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Je demande que le vœu de mon maître, M. Diday, en instance depuis quarante-cinq ans, soit enfin pris en considération.

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M. Barthélemy. Il serait sans doute à souhaiter que la prostitution ne fit plus ses frais et qu'à l'offre ne répondît plus aucune demande ou inversement. Malheureusement il est encore loin d'en être ainsi; croire le contraire est utopique, et il serait dangereux d'agir comme si la prostitution pouvait être supprimée ou comme si la syphilis n'existait plus que par rare exception. Sans doute, il est acquis que les prostituées jeunes et clandestines sont les plus contagieuses et des plus dangereuses; sans doute, il est acquis que les femmes de 30 ans qui ont eu la syphilis à 18 ans ne sont généralement plus dangereuses pour qui les approche; mais la prostitution et la syphilis existent et, bon gré mal gré, s'imposent aux soucis des sociétés modernes. Fût-ce à notre corps défendant, il faut nous efforcer d'en enrayer les ravages par tous les moyens possibles. La tàche est pénible. Le sujet est scabreux, mais il le faut aborder; or, qui l'abordera si ce n'est nous ? qui ne se reprocherait d'avoir retenu sur ses lèvres, par un scrupule, par un instinct de délicatesse si honorable soit-il, un conseil qui empêchera un homme (lequel en somme n'est pas toujours absolument libre de ne pas obéir au vœu de la nature) de contracter un chancre et une affection pouvant le tuer ou contaminer plus tard épouse et enfants? La syphilis est une maladie insidieuse ; je l'ai souvent dit, elle ne fait pas assez mal; si elle était douloureuse comme une rage de dents ou même comme un cor aux pieds, le malade serait bien mieux averti, se traiterait mieux et serait moins victimé. La semaine dernière, j'ai encore vu deux hommes paralysés huit ans après le chancre; et tous les médecins observent des cas semblables; la fréquence de pareils accidents rend indispensable la diffusion de tous les conseils.

M Berthod. Je tiens à présenter une observation préjudicielle. Il y a des cartes rouges pour les prostituées syphilitiques, blanches pour celles qui sont supposées indemnes.

Cette différenciation établie par l'administration entre des femmes déjà syphilitiques et d'autres qui le deviendront n'est-elle point excessive et au fond inutile?

M. Butte. La carte rouge indique seulement que les femmes

syphilisées doivent venir à la visite tous les huit jours, et non tous les quinze jours, comme celles qui ne sont pas syphilitiques.

M. Queyrat. Les femmes qui ont des cartes rouges ont-elles l'autorisation d'avoir des rapports?

M. Honnorat. Personne n'a l'autorisation de se prostituer. C'est sur la demande des médecins du dispensaire que la carte rouge obligeant à des visites plus fréquentes a été attribuée aux femmes syphilitiques.

M. Queyrat. Alors elles ne devraient

pas

avoir de carte.

M. Honnorat. Une carte n'est pas un brevet pour la pratique de la prostitution. C'est une simple constatation de l'état de santé. ou mieux de la régularité des visites; c'est donc une mesure exclusivement sanitaire.

M. le Président.

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Je vais relire les uns après les autres tous ces articles que vous avez déjà lus; il faut en peser chaque expression et il faut que nous votions sur chaque article séparément. Tel paragraphe semble peu utile, qui pratiquement n'est pas superflu et qui répond à un fâcheux état de choses habituel important à faire supprimer. Ainsi, quand je suis arrivé chef de service à Lourcine, il existait, pour toute une salle de femmes, une seule canule, la canule unique et universelle!... Et je fus traité de révolutionnaire quand je voulus exiger des canules individuelles. Or personne ne conteste plus que ce soit là une mesure indispensable.

Tous les articles, lus, discutés, et mis aux voix, sont adoptés à l'unanimité. (Le lecteur est prié de se reporter au Bulletin n° 3, p. 128.)

M. Honnorat.

L'administration n'insérera rien sur les cartes. Quant aux notices hygiéniques, si la Société le désire, qu'elle le mette, mais l'administration n'en prendra pas la paternité. Je craindrais pour elle un peu de ridicule.

M. Créqui.

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En effet, notre collège a raison; toutes ces choses se disent, mais ne s'écrivent pas.

M. Barthélemy. On reproche au projet en discussion des détails inutiles; il n'est pas de détails inutiles; autant que quiconque,

je suis accessible aux aspirations et aux émotions pures et j'apprécie et recherche les sentiments élevés et délicats; mais chaque chose en son temps ou en son lieu. Il ne s'agit pour le moment que de donner en termes nets, précis, compréhensibles à ceux auxquels ils sont prescrits, au nom des intérêts supérieurs de la santé publique et de la race, des avis pratiques pour des gens mêlés à la prostitution, et ayant, qu'on le veuille ou non, une notable action, un réel retentissement sur la santé des masses et par conséquent sur le sort des peuples et des nations. De ces intérêts supérieurs, de ces populations ignorantes, nous ne pouvons nous désintéresser. Il ne suffit pas de garder une attitude de Ponce-Pilate; il faut intervenir; le péril est considérable et il est de tous les instants. Je ne me dissimule pas ce que peut avoir de pénible la discussion de ces détails; mais cela est utile, s'adressant à des êtres qui n'ont aucune notion d'hygiène, mais dont se ressent dans une notable mesure la santé publique.

M. Siredey. Si la Société veut faire œuvre d'hygiène, on ne peut aller trop loin dans cette voie; on doit absolument parler de capotes, et les gorges chaudes des journalistes deviendront pour nous de la propagande.

M. Berthod. On ne nous plaisantera jamais plus que M. Bérenger; notre collègue est pourtant un grand citoyen.

M. Siredey. Il faut avoir la volonté de faire œuvre médicale utile et il faut faire ce qu'il faut pour atteindre ce résultat sans se laisser distancer du but par des considérations, très honorables peut-être, mais qui n'auront pas le pouvoir d'empêcher un seul cas de contamination. Pour ma part, je le dis hautement, je préconise la capote, la baudruche, le préservatif, la graisse, quelle qu'elle soit, le corps gras protecteur qui empêche la pénétration du virus, et voilà le seul point qu'il m'importe de réaliser; sans cela, les maladies vénériennes seront aussi nombreuses à l'avenir que par le passé et nous aurons perdu notre temps et nos efforts. Les bons conseils de morale ne prévaudront pas contre l'instinct sexuel; et il faut se garantir avant les relations comme il faut se savonner après. Voilà ce que des médecins, des hygiénistes ne doivent pas hésiter à faire connaître de tous. Je puis ajouter que c'est aussi l'avis d'un des plus éminents professeurs de cette Faculté avec qui je causais tout

récemment de notre Société et des services qu'elle est appelée à rendre aux populations.

M. Cruet. Ce sont des conseils hygiéniques et pas autre chose qu'il s'agit ici, ce soir, de formuler nettement. Il le faut pour ceux très nombreux qu'il importe socialement de préserver, et cela, en dépit de toute leur incompétence médicale. C'est à des prostituées. ne l'oublions pas, à des professionnelles à qui sont familières toutes les pratiques, c'est à elles qu'on parle, et c'est d'elles qu'il s'agit ici pour l'instant de se faire bien comprendre.

M. Siredey.

L'administration sera couverie par les médecins qui sauront bien prendre la responsabilité des conseils utiles et les faire connaître comme il convient.

M. Weill-Mantou. On ne peut sans doute assimiler le métier 'des prostituées à un travail (bien que ce soit l'expression par laquelle elles qualifient habituellement leur métier). On ne peut pas assimiler la syphilis contractée ainsi à un accident du travail. Mais on peut, dans une certaine mesure, comparer les maisons publiques à des industries insalubres. Or, dans les industries insalubres, le patron est responsable; il doit protection sanitaire à ses employés, et les instruments d'hygiène notamment sont obligatoirement sa fourniture et sa propriété. C'est ce que nous voyons pour le masque contre les poussières, pour les lunettes d'atelier, etc. Les tenanciers seraient donc exemptés de charges qui incombent à des patrons bien autrement honorables. D'où vient cette tendresse de l'administration pour des individus si peu intéressants?

M. Honnorat. Les tenanciers sont, en effet, des êtres aussi peu dignes d'intérêt que possible. Je n'étonnerai personne ici en disant que ce sont des êtres abominables. Mais c'est précisément pour cela qu'il faut agir vis-à-vis d'eux d'une manière spéciale. Quoi qu'on fasse, c'est toujours la femme, la prostituée qui paiera; croyez-en mon expérience. Dans ces conditions, il y a lieu d'éviter à cette malheureuse des occasions inutiles de discussions, de luttes ou de contestations, où elle sera encore une fois de plus victime. M. le D' Aube. N'y a-t-il qu'un inspecteur qui soit tenu de passer de temps à autre pour prendre les réclamations des recluses? Comment une femme ainsi enfermée peut-elle faire arriver ses

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protestations jusqu'à l'administration? Le commissaire de police fait-il réellement des visites dans ce but?

Les divers articles du projet sont mis aux voix et adoptés, d'abord séparément, ensuite dans leur ensemble.

II

M. le Président. Nous venons de terminer le vote et l'examen des conseils hygiéniques que nous jugeons utile d'être communiqués aux filles qui pratiquent la prostitution. (Page 128 du Bulletin n° 3, année 1903.)

Il nous faut maintenant aborder la seconde partie de notre tâche à l'usage des tenanciers de maisons de prostitution.

Lecture est donnée des divers articles du projet.

M. Honnorat. Comment appliquer un tel règlement? Où l'afficher? Dans les chambres individuelles? Ou bien devra-t-on l'insérer dans les rapports d'autorisation?

M. Barthélemy. -Nous n'avons ici qu'à indiquer ce qu'il convient de connaître au point de vue de l'hygiène et de la prophylaxie; c'est à l'administration à entrer dans les détails de l'application et à décider du meilleur mode d'application pour obtenir les résultats les plus favorables.

M. Verchère. L'administration peut imposer ce règlement; elle n'a qu'à se souvenir qu'elle peut soumettre les tenanciers à telles ou telles conditions, sous peine de leur refuser ou de leur supprimer leur autorisation. C'est donc de l'administration seule qu'il dépendra que ces mesures soient prises ou non, appliquées ou non, efficaces ou non.

M. Honnorat. Certainement. L'administration a tous pouvoirs sur les tenanciers.

M. Hayem (Henri).

Quelle différence faites-vous entre les

maisons de tolérance et les maisons de prostitution?

M. Honnorat. Pour moi, il n'y en a pas. Et je ferai tous mes efforts pour appliquer le règlement indistinctement à toutes.

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