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Le corps médical français, dont le dévouement n'est égalé dans aucun pays, et qui, dans tous les temps, est venu livrer ses découvertes les plus remarquables au grand jour pour le bien de l'humanité, sans jamais faire de réserve à son propre avantage, ne saurait, dites-vous-le bien, être effleuré d'aucun soupçon.

Chacun connaît sa rectitude absolue, et le public sait la parfaite confiance qu'il peut avoir en lui.

Mais, tous les jours, et petit à petit, nos lois et les règlements nouveaux ne viennent-ils pas demander à chacun, et particulièrement aux médecins, de penser à la solidarité et d'imposer des sacrifices aux usages pour répondre à l'intérêt public?

Ces lois, devant lesquelles il est méritoire à chacun de s'incliner pour marcher vers le progrès réel, ce n'est pas par les ignorants qu'elles doivent être préparécs pour être portées devant le législateur, mais par les hommes de connaissances réelles, pratiques, et de devoir, et dans le cas présent, le corps médical est tout indiqué !

D'ailleurs, le siècle marche. Contre les fléaux qui attaquent l'humanité, et la tuberculose entre autres, ne voit-on pas, grâce aux princes de la médecine, les pouvoirs constitués prendre tous les jours des mesures de plus en plus sévères? Pour la prophylaxie des maladies qui nous préoccupent dans cette assemblée, c'est à ces mêmes princes de la science qu'il importe de nous conduire aux premières dispositions de défense.

Que ces mesures pour la tuberculose aient prêté à rire et à sourire, elles n'en ont pas moins apporté avec elles une amélioration et un bien-être qui continueront à s'affirmer lorsque l'éducation générale de la population se sera complétée.

Aussi, Messieurs, beaucoup de vous n'ont pas dû être étonnés de voir le Président du Tribunal d'Avranches, M. A. Legrin, demandera à son tour par la voie de la presse qu'une modification soit faite à l'article 378 du Code pénal, ainsi qu'il suit :

« Les médecins, chirurgiens et autres officiers de santé, ainsi que les pharmaciens, les sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires par état où par profession des secrets qu'on leur confie, qui, hors le cas où la loi les oblige à se porter dénonciateurs, auront révélé des secrets, seront punis d'un emprisonnement d'un mois à six mois et d'une amende de 100 à 500 francs.

« Néanmoins, en cas de projet de mariage, les médecins pourront sur la demande formelle, soit des futurs, soit des personnes dont le

consentement est nécessaire, être relevés du secret professionnel et faire connaître l'état de santé des futurs.

<< Ceux à qui ces révélations auront été faites seront tenus au secret le plus absolu, et, en cas de divulgation de ce secret, seront punis des peines portées au présent article.

<< Les renseignements ne seront demandés et fournis que verbalement. >>

Messieurs, nous ne différons que sur les mesures à prendre, et nous sommes bien convaincus tous qu'il faut, dans le mariage, prendre des précautions.

Si vous facilitez au père de famille les moyens de ne pas être incivil (préjugé, dites-vous) avec quelqu'un qui pourra devenir son gendre, vous aurez, je n'en doute pas, rendu un service nouveau à l'humanité.

Nous ne sommes pas à compter ceux qu'elle vous devra.

Du jour où le médecin aura laissé entrevoir hautement que le père de famille qui ne prend pas des précautions sanitaires dans le mariage de ses enfants est fautif, vous lui imposerez en maints cas l'obligation de le faire.

Il comprendra que ses sentiments de convenance ne sauraient l'autoriser à négliger ce devoir, et que le négliger serait un crime.

Mais vous reconnaîtrez avec moi que, pour qu'il puisse réellement réaliser ce devoir, il faut le lui rendre possible.

Vous me permettrez également de dire que vous ne sauriez lui imputer à crime de ne pas se renseigner, puisque, par le secret professionnel, dont certains d'entre vous entendent ne pas être déliés, même avec le consentement de l'intéressé, il est mis dans l'impossibilité de le faire.

Comme le médecin ne saurait devenir, avec juste raison, le délateur d'aucun des faits dont il a connaissance par la confiance qui a été mise en lui par son malade, il ne peut être relevé du secret professionnel qu'autant qu'il y sera dûment autorisé par l'intéressé lui-même.

Si donc vous devez donner cette facilité au père de famille, vous estimerez alors qu'il y aurait lieu d'introduire dans la loi l'autorisation pour le médecin de rompre le secret professionnel, sur la demande écrite de son client, à l'occasion de son mariage.

Puis aussi l'obligation, pour ceux à qui ces révélations auraient été faites, de les tenir dans le plus absolu secret, sous la menace, en cas de divulgation, de peines très sévères.

D'ailleurs, Messieurs, lorsque notre honorable président, M. le D' Fournier, nous dit qu'à son avis « un médecin peut être relevé du secret professionnel dans des conditions toutes spéciales, alors notamment que le client qui s'est confié à lui sollicite de lui une révélation qu'il juge utile à ses intérêts », ne nous a-t-il pas laissé voir combien, tout en n'admettant pas que le médecin pût jamais de lui-même se croire déchargé du secret médical, il sentait qu'il était désirable qu'il pût en être relevé par l'intéressé lui-même et en certains cas?

Je souhaite donc qu'il paraisse logique et désirable aux membres de la Société que, tout au moins, une addition à la loi soit faite par le législateur.

Ainsi le père de famille aurait la possibilité de demander cette autorisation au futur et pourrait, devant son refus, voir s'il doit prendre une résolution prudente.

Je ne m'arrête nullement aux dires de ceux de nos collègues qui affirment qu'il se créerait des médecins interlopes, capables de donner des renseignements de toute fausseté.

On ne peut évidemment conduire les hommes comme des enfants, ils doivent avoir la responsabilité de leurs actions et s'adresser à bon escient.

Mais encore la société, qui a intérêt à se garantir, doit-elle donner au père de famille la possibilité de le faire.

J'estime pour mon compte que notre devoir, puisque nous sommes assemblés comme Société française de prophylaxie sanitaire et morale, serait de donner au père de famille la possibilité de défendre les siens contre les maladies dont nous préoccupons.

Naturellement dans la mesure possible, sans nous préoccuper si dans l'état de la science il peut y avoir doute. A chaque heure suffit sa peine.

Dans la science comme dans la Société, tout le progrès ne s'est pas accompli en une fois, mais par l'effort des siècles.

Ce sera à nos successeurs d'apporter la solution complémentaire.

Mme Avril de Sainte-Croix. Je n'aurais pas demandé la parole pour répondre à notre confrère M. Berthod, si M. Fortin, pas plus médecin que moi, n'avait pris la parole là-dessus.

On nous avait déjà dit qu'il y avait un honneur militaire, nous ignorions qu'il y avait un honneur ou une conscience médicale.

Je crois qu'il n'y a qu'un honneur et qu'une conscience, ceux de tout le monde. Je ne fais pas l'injure aux médecins de croire qu'ils ont besoin pour leur honneur de privilèges ou sauvegardes spéciaux.

M. Sicard de Plauzoles. Nous avons une conscience, nous n'avons pas besoin pour elle de béquilles. Que la loi nous laisse libres de parler et de nous taire, sous notre responsabilité.

M. Fortin. Je partage l'avis de Mme Avril de Sainte-Croix. Je me refuse à considérer la conscience du médecin comme une conscience supérieure, qu'il ne nous serait pas donné de comprendre, et qui lui conférerait des droits particuliers.

J'admets parfaitement, comme l'a fort bien dit M. le Dr Jullien, que le client se livre au médecin d'une façon entière, naïve, cynique même, et que cette anomalie, résultat de son état de maladie, crée au médecin une situation toute particulière.

Mais je n'admettrai pas qu'il en tire cette conclusion que la conscience du médecin doit être différente de toute conscience. humaine; qu'elle puisse en principe lui permettre de ne pas répondre à l'interrogation du père de famille, et de laisser ainsi contaminer son enfant et toute une génération.

Il ne peut d'ailleurs exister deux consciences, l'une privilégiée, qui dégagerait le médecin de toute responsabilité morale vis-à-vis de la société ; l'autre qui engagerait vis-à-vis de la société tous les autres mortels.

S'il en était ainsi. quels risques ne courrait pas la société?

D'autre part, je répondrai à M. le D' Berthod que je n'ai jamais demandé que le médecin soit relevé du secret professionnel si ce n'est d'une façon toute incidente, et sur l'autorisation formelle des intéressés.

Je suis donc étonné de l'entendre demander la question préa lable au sujet du secret professionnel, et je m'étonne plus encore lorsqu'il vient dire que cette question ne doit pas être débattue devant des profanes.

Les statuts de la Société de prophylaxie sanitaire et morale permettent-ils à tous ses membres de discuter chacune des questions? En serait-il autrement que tous ceux qui ne sont pas

n'auraient plus qu'à se retirer.

docteurs

Si les fondateurs de la Société ont fait appel à la collaboration de tous, c'est qu'ils jugeaient intéressant de connaître leurs opinions.

M. le Président. M. Fortin désire que sa proposition soit soumise à une Commission.

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«Il s'agit de savoir si le médecin peut être relevé de l'obligation du secret lorsque le malade lui aura donné l'autorisation de parler. >>

La Commission chargée d'examiner la proposition de M. Fortin sera présidée par M. Créquy, elle sera composée de MM. FORTIN, VERCHÈRE, PINARD, D' CHAMPETIER DE RIBES, BARRIER, CRUET, SICARD DE PLAUZOLLES, COTTENET, MOTY, CREQUY, VALENTINO.

M. Créquy. - Lorsqu'un médecin a été délivré par son client du secret professionnel, y a-t-il un seul arrêt de tribunal condamnant le médecin qui a dit la vérité sur la maladie de son client?

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M. le Dr Cazalis. Une discussion, comme celle qui vient de s'engager sur les garanties sanitaires du mariage et sur le secret professionnel, honore, Messieurs, notre Société. Quand, il y a 3 ans, je posais la question de l'examen médical avant l'union légale, ce que je réclamais d'abord, c'était une discussion large, élevée sur ce grave sujet, une discussion entre médecins, en nos assemblées médicales; c'est que je la réclamais aussi, et que je l'attendais toujours, de notre Académie de médecine, dans le désir surtout, qui est le vôtre, que ces notions, ces vérités, destinées peut-être à créer un avenir meilleur pour les races, aient le plus de retentissement possible, parviennent à la connaissance de tous ou de presque tous.

Je suis donc satisfait déjà, et cette discussion a été parmi nous ce que je l'espérais. Certaines paroles de M. Fortin, de M. Brouardel, de notre admirable Président, le discours magistral de M. Pinard, cette claire distinction établie par lui entre les risques du conjoint et ceux de la race, et la netteté rassurante de sa conclusion, l'éloquent discours de M. Siredey, ne se peuvent oublier. Enfin, tout en partageant l'opinion de la majorité sur notre obligation de respecter absolument le secret professionnel qui nous lie en l'état présent de la vie sociale, avouerai-je que je suis un peu reconnaissant à M. Cruet et à M. Valentino d'avoir ébranlé peut-être ce grand dogme du secret professionnel tel qu'on l'entend aujourd'hui? C'est que je n'ai guère la religiosité d'aucun dogme, quand le dogme n'est pas scientifique, et que vraiment on pousse trop loin

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