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Les réglementaristes sont pour le statu quo, en ce qui concerne l'état social de la femme,

Les abolitionnistes veulent pour elle des garanties légales et des conditions d'existence meilleures.

Nous avons pour nous :

La légalité, la prophylaxie meilleure, la justice plus égale, la morale plus élevée.

Jamais nous ne sacrifierons de si hautes prérogatives. Le jour où nos collègues les réglementaristes, mieux éclairés, ayant mûrement réfléchi, viendront à nous, ils seront les bienvenus. Qu'ils viennent au plus tôt nous aider à accomplir notre œuvre de progrès, de justice et de saine prophylaxie.

M. Petit (Paul). Mon rapport a paru dans le Bulletin tel que je l'ai présenté à la Société. Je n'ai donc renoncé, contrairement à ce qu'avance M. Queyrat, à aucune des idées que j'ai émises. J'avais seulement pris soin de dire (et je regrette que le Bulletin n'en ait pas fait mention) devant les protestations soulevées par mes réflexions pourtant très modérées sur l'abolitionnisme, qu'au sujet du scandale des étalages pornographiques, je visais les véritables abolitionnistes et non M. Queyrat, et ceux de nos collègues dans lesquels je ne puis voir que des abolitionnistes inconséquents et contradictoires. Par abolitionnistes véritables, absolus, j'entends parler de ceux qui ne veulent d'aucune mesure contre les maladies vénériennes, et malgré mon désir d'être agréable à M. Queyrat, je lui ferais vraiment la partie trop belle si je ne me plaisais à reconnaître, comme c'est justice, que c'est bien lui et non M. Fallot qui a introduit devant nous cette question de la licence des rues, facteur indirect des misères que nous combattons.

Mais M. Queyrat n'a pas voulu m'entendre: et tout en me refusant à croire qu'il ait voulu prendre, à mes dépens, la physionomie toujours sympathique d'un réformateur incompris, je suis porté à penser qu'à ses yeux l'abolitionnisme est un bloc et que, pour un peu, il nous dirait : « L'abolitionnisme c'est moi. » Je répondrai si l'abolitionnisme est un bloc, M. Queyrat n'en est pas, car s' que prêche pour le libre-échange de la vérole, pourquoi ne veut-il pas de l'image, de la fiction qui représente la fille en posture équivoque et constitue pour elle et la vérole la plus puissante des réclames? Il faudrait pourtant être logique! Si l'abolitionnisme est

s'il

un bloc, M. Queyrat n'en est donc pas ; qu'il ait le même but que nous, qu'il songe comme nous à gagner Damas, c'est bien possible, mais alors qu'il nous donne rendez-vous pour nous y rendre, dans ces sentiers pleins d'espoirs de la prophylaxie morale, il y a beau temps que nous l'avons rencontré, sans qu'il semble s'en douter, sur la grand'route de la réglementation.

Vous imaginez-vous, par exemple, mon cher collègue, qu'en demandant la suppression des étalages immoraux, vous ne faites que de la moralisation? Mais c'est de la réglementation au premier chef, c'est de l'ordre, et, avant tout, de l'ordre; demandez-le plutôt à M. le chef de la 1 division de la Préfecture de police qui, avec sa bonne humeur habituelle, est venu nous dire, qu'après tout, en cette affaire, son administration était suffisamment armée et qu'il n'y avait qu'à le lui rappeler.

Mais puisque tout terrain vous semble bon, que nous soyons en Chine, comme aujourd'hui, ou bien ailleurs, pour faire valoir les vertus de l'abolitionnisme, permettez-moi une simple question en somme, du haut de ce piédestal où vous vous êtes placés, vous et quelques collègues, bien au-dessus de ces bas-fonds, de ces rancœurs de la réglementation, vous avez oublié jusqu'ici de nous dire de quels principes vous vous réclamiez pour nous moraliser. Tout d'abord, pour moraliser les autres, peut-être faut-il se considérer soi-même comme d'une moralité tout à fait supérieure, ce qui n'est pas modeste; mais je passe sur ce point il est entendu que tous ici, du seul fait que nous avons demandé à faire partie de cette Société, nous sommes au-dessus de l'honnête moyenne et qu'en particulier, parmi les abolitionnistes, personne n'a jamais eu besoin de mesure de préservation, personne n'a jamais fait acte de publicité sexuelle, comme dirait M. Fiaux, personne n'a jamais vulvivagué dans ces coïts vulvivagues dont nous a également parlé ce distingué collègue. Moralisez donc, Messieurs, opposez aux vices de vos concitoyens le flot des vertus abolitionnistes; seulement, pour quiconque veut aller au fond des choses et ne se contente pas d'àpeu-près, moraliser, cela suppose une morale et vous ne nous avez pas encore dit quelle était la vôtre. Encore une fois, je respecte vos vertus, mais ne m'en veuillez pas si je les trouve insuffisantes à constituer un corps de doctrine, à subjuguer la bête humaine. En attendant les déclarations que je sollicite, permettez-moi de vous dire, une fois de plus, que la moralisation, quelle que soit sa

source, ne nous suffira jamais à elle seule, pour prévenir la contamination vénérienne. La moralisation, hygiène de l'âme. ne peut intervenir que d'une façon accessoire, tout en étant très bienfaisante, dans l'hygiène du corps commandée avant tout par des mesures de préservation corporelle. Vous les trouvez insuffisantes? D'accord : nous comptons sur vous pour les perfectionner. Ce n'est pas en péripatéticiant sous les ombrages du Luxembourg que vous arriverez à faire disparaître les péripatéticiennes du trottoir. Je crois vous avoir démontré par un exemple qui a toute la valeur d'une expérience de laboratoire, par l'exemple de ce qui se passe dans cette bienheureuse île de Rapa, exempte de la vérole (bien que tout y soit en commun, la femme comme l'enfant), que la démoralisation, telle que nous la comprenons, ne peut rien par ellemême, pour engendrer les maladies vénériennes; que la moralisation, telle que nous la comprenons, n'est qu'un remède imparfait aux tares que nous apportons avec nous, remède dont les indigènes pourraient fort bien se passer (au point de vue vénérien, s'entend; je ne parle pas du perfectionnement moral), si nous restions chez nous.

Cessez donc, mon cher collègue, de tant tenir à ce titre d'abclitionniste qui vous rend l'épiderme si sensible, à ces formules, à ces étiquettes qui devraient être le propre de la réglementation. Entre la théorie abolitionniste, qu'il s'agisse d'abolitionnisme absolu ou inconséquent, et l'éclectisme éclairé qui ne refuse pas une main secourable à la prostituée plus ou moins bien rentée par sa débauche, à la condition que soient ménagés la femme qui enfante et travaille de ses mains, l'enfant qui n'a pas demandé à vivre et l'avenir de la race, il y a toute la différence qui sépare une solution équitable et pratique d'une utopie dangereuse et, au fond, parfaitement inique.

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M. Honnorat. M. Queyrat a dit que j'étais le seul dans cette assemblée à avoir qualité pour ici parler au nom de l'administration et pour défendre officiellement la réglementation; je prie M. le Président de m'accorder la parole pour répondre à cette sorte d'invitation personnelle.

L'immense majorité de la Société de Prophylaxie s'est, à plusieurs reprises, prononcée en faveur des mesures de protection de la santé publique ne permettant pas aux prostituées contagieuses le libre exercice de leur coupable et redoutable industrie.

Je ne saurais trop comparer les abolitionnistes qu'à ces gens d'une opposition systématique qui promettent des réformes qu'ils ne pourraient pas réaliser eux-mêmes. En tout cas, les abolitionnistes, qu'ils le sachent bien, n'ont le monopole ni de la bonté ni de la charité. Ils ne sont ni les seuls ni même les premiers à formuler des réformes et des améliorations qui sont instamment réclamées par tant d'autres réglementaristes, tels que les dispensaires multiples, les distributions de médicaments gratuits, les conférences, les institutions de relèvement, d'instruction et travail professionnel, etc.

Faut-il donc que je répète une fois encore que la carte n'est qu'une manière de constater la visite et par conséquent l'état de santé de toute professionnelle de la prostitution et que cette carte n'a pas d'autre signification et surtout qu'elle ne prouve nullement que l'administration autorise la prostitution. L'administration ne cherche qu'à assainir ce qui a besoin de l'être et ce qui a lieu en dehors d'elle, malgré elle, et ce qui aurait lieu même si l'administration l'ignorait. Ce n'est pas l'administration qui crée la prostitution; hélas ! celle-ci s'exerce spontanément partout, même dans les endroits où il n'y a pas encore de réglementation. L'administration ne s'attache qu'à rendre le mal moins grand. Lorsque nous envoyons à la maison d'isolement de Saint-Lazare, une femme contagieuse, nous cherchons tout simplement à mettre celle-ci hors d'état de nuire.

Je crois que le fossé qui sépare les abolitionnistes des réglementaristes n'est pas aussi profond que l'a dit et le redoute M. le D' Queyrat, attendu que tous ici, nous avons des aspirations très marquées de bienfaisance et de générosité; mais les abolitionnistes sont de purs idéologues et les réglementaristes sont plus pratiques.

L'administration n'est guidée que par le souci de rendre service et de préserver la santé et l'existence du plus grand nombre possible de personnes; elle a conscience, en poursuivant cette tâche, de veiller aux intérêts de la race comme à ceux de Paris. Or, l'abolitionnisme, déjà fàcheux pour notre capitale, serait désastreux pour nos colonies.

M. Fournier (A.). · - Un seul mot. A l'occasion de précédentes allégations, je rappelle que dès 1888 l'Académie de médecine, à l'unanimité, a émis les mêmes vœux que ceux dont vient de nous

entretenir M. Queyrat; et pourtant l'Académie de médecine de Paris n'est pas abolitionniste.

M. Bouloumié.

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J'ai quelque scrupule à constater que la discussion s'est considérablement éloignée du sujet proposé par notre ordre du jour. Je demande donc la permission d'y revenir en parlant du péril vénérien dans les colonies françaises, et en indiquant les moyens que nous avons employés, non sans succès, pour en atténuer les désastres.

Dans son très intéressant rapport notre collègue M. Petit a fait allusion au rôle joué à Madagascar par l'Union des Femmes de France, je demande à dire un mot de ce que fait cette Société pour nos soldats en cours d'expéditions coloniales et au retour de celles-ci.

L'Union des Femmes de France fait de nombreux envois aux colonies, envois composés de matériel hygiénique, de quelques denrées alimentaires qui ne figurent pas dans la nomenclature des objets habituels de consommation, de certains objets de vêtement et avec cela de livres, journaux illustrés, de jeux divers, de papeterie, crayons, plumes, etc.; elle en a fait déjà plus de 250 semblables. Elle a de plus fait 246 envois spéciaux, de livres, journaux illustrés, objets de bureau, jeux, dont un assez grand nombre dans nos colonies et nos postes éloignés, d'autres dans les bibliothèques régimentaires, les hôpitaux militaires et mixtes, les forts, les camps, les cercles de sous-officiers, etc.

Se préoccupant partout de fournir au soldat de saines distractions qui le retiennent loin des cabarets et des mauvais lieux, l'Union des Femmes de France adopte, suivant les circonstances, divers moyens pour atteindre son but. Ici, elle organise des salles de lecture et de correspondance avec bibliothèques, là des salles de lecture et des jeux divers, ailleurs, comme au Dahomey, comme à Madagascar, - sur les conseils du général Gallieni, elle envoie des graines de semence et des traités de jardinage, elle cherche à créer des jardins militaires analogues pour nos soldats aux jardins ouvriers créés depuis quelque temps en France pour les travailleurs de l'usine; à Madagascar encore, comme dans certaines villes de France, elle organise un foyer au soldat.

Aux soldats rapatriés des colonies, elle procure à l'arrivée, partout où cela est possible, et spécialement à Paris, l'assistance par le travail, aussi moralisatrice que l'est peu habituellement l'assis

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