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direct du voyage n'était pas de soutenir les hostilités anglaises contre les États-Unis. C'était donner indirectement à l'ennemi le pouvoir d'opérer contre eux avec plus de vigueur et de promptitude, et augmenter sa force disponible. Mais ce n'était pas de l'effet de la transaction particulière que s'occupait la loi: c'était de la tendance générale de pareilles transactions à aider les opérations militaires de l'ennemi et à tenter de dévier de la stricte neutralité. La destination à un port neutre ne pouvait changer l'application de cette règle. Elle faisait seulement indirectement ce qui était directement prohibé. Pourrait-on soutenir qu'un neutre pût loyalement transporter des provisions à la flotte anglaise, tandis qu'elle serait rassemblée à Bordeaux et préparerait une expédition contre les États-Unis ? Pourrait-on soutenir qu'il pût loyalement approvisionner une flotte anglaise en station sur les côtes de l'Amérique? On avait essayé de distinguer ce cas des cas ordinaires d'emploi comme bâtiment de transport de l'ennemi, sous prétexte que la guerre de la Grande-Bretagne contre la France était une guerre distincte de celle contre les États-Unis, et que les sujets suédois avaient parfaitement droit d'assister les Anglais contre la France, quoiqu'ils ne l'eussent pas contre les États-Unis. Mais la cour soutint que quel que fût le droit du roi de Suède d'agir de sa propre autorité, les vaisseaux suédois qui s'engageaient au service réel de la Grande-Bretagne, ou transportaient un matériel exclusivement à l'usage des armées anglaises, devaient à tous égards être regardés comme bâtiments de transport anglais. Il importait fort peu dans quelle entreprise particulière ces armées pussent être engagées à cette époque, car les ennemis des États-Unis avaient profité de même de ce bénéfice important, en obtenant de cette manière une plus grande force disponible contre eux. Dans le Frendship (6 Rob. 420), sir W. Scott, en parlant sur ce sujet, déclare: «< qu'il n'est d'aucun intérêt que les hommes ainsi transportés

doivent ou non être employés à une expédition immédiate. Le simple changement de lieux de détachements, et le transport de matériel d'une place à l'autre, sont l'emploi ordinaire d'un bâtiment de transport, et il est fort peu important de distinguer si tel ou tel cas se joint à un service actif immédiat de l'ennemi. Il peut ne pas y avoir d'intention d'action immédiate à déplacer des forces d'établissements éloignés; mais l'importance générale d'avoir des troupes transportées dans des lieux où il convient qu'elles soient rassemblées pour l'usage présent ou futur, est ce qui constitue l'objet et l'emploi des bâtiments de transport. » Il était évident que le savant magistrat n'avait pas jugé important le lieu où le matériel pût être destiné, et il devait importer également peu quel dût être l'emploi immédiat des forces ennemies. Ces forces étaient toujours hostiles à l'Amérique en quelque lieu qu'elles se trouvassent. Aujourd'hui elles pourraient agir contre la France, demain contre les États-Unis. Et la vie et l'activité étaient d'autant plus communiquées à tous leurs mouvements, qu'elles étaient elles-mêmes plus abondamment approvisionnées. Il n'était donc pas important qu'il y eût ou non une autre guerre distincte dans laquelle les ennemis des États-Unis fussent engagés. Il suffisait que leurs armées fussent partout les ennemis de l'Amérique, et que tout secours a elles prêté dût agir directement ou indirectement au préjudice de cette dernière puissance.

La cour était donc d'avis que le voyage dans lequel s'était engagé le vaisseau était illicite, et incompatible avec les devoirs de neutralité, et que c'était une indulgence très-grande de la part de la justice que de borner la peine à un simple refus de fret 1.

$27. Régle

On avait prétendu, dans l'argument du cas ci-dessus, que l'exportation de grain d'Irlande étant généralement de la guerre prohibée, un neutre ne pouvait légalement s'engager dans

1 WHEATON'S Reports, vol. I, p. 382. The Commercen.

de 1756.

ce commerce pendant la guerre, d'après le principe de ce qu'on appelait: «la règle de la guerre de 1756, » dans son application au commerce des colonies et des côtes d'un ennemi, commerce généralement non ouvert en temps de paix. La cour jugea inutile de considérer les principes sur lesquels les cours de prises anglaises basaient cette règle, ne les regardant pas comme applicables au cas en jugement. Mais la légalité de la règle elle-même a toujours été contestée par le gouvernement américain, et elle paraît dans son origine avoir éte fondée sur des principes très-differents de ceux qui ont été plus recemment mis en avant pour sa défense. Pendant la guerre de 1756, le gouvernement français trouvant le commerce de ses colonies presque entièrement coupé par la supériorité maritime de la Grande-Bretagne, abandonna le monopole de ce commerce, et permit aux Hollandais, alors neutres, de conduire le commerce entre la mère-patrie et ses colonies, en vertu de licences spéciales ou passeports accordés pour cet objet particulier, excluant en même temps tous les autres neutres du même commerce. De nombreux vaisseaux hollandais ainsi employés furent capturés par les croiseurs anglais, et eux et leurs cargaisons furent condamnés par les cours de prises, sur le principe que par un tel emploi ils étaient par le fait incorporés à la navigation française, ayant adopté le commerce et le caractère de l'ennemi, et s'étant identifiés à ses intérêts et à ses affaires. On devait, au jugement de cette cour, les considérer comme bâtiments de transport au service de l'ennemi, et par là susceptibles de capture et de condamnation, d'après le même principe que la propriété condamnée, pour transport de personnes militaires ou de dépêches. Dans ces cas, la propriété est considérée pro hac vice, comme propriété de l'ennemi, assez complétement identifiée avec ses intérêts pour acquérir un caractère hostile. Ainsi, quand un neutre s'engage dans un commerce exclusivement limité aux sujets d'un pays, en paix et en

guerre, interdit à tous les autres, et qui en tout temps ne peut être ouvertement conduit sous le nom d'un étranger, un pareil commerce est considéré comme si entièrement national, qu'il doit suivre la situation hostile du pays 1. Il y a entre ce principe et la doctrine plus moderne qui interdit aux neutres pendant la guerre tout commerce qui ne leur est pas ouvert en temps de paix, toute la différence qui existe entre la concession par l'ennemi de licences spéciales aux sujets du belligérant opposé, garantissant leurs propriétés de la capture dans un commerce particulier que la politique de l'ennemi l'engage à tolérer, et l'exemption générale de capture en faveur d'un semblable commerce. Le premier de ces principes est une cause manifeste de confiscation, tandis qu'on n'a jamais pensé que le second eût un pareil effet. La règle de la guerre de 1756 était originairement fondée sur le premier principe. On le laissa dormir pendant la guerre de la révolution américaine, et quand il fut remis en vigueur, au commencement de la guerre contre la France en 1793, on l'appliqua, avec diverses variantes et modifications, à la prohibition de tout trafic neutre avec les colonies et sur les côtes de l'ennemi. Le principe de la règle fut soutenu fréquemment par sir W. Scott dans ses jugements souverains à la haute cour d'amirauté, et dans les écrits d'autres savants publicistes anglais. Mais le caractère concluant de leurs raisonnements fut adroitement contesté par les différents hommes d'État américains, et faillit procurer l'acquiescement de puissances neutres à cette prohibition de leur commerce avec les colonies de l'ennemi. La question demeura une source abondante de luttes entre la Grande-Bretagne et ces puissances, jusqu'à ce que celles-ci devinssent ses alliées ou ses ennemies, à la fin de la guerre; mais

1 ROBINSON'S, Amiralty Reports, vol. II, p. 52. The Princessa. Vol. IV, p. 148. The Anna Catharina, P. 121. The Rendsborg. Vol. V, p. 150. The Vrow Anna Catharina. WHEATON'S Reports, vol. II, appendix, p. 29:

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son importance pratique sera probablement par la suite fort diminuée, par la révolution qui a eu lieu depuis dans le système colonial de l'Europe 1.

Une autre exception à la liberté générale du commerce neutre en temps de guerre se trouve dans le commerce aux places ou aux ports assiégés ou bloqués par l'une des puissances belligérantes.

Les jurisconsultes plus anciens veulent tous que le siége ou le blocus existe véritablement, et soit fait par une force suffisante, et non pas déclaré simplement par proclamation, pour rendre illégal de la part des neutres tout rapport commercial avec le port ou la place. Ainsi Grotius défend de rien conduire aux places assiégées ou bloquées, «si cela doit entraver l'exécution des projets loyaux du belligérant, et si celui qui a fait le transport a pu avoir connaissance du siége ou de blocus: comme dans le cas d'une ville complétement investie ou d'un port hermétiquement bloqué, et quand on espère déja une reddition ou la paix 2.» Et Bynkershoek, en commentant ce passage, soutient qu'il est « déloyal d'introduire quoi que ce soit, de contrebande ou non, dans une place se trouvant dans une pareille position, puisque ceux qui sont renfermés peuvent être forcés à se rendre, non-seulement par l'application directe de la force, mais encore par le manque de provisions et autres nécessités. Si donc il était loyal de leur apporter ce dont ils ont besoin, le belligérant pourrait par là être forcé de lever le siége ou le blocus, ce qui lui porterait préjudice, et par conséquent serait injuste. Et attendu qu'on ne peut pas savoir quels sont les articles dont man

1 WHEATON'S Reports, vol. I, appendix, note 3. Voyez MADISON, Examen de la doctrine anglaise qui soumet à capture un commerce neutre non en activité en temps de paix.

2 Si juris mei executionem rerum subvectio impediret, idque scire potuerit qui advexit, ut si OPPIDUM OBSESSUM TENEBAM, Si PORTUS CLAUSOS, et jam deditio aut pax expectabatur, etc. GROTIUS, de Jure belli ac pacis, lib. III, cap. 1, sect. v, note 3.

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