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ovarites, péritonites, fausses couches, stérilité, infections associées, tel est son lot, non pas exceptionnel, mais ordinaire dans le contage blennorrhagique. C'est certainement la blennorrhagie la cause ordinaire des souffrances de l'éternelle blessée; c'est la blennorrhagie qui, tous les jours, en fait une valétudinaire, une neurasthénique, une martyre, un sujet de table opératoire; c'est bien elle la cause ordinaire des misères des jeunes mariées, de ce qu'on appelle, dans le monde, les fatigues du mariage... le mariage mal supporté, parce que, précisément, en dehors des canailles qui, pour sauvegarder leurs intérêts par le conjungo, déversent dans leur vase d'élection le gonocoque hypervirulent, beaucoup trop de gens de bonne foi partagent l'erreur de M. Bérenger sur la bénignité de la maladie, la facilité de sa guérison non pas apparente, mais réelle; l'erreur de tel autre de nos collègues sur la facilité du diagnostic de sa guérison non pas apparente, mais réelle. C'est certainement encore la blennorrhagie la cause la plus commune, chez la femme, de la stérilité involontaire; car, ce qu'on ne sait encore pas assez, c'est qu'en dehors de ces pelvipéritonites à grand fracas, qui attirent au gendre, de la part de sa belle-mère, un juste ressentiment avant-coureur des sévérités attendues de la loi, le gonocoque à virulence atténuée, tout en ne donnant que des pertes blanches d'apparence bénigne et que l'on mettra sur le compte de l'anémie, est fort bien capable de fermer insidieusement la route de l'ovule.

Ce qui peut renverser les rôles et faire du mari la victime, du moins au point de vue paternité (vous retiendrez cette possibilité au point de vue des difficultés d'application de la loi demandée), c'est que parfois la jeune fille, tout en étant bien une vierge, apporte avec sa dot ce gonocoque atténué, cueilli par un contage indirect, quelconque, dont la belle-maman peut être directement responsable thermomètre, linge, cau de lavage, etc.

Ces femmes, stérilisées sans trop de dommages, avant d'avoir conçu, ne sont pas les plus à plaindre. D'ordinaire le microbe, qui sommeillait chez la vierge ou lui est donné par son mari, est réveillé, mis en action par le coït; et si la pauvre fille échappe au danger des premières étreintes, ce n'est que partie remise: bientôt la menstruation prochaine apporte avec elle le milieu de culture de choix, et il n'est pas rare que la péritonite blennorrhagique (péritonite menstruelle de jadis) éclate à ce moment; à peine d'ailleurs

le sang a-t-il cessé de couler que les rapprochements se répètent de plus belle, et plus nos amoureux sacrifient à la perfide déesse, plus le voyage de noces est accidenté, fatigant, plus le danger se fait grand. Voilà la vérité sur bien de ces lunes de miel qui tournent avant l'heure à la lune rousse.

Si la fécondation, malgré tout, survient, et si la greffe de l'œuf fécondé se fait en son lieu normal, le malheur devient de moins en moins inévitable encore un bon milieu nutritif, présentement du fait de la gravidité et, en perspective, du fait de la saignée physiologique; et, de plus, voici bientôt ouverte la barrière, le sphincter opposé par l'organisme au cheminement des germes. Comment voulez-vous que, cette fois, cette pauvre femme échappe au sort qui l'attend depuis le jour de ses noces? Qu'il y ait fausse couche, du fait même de l'infection ou que l'accouchement se fasse à son terme, le gonocoque, cette fois, se dédommagera du temps perdu, et, si cette fois encore il se trouve inférieur aux ressources de la nature et du médecin, du moins prépare-t-il le terrain à d'autres germes morbides qui, le plus généralement, fructifieront. C'est l'histoire d'un grand nombre d'infections puerpérales aiguës, subaiguës ou passées inaperçues.

Si ce microbe, nuptial, en apparence bon enfant, est asscz atténué pour ne point produire la péritonite, pour ne pouvoir fermer la trompe, même sans bruit, à l'un ou l'autre de ses deux bouts (fermeture fatale pour l'espèce, mais salutaire pour l'individu); si cependant il arrive à altérer son délicat revêtement de cellules. à faire tomber les cils vibratils chargés d'assurer le cheminement de l'œuf fécondé, celui-ci s'arrête dans ce conduit où il ne devait que passer, et malgré les efforts héroïques de la nature pour produire une hypertrophie compensatrice, le drame se corse encore: au lieu de faiblir comme la virulence du microbe, il va devenir. cataclysmique; la grossesse extra-utérine, beaucoup plus commune qu'on ne le croit, est constituée; l'enfant rêvé, encore à l'état embryonnaire, est devenu, pour sa mère, tumeur maligne, et s'il ne la tue en quelques instants par hémorrhagie interne, en pleine santé apparente, au théâtre ou dans la rue, ce qui est heureusement assez rare, il l'offre trop souvent au couteau réparateur du chirurgien, et, dans les cas les plus heureux, l'immobilise pour plusieurs mois sur un lit de souffrances.

Ce qui constitue la gravité indéniable et scientifiquement

démontrée du contage blennorrhagique, même atténué, chez la femme, ce n'est donc pas seulement la libre communication de sa muqueuse avec le péritoine, mais bien tout l'ensemble de sa vie sexuelle; et si les complications péri-utérines chez la prostituée sont beaucoup moins fréquentes qu'on ne pourrait s'y attendre, c'est probablement qu'elle fait le nécessaire pour éviter le stade le plus dangereux dans l'espèce la grossesse. Les autres femmes n'en font ordinairement autant qu'après avoir procréé.

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Ce n'est pas tout. La blennorrhagie ne s'attaque pas seulement à la muqueuse génitale elle intéresse souvent la conjonctive et peut déterminer en quelques heures une cécité irrémédiable et elle compte beaucoup dans le nombre des aveugles et des incurables dont les sociétés ont la charge légitime.

Enfin, s'il est vrai que le gonocoque n'arrive pas à pulluler dans le sang, au moins par la voie sanguine colonise-t-il facilement dans les séreuses, c'est-à-dire dans les articulations, les gaines tendineuses, le cœur, la membrane interne des veines, la plèvre. On peut hardiment affirmer que le rhumatisme blennorrhagique, avec sa tendance à l'ankylose irrémédiable, est fréquent, et nombreuses sont déjà les observations d'affections du cœur mortelles, de cette origine. Il en est de même pour l'albuminurie, les névrites et particulièrement la sciatique (Fournier). Les centres nerveux eux-mêmes peuvent être atteints (Spillmann).

La blennorrhagie est donc une maladie à complications très sévères, les unes fréquentes, les autres plus ou moins rares, mais n'en constituant pas moins, par leur diversité, une masse imposante. Notons de plus que ces notions sont pour la plupart assez récentes, le moyen de prouver la présence du gonocoque, c'est-àdire sa culture facile, ne datant que d'hier; nous ne sommes donc pas au bout de nos surprises.

Ajoutez à cela que la blennorrhagie ne s'attaque pas seulement à l'homme, à la femme, mais à l'enfant en bas àge; que sa guérison non pas apparente, mais réelle, est difficile à obtenir; que le diagnostic de cette guérison non pas apparente, mais réelle, est moins simple qu'on ne le croit. Si la blennorrhagie est souvent difficile à guérir, particulièrement chez la femme, c'est qu'en dehors de la question du terrain individuel les germes persistent dans des cryptes, des lacunes dont il est difficile de les déloger; c'est que le mari réinocule incessamment sa femme. Si nous le

faisons appeler pour lui donner des conseils, il ne vient généralement pas, et la femme, dans la suite, échappe souvent à notre surveillance. Si le diagnostic de la guérison n'est pas accessible au malade lui-même, c'est que la contagiosité n'implique pas seulement l'existence de l'écoulement verdâtre ou de cette goutte militaire que l'on rencontre si souvent chez le civil, et qu'elle peut fort bien provenir d'un simple filament à peine visible, émané des profondeurs de l'urèthre, que le médecin doit recueillir dans l'urine et dont la valeur morbide ne peut être établie que par le laboratoire.

La blennorrhagie n'est donc pas cette affection bénigne, cette simple déconvenue de l'amour qui prête à rire de ceux qu'elle atteints et des médecins qui veulent la faire prendre au sérieux, qui porte l'adolescent à traîner la jambe pour qu'on le croie déniaisé alors qu'il est encore intact. Les désastres individuels, familiaux et sociaux, qu'entraîne la blennorrhagie ne le cèdent souvent en rien à ceux de la syphilis. Vous ne l'excluerez donc pas de la responsabilité pénale que vous désirez obtenir en matière de transmission des maladies vénériennes.

M. Boureau. Je trouve extraordinaire que les médecins appuient la création d'un délit civil et pénal de transmission d'une maladie contagieuse quelconque; j'en suis navré et je tiens à protester: nous sommes faits pour soigner les malades et non pas pour conseiller de les mettre en prison.

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M. Dedet. Je m'associe aux paroles de M. Boureau. Le rôle du médecin est de guérir et non de punir; les médecins ne peuvent conseiller une pareille loi qui éloignera les malades; les vénériens contagieux craindront d'être dénoncés et poursuivis; et cette loi, loin de diminuer les maladies vénériennes, les augmentera en diminuant le nombre des contagieux qui seront traités.

M. Daniel.

Qui cause du dommage à autrui doit le réparer; une personne contracte la syphilis et la transmet volontairement, c'est, d'une part, une atteinte à la morale, d'autre part un délit conscient; car c'est, il me semble, le délit conscient, celui qui est accompli, soit par malice, soit par indifférence pour la santé des autres ou même par incurie pour la santé de tous, qu'il importe de ne pas laisser se produire indéfiniment et impunément.

M. Barthélemy.

Inconsciemment ou non, involontairement

ou non, le mal est fait et un grand mal. Qu'une syphilis soit transmise intentionnellement ou non, elle est aussi grave pour le malade; elle met parfois en danger la vie et compromet gravement la santé de l'individu; enfin, elle contribue à la déchéance de la race. Il faut donc traiter les malades en dehors de tout service pénitentiaire, mais il faut absolument empêcher la transmission. Ce ne sont pas les. malades que l'on veut poursuivre, ce sont les contagieux qui propagent impunément leur mal. Ceux qui sont atteints sont des malheureux et non des coupables; mais ceux qui transmettent sont souvent des malfaiteurs et toujours des êtres malfaisants c'est la transmission du mal qu'il s'agit de combattre et de restreindre. L'application de la loi dont il s'agit sera entourée de difficultés (obligation de garder le secret médical, rareté des plaintes, difficultés des preuves, chantages à réprimer ou à empêcher, etc.); mais, si elle est rarement appliquée, la loi, par le fait seul qu'elle existera, pourra faire œuvre prophylactique, éviter des malheurs, être utile par conséquent. La Société de prophylaxie, restant fidèle à son but, ne peut repousser le principe d'une telle loi, puisqu'elle est destinée à diminuer ou à combattre la propagation des maladies vénériennes, c'est-à-dire la transmission de très grands maux.

M. Boureau. Vous voulez empêcher la diffusion des maladies vénériennes et vous proposez des mesures de répression qui sont de nature à activer cette diffusion. Ces mesures en effet auraient pour résultat de faire perdre la confiance que les malades ont toujours accordée aux médecins. La crainte de dénonciations de leurs maladies les amènerait à se priver des soins médicaux éclairés pour le but que nous poursuivons, croyez-moi, il vaut mieux les traiter, les éclairer, les conseiller. En pareille matière, la persuasion, les bons conseils et les soins médicaux ont toujours mieux fait que les mesures de police; la douceur est toujours préférable à la violence; il est prouvé par les faits qu'elle produit toujours de meilleurs résultats.

M. Eudlitz. Je ne comprends pas l'argumentation de notre confrère. J'ai observé, il y a quelques années, une jeune dame qui fut contaminée par son mari. Celui-ci, craignant une révélation, l'empêcha d'aller consulter un médecin et de se soigner. Le résultat ne se fit pas attendre; il survint bientôt une syphilis oculaire des plus graves qui, en dépit de tous les traitements, rendit cette pa uvre

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