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Quant à violer le secret médical, je répète que je crois que c'est un regrettable procédé. Car c'est le secret d'un autre et non plus le sien propre; le médecin n'en peut disposer pas plus qu'on ne peut disposer d'une chose qu'on ne possède pas. Le malade doit être assuré de trouver chez tout médecin et toujours une discrétion à toute épreuve.

Le médecin doit traiter, doit guérir, doit avertir son client; il doit le mettre en garde, le bien renseigner, lui montrer le danger de sa santé, le triste sort qu'il réserve aux siens, la perte de son bonheur, etc. Mais il ne doit pas dénoncer son malade.

Le médecin lui dit ou lui écrit tout ce qu'il doit lui faire bien savoir; le malade a ensuite toute la responsabilité de sa conduite; le médecin doit rester le conseiller discret, le confident sûr et le guérisseur; voilà son vrai rôle et sa noble mission.

M. Bruchet.

Permettez-moi, Messieurs, de dire quelques mots pour appuyer la protestation de notre collègue Barthélemy et pour m'élever contre les conclusions de la Commission du « Secret médical ». Vouloir nous délier du secret professionnel, dans le cas qui nous occupe, c'est nous offrir un présent dangereux et illusoire.

Que se passe-t-il quand un adolescent contracte une maladie vénérienne? Le plus souvent il se garde bien d'aller trouver le médecin dont il reçoit habituellement les soins; il court, quand ce n'est pas chez un pharmacien de circonstance, chez un praticien qu'un ami ou une affiche lui aura indiqué, qui est un spécialiste plus ou moins autorisé et estimable, mais pour qui il sera un «< inconnu qui n'a pas dit son nom et qu'on n'a pas revu ».

Le petit nombre des contaminés, ceux qui ont l'esprit plus droit, mieux avisé, certains qu'ils peuvent compter sur la discrétion absolne et permanente de leur médecin de famille, viennent lui confier leur malheur et se soumettre docilement à sa direction pendant tout le temps nécessaire à leur guérison; ceux-là, ce n'est, vous pouvez en être sûrs, que quand, ils en auront reçu l'autorisation formelle qu'ils songeront à contracter mariage.

Lorsque le public saura que le médecin n'est plus tenu de garder rigoureusement le secret professionnel, ces derniers malades, ces bons et loyaux jeunes gens, pourrait-on dire, eux aussi fuiront leur médecin de famille; et celui-ci, le seul, notez-le bien, auquel

puissent s'adresser les parents de la jeune fille intéressée, ne verra plus aucun vénérien; les maladies de cet ordre resteront, plus que jamais, honteuses, secrètes et ignorées.

Et alors voyez les conséquences de cet état de choses lorsqu'un père, soucieux de s'assurer qu'il n'a rien à craindre pour sa fille et ses petits-enfants -de la part de son futur gendre viendra, avec naturellement l'autorisation de celui-ci, faire sa petite enquête auprès du médecin reconnu pour celui de la famille; il ne pourra que s'entendre affirmer de très bonne foi qu'on est indemne de toute atteinte, même si, en réalité, il en

est tout autrement.

Une seconde résultante plus regrettable, c'est que ces jeunes gens qui ont échappé à la vigilance de leur conseiller habituel, auront le plus souvent suivi un traitement écourté et fatalement insuffisant et seront aussi dangereux que réputés inoffensifs.

Et puis que fera-t-on à l'égard de la foule énorme des malades de la clientèle hospitalière ? Tiendra-t-on pour eux un registre spécial qu'on consultera au moment de leur mariage !...

A mon avis, ce que nous devons faire, c'est, comme se le propose la Société de Prophylaxie, d'instruire la jeunesse masculine par tous les moyens possibles, c'est de faire connaître et craindre le péril vénérien, puis de suivre la tradition en usage, de laisser au médecin la sauvegarde du secret professionnel et de le fortifier ainsi dans son rôle élevé de conseiller et d'arbitre qui décide, en toute connaissance de cause et sans avoir à rien révéler, du jour où celui qui s'est confié à lui a le droit de se marier.

M. Honnorat.

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On a mêlé deux questions qui devraient être traitées séparément celle des garanties sanitaires du mariage et celle du secret médical en matière de maladies vénériennes.

Je parlerai de cette dernière question seulement. L'article 378 du Code pénal n'est pas fait exclusivement pour le médecin, il vise toutes les personnes dépositaires par profession des secrets d'autrui. Il y a deux manières de divulguer un secret; la divulgation publique et la divulgation privée. Pour être poursuivi par le Parquet pour manquement au secret professionnel, il faut qu'il y ait divulgation publique ou plainte de l'intéressé. Donc, dans le cas qui nous occupe, si les parties intéressées sont d'accord pour que le médecin parle, à les renseigner, il ne saurait être question de

poursuites possibles, le plaignant faisant défaut et la divulgation n'étant pas publique.

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M. Créquy. On ne veut voir dans cette question de la violation du secret professionnel que le coupable; on ne tient aucun compte de la victime.

J'ai eu un cas dans ma clientèle qui m'a laissé songeur sur les conséquences possibles du secret professionnel trop bien gardé. J'ai eu un épileptique sur la santé duquel sa future belle famille était venue avant le mariage me demander des renseignements; je ne dis rien, me retranchant derrière le secret médical. Le jour du mariage cet individu eut une crise d'épilepsie, qui bouleversa l'esprit de chacun; sur les observations qu'on lui fit, le malheureux disparut de la fête et alla se suicider. Je me suis toujours demandé si j'avais bien fait de ne pas divulguer la maladie de cet homme; j'aurais évité un malheur.

M. Le Pileur. Deux mots seulement; je ne pense pas que le nombre de beaux-pères venant consulter le médecin sur la santé de leur futur gendre soit jamais bien considérable et je crois que le bénéfice que l'on retirerait de la violation du secret professionnel ne serait pas compensé par le discrédit qui en retomberait sur le corps médical.

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M. Berthod. Je prends la parole pour faire une motion d'ordre. Puisqu'on aborde la question du Secret médical qui est une des principales qualités de notre profession et que, d'après M. Cruet, on est en train de faire une fissure dans ce bloc (ce qui décèle la tactique et la marche que veulent suivre les adversaires du Secret médical), je demande qu'on discute la question dans toute son ampleur. Avant de prendre toute espèce de résolution, nous désirons passer au crible et argumenter le rapport de M. Moty; je demande donc, avant de passer au vote à son sujet, de pouvoir le lire à tête reposée, c'est-à-dire la publication préalable au Bulletin.

M. le Président. Il sera donné satisfaction à cette demande.

M. Berthod. Il a été question de l'ignorance des masses... Rien n'est plus vrai; aussi le besoin se fait absolument sentir d'organiser les Conférences dont il a déjà été si souvent question.

M. le Président.

Nous y travaillons en ce moment; nos

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comités vont recevoir prochainement une convocation à ce sujet. Du reste, nous avons déjà fait toute une série de conférences, et nous avons actuellement une liste de vingt conférenciers, mais on nous demande des pièces et des appareils à projections, etc., et vous ne vous doutez pas à combien de frais cela entraîne: il faut acheter des appareils, les entretenir en bon état, les loger, et avoir un personnel qui les fasse fonctionner et qui voyage avec eux. Tout cela exige une organisation très complexe, qui ne s'improvise pas.

M. Cruet. Je ne voudrais pas que la remise de la discussion du rapport de M. Moty fût un moyen d'arriver à son ajournement indéfini. Je crains que M. Berthod n'espère par là arriver à supprimer cette discussion qui le gêne et qu'il soit le seul à demander l'ajournement. S'il a l'intention de vous apporter des documents sérieux sur ce sujet, j'accepterais volontiers la remise de la discussion, sinon je demanderais le vote immédiat.

M. Berthod. Je voudrais faire remarquer que je ne demande pas une mesure d'exception ou de faveur, mais une motion d'ordre. Il serait déplorable que la Société acceptât de voter au pied levé sur des conclusions insuffisamment étudiées.

M. le Président.

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Je prie maintenant la Société de revenir à la question primitivement proposée à savoir, l'examen d'un Avis à remettre aux futurs conjoints (avis d'hygiène spéciale, rédigé par MM. Jullien et Darier). Il y a lieu, soit de le modifier, soit de l'adopter, soit de le refuser, mais il faut le discuter.

M. Jullien. Nous voudrions d'abord qu'on votât sur le principe d'un avis hygiénique à remettre aux futurs conjoints. Ensuite, nous nous tiendrons prêts à en discuter les termes et à modifier le texte selon les indications de la Société.

M. Darier. Comme M. Jullien, je demande un vote préalable sur le principe de l'avertissement à remettre aux fiancés.

M. le Président.

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Je mets aux voix la question suivante : « La Société est-t-elle convaincue de l'utilité prophylactique de remettre aux futurs conjoints un avis spécial? »

Adopté à l'unanimité moins une voix.

Le principe d'un avertissement étant adopté, il y a lieu d'en peser les termes. Relisez le texte du document publié dans le Bulletin n° 6 de cette année 1903.

M. Petit (Paul). La Commission a-t-elle sérieusement la pensée et le projet de mettre ce factum entre les mains des jeunes filles?

M. Honnorat. Je ne veux pas discuter le détail de l'avis, mais, après avoir voté sur la question de principe et l'avoir adoptée, je ne pense pas qu'il soit possible de mettre entre les mains des jeunes filles ce factum tel qu'il est rédigé. Il faut, ou bien que l'on en rédige deux, ou bien que celui qui nous est proposé ne soit remis qu'aux familles des futurs conjoints et jamais aux jeunes filles.

M. Poincaré (Henri). Il est mieux de distribuer deux avis, l'un pour les hommes, l'autre pour les femmes.

Mme Avril de Sainte-Croix. Je crois qu'il est nécessaire, ainsi que le pense M. Honnorat, de distribuer cette notice aux parents de la jeune fille lorsqu'elle en a; mais je crois également nécessaire, dans certains cas, de la leur remettre directement; c'est le cas pour les jeunes filles sans famille.

M. Salmon.

Je crois à la nécessité de deux notices distinctes, l'une pour les hommes, l'autre pour les femmes.

M. Honnorat. Je soumets à la Société une proposition nouvelle ainsi conçue :

«La Société exprime le vœu que les officiers de l'état civil remettent, au moment de la publication des bans de mariage, aux parents des futurs conjoints et, au besoin, directement à ceux-ci, une notice appelant leur attention sur le danger des maladies véné

riennes. »

M. Jullien.

M. Honnorat.

Qui rédigera cette notice?

C'est la Commission dont vous êtes rapporteur. La notice qui nous a été présentée ne me semble pas admissible pour tous les cas, car elle ne me paraît faite que pour

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