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DROITS DE LA GUERRE A L'ÉGARD DES ÉTATS NEUTRES. 73

kershoek, en traitant le sujet de la neutralité, dit: «Non hostes appello qui neutrarum partium sunt, nec ex fœdere his illisve quicquam debent; si quid debeant, fœderati sunt, non simpliciter amici 1. »

§ 2. Différentes sortes de

Il y a deux espèces de neutralité reconnues par la loi internationale. Il y a d'abord la neutralité naturelle ou neutralité. parfaite, et ensuite la neutralité imparfaite, déterminée ou conventionnelle.

1o La neutralité naturelle ou parfaite est celle que tout État souverain a le droit, indépendamment d'un pacte positif, d'observer pour ce qui regarde les guerres où d'autres États peuvent être engagés.

Le droit que possède tout État indépendant de demeurer en paix tandis que d'autres États font la guerre, est

un attribut incontestable de la souveraineté. Il est évidemment impossible, cependant, que les nations neutres soient complétement insensibles à l'existence de la guerre entre ces États avec lesquels elles continuent à maintenir des rapports accoutumés d'amitié et de commerce. Les droits de neutralité entraînent des devoirs correspondants. Parmi ces devoirs est celui d'impartialité entre les parties belligérantes. Le neutre est l'ami commun des deux parties, et ne peut pas par conséquent favoriser une partie au détriment de l'autre 2. Bynkershoek dit «qu'il est du devoir des neutres de faire en sorte de ne pas intervenir dans la guerre, et de faire égale et exacte justice aux deux parties. «Bello se non interponant,» c'est-à-dire, «pour ce qui a rapport à la guerre, qu'ils ne préfèrent pas une

1 J'appelle neutres (non hostes) ceux qui ne prennent part ni pour l'une ni pour l'autre des puissances belligérantes, et qui ne sont liés à aucune par aucun traité. S'ils sont liés, ils ne sont plus neutres, mais alliés. (BYNKERSHOEK, Quæstionum juris publici lib. I, cap. ix. De statu belli inter non hostes.) Nous verrons plus loin que cette définition n'est applicable qu'à l'espèce de neutralité qui n'est pas modifiée par contrat spécial

2 BYNKERSHOEK, Quæstionum juris publici lib. I, cap. 1x. Droit des gens, liv. III, chap. VII, § 103-110.

VATTEL,

§ 3. Neutralité parfaite.

§ 4.

Neutralité

partie à l'autre, telle est la seule et convenable conduite à tenir par les neutres. Un neutre n'a rien à faire avec la justice ou l'injustice de la guerre; il ne lui appartient pas de tenir la balance entre ses amis qui se font la guerre, ni d'accorder ou de refuser plus ou moins à l'une ou l'autre partie, selon qu'il croira la cause plus ou moins juste ou injuste. Si je suis neutre, je ne dois pas servir l'un afin de faire du tort à l'autre 1. >>

« Tels sont,» ajoute Bynkershoek, «les devoirs applicables à la condition de ces puissances qui ne sont pas liées par un traité quelconque, mais qui se trouvent dans un état de neutralité parfaite. Ces puissances, je les appelle amies, afin de les distinguer des confédérés et des alliés 2. >>>>

2o La neutralité imparfaite, déterminée, ou conventionimparfaite. nelle, est celle qui est modifiée par un pacte spécial. Le droit public européen offre plusieurs exemples de cette espèce de neutralité.

de la Con

suisse.

Neutralité I. L'indépendance politique des cantons confédérés de fédération la Suisse, laquelle existait de fait depuis si longtemps, fut pour la première fois et formellement reconnue par l'empire germanique, dont ils constituaient tout d'abord une portion intégrante, lors de la paix de Westphalie en 1648. Les cantons suisses avaient gardé une prudente

1 Horum officium est, omni modo cavere, ne se bello interponant, et his quam illis partibus sint vel æquiores vel iniquiores...... Bello se non interponant, hoc est, in causa belli alterum alteri ne prœferant, et eo solo recte defunguntur, qui neutrarum partium sunt...... Si recte judico, belli justitia vel injustitia nihil quicquam pertinet ad communem amicum; ejus non est, inter utramque amicum, sibi invicem hostem, sedere judicem, et ex causa œquiore vel iniquiore huic illive plus nimisve tribuere vel negare. Si medius sim, alteri non possum prodesse, ut alteri noceam. (BYNKERSHOEK, Quæstionum juris publici lib. 1, cap. Ix.)

2 Exposui compendio quod mihi videtur de officio eorum, qui ex fœdere nihil quicquam debent, sed perfecte sunt neutrarum partium. Hos simpliciter amicos appellavi, ut a fœderatis et sociis distinguerem. (BYNKERSHOEK, Quæstionum juris publici lib. I, cap, Ix.)

neutralité pendant la guerre de trente ans, et à partir de cette époque jusqu'à la guerre de la révolution française leur neutralité avait été respectée, à quelques faibles exceptions près, par les États limitrophes. Mais cette neutralité avait été déterminée par un pacte spécial existant entre la Confédération ou les cantons séparés et des États étrangers, au moyen duquel il existait des traités d'alliance ou capitulations pour l'enrôlement de troupes suisses au service de ces États. L'utilité politique de respecter la neutralité de la Suisse fut mutuellement sentie par les deux grandes monarchies de France et d'Autriche durant leur longue dispute touchant la suprématie sous la domination des maisons de Bourbon et de Habsbourg. Telle est la position géographique toute particulière de la Suisse entre l'Allemagne, la France et l'Italie, au milieu de ces grandes chaînes de montagnes d'où sortent les grands fleuves, le Danube, le Rhin, le Rhône et le Pô, que s'il y avait un chemin ouvert à travers le territoire suisse aux armées autrichiennes, ces dernières pourraient avoir de libres communications depuis la vallée du Danube jusqu'à la vallée du Pô, et menacer ainsi la frontière de la France de Bâle à Nice. Pour éviter ce danger imminent, il faut que la France soit fortifiée dans toute l'étendue de cette frontière; tandis que, d'un autre côté, si tous les passages des Alpes de Suisse sont fermés à son ennemi, la France peut rassembler toutes ses forces vers le Rhin, puisque l'histoire a toujours prouvé que toutes les tentatives faites par les Impériaux pour pénétrer dans les provinces méridionales de la France par le Var ont toujours échoué, à cause de l'éloignement du théâtre des opérations et des difficultés inhérentes à cette position. Les avantages que peut retirer la France de la neutralité permanente de la Suisse sont donc évidents. Cette neutralité n'est pas moins essentielle à la sûreté de l'Autriche. Que la Suisse devienne jamais un champ de bataille légal pour

les États avoisinants, et l'on verrait les armées françaises ne pas manquer de prévenir son occupation par les Autrichiens. Les deux grandes armées autrichiennes se tenant, soit sur l'offensive, soit sur la défensive, l'une en Souabe, l'autre en Italie, séparées qu'elles seraient par le rempart massif des Alpes, n'auraient aucun moyen de communication entre elles; tandis que les forces françaises, venant du lac de Constance d'un côté, et de la grande chaîne des Alpes de l'autre, pourraient attaquer soit le flanc de l'armée autrichienne dans la Souabe, soit l'arrière - garde de cette même armée en Italie 1.

Durant les guerres de la révolution française, la neutralité de la Suisse fut alternativement violée par chacune des deux grandes puissances engagées dans la lutte, et les vallées jadis paisibles de ce pays devinrent le théâtre sanglant des hostilités entre les armées françaises, autrichiennes et russes. L'expulsion des forces alliées et le départ ultérieur de l'armée française d'occupation, furent suivis de violentes dissensions intestines, qui furent enfin apaisées par la médiation de Bonaparte en qualité de premier consul de la république française, en 1803. Un traité d'alliance fut simultanément conclu entre la république et la Confédération helvétique. D'après ce qui fut stipulé dans ce traité, la neutralité de la Suisse fut reconnue par la France, tandis que la Confédération stipula que le passage à travers son territoire ne serait pas accordé aux armées de la France, et que dans le cas où on le tenterait, elle s'y opposerait les armes à la main. La Confédération s'engagea aussi à permettre l'enrôlement de huit mille soldats suisses pour le service de la France, outre les seize mille hommes qu'elle devait fournir d'après la capitulation signée le même jour que le traité. Il fut fait, en même temps, déclaration expresse que cette alliance

1 THIERS, Histoire du consulat et de l'empire, t. I, liv. III, p. 482.

étant purement défensive, elle ne pourrait, en aucune façon, être amenée à porter préjudice à la neutralité de la Suisse 1.

Lorsque les forces alliées firent invasion sur le territoire français en 1813, le corps autrichien sous le commandement du prince de Schwarzenberg passa par le territoire de la Suisse, et franchit le Rhin à trois endroits différents, à Bâle, à Lauffenburg et à Schaffhausen, sans rencontrer d'opposition de la part des troupes fédérales. La neutralité perpétuelle de la Suisse fut néanmoins reconnue par l'acte final du congrès de Vienne, le 20 mars 18152; mais lors du retour de Napoléon de l'ile d'Elbe, les pouvoirs alliés invitèrent la Confédération à se joindre à la coalition générale contre la France. Dans la note officielle envoyée par les ministres des alliés à la Diète de Zurich, le 6 mai 1815, il était dit que bien que les alliés s'attendissent à ce que la Suisse n'hésiterait pas à se joindre à eux pour accomplir le but commun de l'alliance, qui était d'empêcher le rétablissement en France de l'autorité révolutionnaire usurpée, ils étaient loin cependant de proposer à la Suisse la levée d'une force armée qui dépasserait ses ressources et les habitudes de son peuple. Ils respectaient le système militaire d'une nation qui, ne subissant pas l'influence de l'esprit d'ambition, ne prenait les armes que pour défendre son indépendance et sa tranquillité. Les alliés étaient loin d'ignorer l'importance qu'attachait la Suisse au maintien du principe de sa neutralité; et ce n'était pas avec l'intention de violer ce principe, mais dans le but de la hâter venue du jour où il deviendrait applicable d'une manière avantageuse et permanente, qu'ils proposaient à la Confédération de prendre un parti et d'adopter des mesures énergiques, et en rapport avec les

1 SCHOELL, Histoire des traités de paix, t. II, chap. XXXIII, p. 339.

2 WHEATON, Histoire du droit des gens, t. II, p. 178.

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