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pris une infamie, mais ayant à choisir entre leur intérêt et leur devoir, ils ne cherchent qu'à trouver des accommodements.

Dans les conditions actuelles, la parole du médecin peut avoir quelque influence sur eux. Ils n'osent pas trangresser ouvertement ses avis, ils sont effrayés de la responsabilité qu'ils encourraient. La visite médicale leur fournira un excellent prétexte pour mettre leur conscience d'accord avec leur intérêt.

Ils se présenteront aux médecins dans une période où ils n'auront pas d'accidents; ils se garderont bien de l'éclairer, ne voulant pas, penseront-ils, influencer son jugement. Interrogés par lui, ils ne mentiront pas complètement, mais ils se contenteront de ces réponses évasives, peu précises, bien propres à laisser le diagnostic hésitant, ou à tromper sur les dates. N'est-ce pas ainsi, déjà, que se présentent à nous un grand nombre de syphilitiques, qui viennent nous consulter alors que leur intérêt est de nous dire toute la vérité, pour faciliter le traitement de leur maladie?

Quand ils auront été acceptés par le médecin de l'état civil, qui n'aura pas su reconnaître l'affection contagieuse, ou qui se sera trom pé sur son âge, que pourra-t-on leur reprocher?

Ils auront acccompli toutes les formalités exigées, et gagné le droit de contaminer légalement leur femme, de souiller leur postérité, sans que l'on ait contre eux le moindre recours.

Et si d'aventure ils avaient quelque hésitation, soyez certains que leur entourage lèverait tous leurs scrupules. Que peut-on craindre quand on a la loi pour soi?

En dehors du diagnostic de la syphilis, il y a d'ailleurs une difficulté qui est loin d'être tranchée, c'est celle de l'époque précise à laquelle un syphilitique cesse d'être contagieux. Il n'existe aucune règle absolue à cet égard, et nombre de médecins en sont encore à considérer comme inoffensifs des sujets qui ont à peine trois ans ou même deux ans de syphilis.

La loi sanitaire que demandent quelques-uns d'entre vous devra-t-elle s'occuper de ces détails, et fixer les limites de la contagiosité? Je ne crois pas la chose possible actuellement.

Et cette limite fût-elle déterminée, comment pourrait-on, dans la pratique, reconnaître, avec toute la rigueur désirable, l'âge exact d'une syphilis? Si les accidents ont une évolution assez nette, à une époque rapprochée du début, pour qu'il soit possible au médecin d'indiquer, à quelques semaines près, la date de l'inoculation, il

n'en est plus de même lorsque les premières éruptions ont disparu. Dans les moments de calme, ou bien même en présence d'éruptions appartenant à la période de transition, les appréciations chronologiques deviennent beaucoup moins exactes elles ont besoin de s'appuyer sur les renseignements fournis par le sujet, et la sincérité de celui-ci, dans les circonstances présentes, devra être tenue pour suspecte.

Il est, enfin, un autre danger que l'on ne saurait passer sous silence, je veux parler de l'erreur qui consisterait à accuser de syphilis un jeune homme parfaitement sain et indemne de cette maladie.

On voit assez fréquemment, dans la pratique, des éruptions de psoriasis, d'eczéma séborrhéique, de lichen planus, etc., prises pour des manifestations syphilitiques.

Les conséquences d'une pareille erreur peuvent-elles être considérées comme négligeables? Quel sera le recours d'un malheureux qu'un diagnostic erroné 'obligera à rompre un mariage rêvé? Le préjudice qu'on lui causera de la sorte ne sera pas limité à la seule rupture de cette union; mais, surtout dans une petite ville, où le fait aura plus de retentissement, il en résultera pour lui une déconsidération qui pourra peser sur toute sa vie.

Le certificat de santé n'est donc pas seulement illusoire, il est dangereux pour les familles, et dangereux pour les médecins auxquels il impose une écrasante responsabilité.

Voilà pourquoi votre Commission, après de longs débats, a rejeté, comme absolument inapplicable, toute disposition légale tendant à exiger des garanties sanitaires pour le mariage.

Si l'on ne peut compter en pareil cas sur la sollicitude de l'État, il est donc logique de faire appel à l'initiative individuelle.

En dehors des malfaiteurs auxquels j'ai fait allusion, la plupart des syphilitiques pèchent surtout par indifférence, par ignorance. Les personnes étrangères à la médecine se représentent volontiers la syphilis sous ses formes graves, exceptionnelles les destructions osseuses, les vastes délabrements de la face, dont on leur a donné la description ou la représentation dans quelques ouvrages aussi peu scientifiques que possible, les ont frappés; ils n'imaginent guère que cette maladie puisse se résumer à des lésions initiales presque insignifiantes, et se dissimuler sous les apparences d'une parfaite santé. Débarrassés des premières manifestations de

la syphilis, ils se croient guéris, et considèrent comme excessives toutes les recommandations que peut leur faire le médecin. Comment pourraient-ils soupçonner qu'après un petit chancre, d'aspect si anodin, qui n'a laissé aucune cicatrice, après une éruption que quelques pilules ont fait disparaître, sans qu'il en soit resté la moindre trace, et sans qu'il en soit résulté aucun trouble appréciable de leur santé, ils peuvent encore transmettre à leurs femmes, à leurs enfants, une maladie qui semble si bien guérie!

Voilà l'erreur fondamentale, d'ailleurs très répandue, qu'il importe de dissiper.

C'est là le but de la petite plaquette adoptée par votre Commission. On lui a reproché d'être trop sommaire : c'est, à mon avis, son principal mérite.

Sous leur forme succincte, les conseils qu'ont résumés en quelques lignes nos collègues MM. Darier et Jullien, s'imposent immédiatement à l'attention. Placés sous les yeux d'un jeune homme, au moment où celui-ci va contracter un engagement solennel, ils sont bien propres à frappper son esprit, à éclairer sa conscience, à éveiller le sentiment de sa responsabilité.

Une notice plus longue, plus détaillée, serait mise soigneusement de côté et elle aurait les plus grandes chances de n'être jamais lue. Il est désirable que cette note soit remise au fiancé dès les premiers préliminaires du mariage, dès qu'il vient demander à la mairie des renseignements au sujet des formalités qu'il ignore.

Mais c'est à nous qu'il appartient de répandre à l'infini les avertissements de ce genre, de chercher des moyens de les faire parvenir aux jeunes gens. Je ne verrais aucun inconvénient à ce que la famille de la fiancée en reçût également un exemplaire, sans qu'il fût spécialement destiné à la jeune fille; il ne serait pas mauvais qu'il passât sous les yeux du père.

Si nous repoussons toute disposition légale tendant à l'établissement du certificat de santé, nous désirons, au contraire, éclairer les familles sur le danger des maladies vénériennes. C'est à elles de prendre l'initiative des mesures qui leur paraîtront propres à sauvegarder la santé de leurs enfants.

Comme le disait très justement M. le professeur Pinard, dans la dernière séance, ce sont les mœurs et non les lois qu'il importe de changer.

En favorisant la diffusion de notions saines sur le péril véné

rien, sur ses graves conséquences individuelles, familiales et sociales, vous avertirez, à la fois, les parents qui ont des enfants à marier, et les candidats au mariage, d'un danger qu'ils ignorent; vous développerez chez eux le sentiment de leur responsabilité, et en agissant ainsi, vous ferez plus pour l'hygiène et pour la prophylaxie qu'en réclamant l'intervention illusoire de l'Élat.

M. Cruet (Ludger) (1). Je n'ai guère de titre à venir parler devant vous du secret médical ou plutôt contre le secret médical ; et si notre distingué secrétaire général, mon ami M. le D' Barthélemy, qui m'a vu prendre part à des discussions sur ce sujet passionnant dans des réunions privées, ne m'avait sollicité de soutenir devant vous mes opinions plus hésitantes qu'il ne croit et en tout cas difficiles à formuler, je me serais abstenu avec prédilection; d'autant plus que je crains de heurter les convictions arrêtées de beaucoup d'entre vous et que je ne puis guère conserver l'espoir de les modifier, car elles semblent reposer sur ce qu'il y a de plus délicat et de plus inaccessible dans la conscience, sur le sentiment d'une obligation morale absolue.

Quoi qu'il en soit, la question redoutable devait être posée et il suffit d'avoir entendu le rapport si remarquable de M. le D' Jullien, les observations si judicieuses présentées par M. le conseiller Fortin, la très suggestive communication de M. le D' Cazalis et les discussions qui se sont ébauchées dans notre dernière séance, pour rester convaincu que le problème se dresse devant nous dans toute sa rigueur et avec toutes ses difficultés, mais aussi qu'il exige une solution, dans l'ordre particulier des questions qui nous occupent (les garanties sanitaires du mariage), si l'on veut aller plus loin et aboutir à des résultats pratiques au point de vue de la protection de la santé et de la prophylaxie générale. C'est cet unique point de vue qui nous guidera dans le dédale des opinions contradictoires, des théories, des subtilités morales qui se présentent à l'infini lorsqu'il s'agit du secret médical.

Je n'ai pas la prétention de traiter la question sous toutes ses faces et dans toutes ses complications. Voulant rester bref, comme il convient ici, je ne veux que serrer de près quelques points du pro

(1) Bien que M. Cruet, n'ait pu assister à la dernière réunion de la Société et y faire sa communication, nous avons cru devoir insérer son travail à sa place dans le Bulletin.

blème, examiner si le secret médical doit être considéré comme un dogme absolu, tel qu'on l'entend couramment, si ceux mêmes qui l'envisagent ainsi n'admettent pas précisément des exceptions et des distinctions qui transgressent et invalident le principe; enfin, si d'autres, qui n'ont jamais admis, pour leur part, le dogme dans sa rigueur, ne sont pas autorisés à étendre les exceptions déjà admises et, en dernière analyse, à ne plus considérer que les espèces et les cas particuliers, dont la solution appartient dès lors au domaine de la conscience individuelle en même temps qu'à celui de la morale universelle. Je ne chercherai à éviter aucune des difficultés du problème, j'irai jusqu'au fond du principe pour en discuter le fondement et la nécessité.

Je ne m'arrêterai pas tout d'abord à l'opinion de ceux qui acceptent purement et simplement les termes du Code pénal, dans son article 378 ainsi conçu : « Les médecins, chirurgiens et autres officiers de santé, ainsi que les pharmaciens. les sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires par état ou profession des secrets qu'on leur confie, qui, hors les cas où la loi les oblige à se porter dénonciateurs, auront révélé ces secrets, seront punis d'un emprisonnement d'un mois à dix mois et d'une amende de 100 à 500 francs. Tout le monde est forcé de s'incliner devant la loi, c'est entendu. Mais il ne serait pas difficile de montrer combien la jurisprudence a varié dans l'application de cet article, combien de cas individuels ont échappé à son étreinte, puisque la Cour de cassation elle-même a rendu des arrêts contradictoires.

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Je dois reconnaître cependant que la jurisprudence actuelle s'est définitivement fixée dans le sens de son application rigoureuse, et de la conception la plus étroite du dogme, puisque la révélation d'un secret, même sans intention de nuire et, au besoin, pour sauvegarder des intérêts légitimes, a été impitoyablement punie. Qui de vous ne connaît le cas célèbre du Dr Watelet, rapporté dans le livre du D' Brouardel et dans toutes les monographies sur le secret médical. Ce cas, sans parler d'autres, semble avoir fixé définitivement lat jurisprudence, et, dans l'état actuel des choses, je reconnais que médecin qui a révélé la maladie d'un de ses clients, même avec les intentions les plus pures, ne peut plus espérer échapper aux contraintes de la loi pénale.

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Mais nous ne sommes pas ici seulement pour nous incliner, en abdiquant notre jugement, devant un article du Code et ses applica

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