1845, le nombre moyen des naissances avait été de 1 sur 34,33 habitants. Dans la période 1846-50, cette moyenne est descendue à 1 sur 36,4. C'est une nouvelle preuve de l'esprit d'ordre et de prévision qui règne dans les familles et en proportionne le développement aux moyens d'existence.

Le rapport des décès à la population, qui, de 1824 à 1843, n'avait pas dépassé en moyenne 1 sur 40 habitants, est descendu, dans la période 1844-50 (déduction faite de l'année 1849) à 1 sur 43. Ainsi se continue dans nos populations, malgré l'influence fàcheuse des crises politiques, le mouvement d'amélioration matérielle constaté depuis le commencement de ce siècle.

Le même tableau met encore en lumière un fait important c'est la différence dans les termes qui expriment l'accroissement de la population, selon que cet accroissement est constaté par l'excédant des naissances sur les décès, ou par les dénombrements. D'après l'excédant des naissances, le terme d'accroissement, de 1846 à 1850, est de 0,283 p. 0/0 par an, ou, déduction faite de l'année 1849, de 0,345; et, d'après le dénombrement de 1851, de 0,215 seulement. Cette différence, dans un pays où l'émigration est insignifiante, ne saurait provenir que d'inexactitudes dans nos recensements. On constate le résultat contraire en Angleterre. La proportion d'accroissement par l'excédant des naissances, qui, pour la période 1845-49, n'a été que de 0,93 par an, est de 1,26 p. 0/0 d'après le dénombrement de 1851. L'importance de cet écart entre les deux chiffres ne peut s'expliquer que par les immigrations irlandaises. Remarquons, en passant, combien l'accroissement de la population est plus rapide en Angleterre, malgré le mouvement extraordinaire des émigrations, que dans notre pays. En prenant le terme de comparaison le plus favorable pour la France, c'est-à-dire l'excédant des naissances sur les décès, on trouve que, tandis que l'accroissement de la population anglaise est de 0,93 p. 0/0 par an, il n'est que de 0,283 en France. En d'autres termes, pour une période de dix années, la population anglaise s'augmente de 9 individus sur 100, et la population française seulement de 3. La différence serait bien plus forte encore, si l'on prenait les recensements dans ces deux pays pour termes de comparaison. Toutefois on serait tenté de croire que cet avantage, qui est essentiellement relatif, est à la veille peut-être d'échapper à l'Angleterre, par suite des proportions énormes qu'y prend l'émigration. Ainsi, aux termes d'un document officiel, l'excédant des naissances sur les décès, dans le trimestre finissant au 30 septembre dernier, a été de 50,696; mais le

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chiffre de l'émigration s'est élevé à 109,136, ce qui constituerait une diminution de population effective de 58,540 habitants, si cette émigration n'était compensée, mais dans une mesure qui paraît s'affaiblir chaque jour, par les immigrations irlandaises. Il ne faut pas perdre de vue d'ailleurs, dans ce rapprochement des deux pays, que la population anglaise ne s'accroit pas moins par la prolongation de la vie moyenne que par l'excédant des naissances, le rapport des décès à la population étant de 1 sur 44 habitants environ, tandis qu'en France il a été, dans la période normale 1846-48, de 1 sur 42,20 seulement. Le tableau complémentaire suivant nous a paru pouvoir être consulté utilement.

Rapport des naissances

aux naissances totales. Rapport des sexes dans les naissances totales. Rapport des sexo: duis

les naissances légitimes Rapport des sexes dans les naissances naturelles. Rapport des sexes dans les mort-nés. Rapport des

légitimes

1846 1847 1848 1849 1850

92,92 92,85 92,85 92,96 92.70 garçons. 51,32 51,17 51.37 51,40 51,36 filles. 48,68 48,83 48,63 48,60 48.64

çons. 51, 51.21 51.37 51.40 51.43 filles. 48.64 48,79 48.63 48,60 48,57 garçons. 50,89 50.72 51,37 51.33 50,47 filles. 49.11 49,28 48,63 48.67 49,53 garçons. 59,00 58,74 56,47 57 36 58,25 filles. 41,00 41.26 43,53 42 61 41,75 mort-nés aux naiss. 3,03 3,02 3,14 3,15 3,17 Rapport des sexes dans ƒ masculins. 50,1 50,12 50.05 50.11 50,17 les décès. féminins. 49,90 49,88 49,95 49.89 49,83 Rapport des décès à la population. 42.57 41,44 42,59 36,90 46,11

Les renseignements suivants résultent de ce tableau : 1o Les naissances légitimes sont aux naturelles dans la proportion moyenne de 92,86 p. 0/0. Cette proportion ne subit depuis plusieurs années que des oscillations insignifiantes. 2o Dans les naissances naturelles, la part du sexe féminin est plus forte que dans les naissances légitimes dans le rapport de 49,06 à 48,64 p. 0/0. 3o Cette différence est beaucoup plus sensible en sens contraire dans les mort-nés, où la part du sexe féminin n'est que de 42,04 p. 0/0. 4o Le rapport des mort-nés aux naissances s'accroît dans une proportion assez régulière de 1847 à 1850. Cet accroissement est probablement dû aux révolutions politiques, aux émotions violentes, aux angoisses, aux privations qui en sont le fruit. 5o Le rapport des sexes, dans les décès, ne varie pas; mais le rapport des décès à la popu

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