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laquelle on peut bientôt opposer la preuve du contraire, et qui n'est pas de cette classe de présomptions que les jurisconsultes appellent præsumptiones juris et de jure, et qui sont concluantes contre la partie.

Mais quelque déraisonnable et injuste que soit cette maxime, elle a été incorporée au code de prises de certaines nations, et appliquée par eux à différentes époques. Ainsi par les ordonnances françaises de 1538, 1543 et 1584, les biens d'une nation amie chargés à bord des vaisseaux de l'ennemi sont déclarés bonne et loyale prise. Le contraire a été établi par la déclaration ultérieure de 1650; mais par l'ordonnance sur la marine de Louis XIV, de 1681, la première règle fut remise en vigueur. Valin et Pothier ne peuvent trouver de meilleur argument à l'appui de cette règle, que de dire que ceux qui ont chargé leurs biens à bord des vaisseaux de l'ennemi favorisent par là le commerce de l'ennemi, et par cet acte sont considérés en droit comme se soumettant à suivre le sort du vaisseau; et Valin demande «comment il se peut faire que les biens d'amis et d'alliés trouvés sur les vaisseaux de l'ennemi ne soient pas exposés à confiscation, quand ceux mêmes des sujets le sont.» A quoi Pothier lui-même fournit la réponse propre qu'à l'égard des biens appartenant aux sujets du roi, en les chargeant à bord des vaisseaux de l'ennemi, les sujets contreviennent aux lois qui leur interdisent tout rapport commercial avec l'ennemi, et pour cette violation des lois ils méritent de perdre leurs biens 1.

La fausseté de l'argument par lequel on essaie de soutenir cette règle, consiste à prétendre, ce qu'il faudrait prouver, que par l'acte de charger ses biens à bord du vaisseau de l'ennemi, le neutre se soumet à suivre le sort du vaisseau. On ne peut pas dire, en effet, que les biens

1 VALIN, Comment. sur l'ordon. de la mar., liv. III, tit. Ix; Des prises, art. 7. POTHIER, Traite de la propriété, no 96.

soient sujets à capture et à confiscation ex re, puisque leur caractère de propriété neutre les exempte de ce danger. On ne peut pas non plus montrer qu'ils soient ainsi exposés ex delicto, à moins qu'il ne soit d'abord prouvé que l'acte de les charger à bord est un délit contre le droit des gens. C'est donc avec raison que Bynkershoek conclut que cette règle, quand elle est seulement établie par les ordonnances sur les prises d'une puissance belligérante, ne peut être défendue sur des principes sains. Quand elle repose sur une convention spéciale, équivalant à la maxime réciproque, que les vaisseaux libres font les marchandises libres, ce relâchement des prétentions de la guerre peut très-bien s'accorder avec la concession correspondante, par le neutre, que les vaisseaux ennemis font les marchandises ennemies. Ces deux maximes ont en fait été ordinairement accouplées dans les divers traités à ce sujet, en vue de simplifier les enquêtes judiciaires sur les intérêts de propriété du vaisseau et de la cargaison, en les réduisant à la simple question de nationalité du vaisseau. Les deux maximes ne sont cependant pas inséparables. la connexion La loi primitive, indépendamment de la convention intermaximes: nationale, repose sur le simple principe que la guerre

§ 22. Inutilité de

des deux

Les

vaisseaux

libres, donne le droit de capturer les biens de l'ennemi, mais

font les mar

chandises qu'elle ne donne pas le droit de capturer les biens d'un

libres,

et les ami. Le droit de capturer la propriété de l'ennemi n'a

vaisseaux

ennemis, d'autre limite que celle de l'endroit où les biens ont été

les mar

chandises

ennemies. trouvés, lequel endroit, s'il est neutre, les protégera de la capture. Nous avons déjà vu qu'un vaisseau neutre en pleine mer n'est pas un endroit neutre. L'exemption de la propriété neutre de la capture n'a pas d'autres exceptions que celles résultant d'un commerce de contrebande, d'une violation de blocus, et autres cas analogues où la conduite du neutre donne au belligérant le droit de traiter sa propriété en propriété ennemie. Le pavillon neutre ne constitue pas de protection pour la propriété de l'ennemi,

et le pavillon belligérant ne communique pas de caractère hostile à la propriété neutre. Les États ont changé ce principe simple et naturel du droit des gens par une convention mutuelle, en tout ou en partie, selon qu'ils l'ont jugé de leur intérêt. Mais la maxime que les vaisseaux libres font les marchandises libres, n'implique pas nécessairement la proposition reciproque que les vaisseaux ennemis font les marchandises ennemies. La stipulation que les bâtiments neutres feront les biens neutres est une concession faite par le belligérant au neutre, et donne au pavillon neutre une capacité que ne lui donnait pas le droit des gens primitif. D'un autre côté, la stipulation qui assujettit la propriété neutre trouvée dans le vaisseau de l'ennemi à confiscation comme prise de guerre, est une concession faite par le neutre au belligérant, et enlève au neutre un privilége qu'il possédait d'après le droit des gens existant; mais ni la raison, ni l'usage ne rendent les deux concessions tellement indissolubles, qu'elles ne puissent exister l'une sans l'autre.

Ce fut sur ce fondement que la cour suprême des États-Unis décida que le traité de 1795, entre eux et l'Espagne, qui stipulait que les vaisseaux libres feraient les biens libres, n'impliquait pas nécessairement la proposition réciproque que les vaisseaux ennemis feraient les biens ennemis, le traité gardant le silence sur ce dernier cas; et que par conséquent les biens d'un sujet espagnol trouvés à bord d'un vaisseau d'un ennemi des États-Unis n'étaient pas susceptibles de confiscation comme prise de guerre. Et quoiqu'il fût allégué que la loi de prises de l'Espagne soumettait à la condamnation la propriété des citoyens américains trouvée à bord des vaisseaux de son ennemi, la cour refusa de condamner, sur le principe de réciprocité, la propriété espagnole trouvée à bord d'un vaisseau ennemi; parce que le gouvernement américain n'avait pas manifesté sa volonté de rendre la pareille à

§ 23. Loi conven

tionnelle

maxime:

Vaisseau libre fait marchandises libres.

l'Espagne; et jusqu'à ce que cette volonté fût manifestée par quelque acte législatif, la cour était liée par le droit des gens général formant partie du droit du pays1.

Le droit conventionnel à l'égard de la règle dont nous relative à la nous occupons en ce moment a varié à différentes époques, selon les fluctuations de la politique et des intérêts des différents États maritimes de l'Europe. Il a été bien plus flexible que le droit coutumier; mais il y a une grande prépondérance dans les traités modernes en faveur de la maxime vaisseaux libres, marchandises libres, jointe quelquefois, mais pas toujours, à la maxime vaisseaux ennemis, biens ennemis. De sorte qu'on peut dire que depuis deux siècles il y a eu une constante tendance à établir par traité le principe que la neutralité du vaisseau exemptait la cargaison, même propriété de l'ennemi, de la capture et de la confiscation comme prise de guerre. La capitulation accordée par la Porte ottomane à Henri IV de France, en 1604, a été regardée communément comme présentant le premier exemple d'un relâchement à la règle primitive du droit des gens maritime, telle que la reconnaissait le Consolato del mare, par lequel les biens d'un ennemi trouvés à bord de vaisseaux amis étaient exposés à la capture et la confiscation comme prise de guerre. Mais un examen plus approfondi de cet acte montrera que ce n'était pas une convention réciproque entre la France et la Turquie, devant établir la maxime plus libérale de vaisseaux libres, biens libres; mais que c'était une concession gratuite, de la part du sultan, d'un privilége spécial par lequel les biens des sujets français chargés à bord des vaisseaux de ses ennemis, et les biens de ses ennemis chargés à bord des vaisseaux français, étaient les uns et les autres exempts de la capture par les croiseurs turcs. La capitulation déclare expressément, art. 10:

1 CRANCH'S Reports, vol. IX, p. 388. The Nereide.

<< Parce que des sujets de la France naviguent sur vaisseaux appartenants à nos ennemis, et les chargent de leurs marchandises, et étant rencontrés, ils sont faits le plus souvent esclaves, et leurs marchandises prises; pour cette cause nous commandons et voulons qu'à l'avenir, ils ne puissent être pris sous ce prétexte, ni leurs facultés confisquées, à moins qu'ils ne soient trouvés sur vaisseaux en course, etc.,» Art. 12. «Que les marchandises qui seront chargées sur vaisseaux français appartenantes aux ennemis de notre Porte, ne puissent être prises sous couleur qu'elles sont de nosdits ennemis, puisque ainsi est notre vouloir 1. »

Ce fut de bonne heure un objet d'intérêt pour la Hollande, grand pays de commerce et de navigation, dont la politique permanente était essentiellement pacifique, d'obtenir un relâchement aux règles sévères observées antérieurement dans l'état de guerre maritime. Les États Généraux des Provinces - Unies s'étant plaints des mesures de l'ordonnance française d'Henri II, en 1538, un traité de commerce fut conclu entre la France et la république en 1646, par lequel l'effet de l'ordonnance fut suspendu en tant qu'elle regardait la capture et la confiscation des vaisseaux neutres portant la propriété d'un ennemi. Mais il fut impossible d'obtenir aucun relâche

1 FLASSAN, Histoire de la diplomatie française, t. II, p. 226. M. Flassan remarque: «C'est à tort qu'on a donné à ces capitulations le nom de traité, lequel suppose deux parties contractantes stipulant sur leurs intérêts; ici on ne trouve que des concessions de priviléges et des exemptions de pure libéralité faites par la Porte à la France.>> Dans la première édition anglaise de cet ouvrage, et dans une autre publiée plus récemment sous le titre d'Histoire du droit des gens, l'auteur avait été, en suivant l'autorité d'Azuni et d'autres compilateurs, conduit à la conclusion erronée que la capitulation ci-dessus devait changer le droit primitif observé par les nations maritimes de la Méditerranée depuis les temps les plus reculés, et substituer une règle plus libérale à celle du Consolato del mare que les Turcs avaient dû nécessairement ignorer, et que le roi de France n'avait pas stipulé relâcher en leur faveur, quand les biens de ses ennemis seraient trouvés à bord des vaisseaux turcs.

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