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comme une autre, comme la tuberculose par exemple. On prend la syphilis comme on prend la tuberculose, et inversement, sans que l'on puisse en faire une maladie honteuse, infamante. M. Bérenger propose d'employer des périphrases. Pourqnoi ne pas dire franchement, légalement, le mot vrai, scientifique? Et j'en veux au succès du mot de Brieux, la périphrase avarie. Dans les urinoirs, on emploie le mot maladies secrètes, et ce mot trompe tout le monde. Même au café-concert, on n'ose pas employer le terme syphilis, on parle d'avarie, de rougeole!... Où la pudeur va-t-elle se loger? Depuis quand est-il inconvenant de se servir du terme employé par la science médicale? On ne risque même plus la moindre protestation du public. On aurait pu, en vérité, laisser jouer les Avariés sur la scène sans crainte. La censure aussi a été pudibonde d'une manière regrettable, puisque c'est aux dépens de la santé publique. Ne sait-on pas que les poètes ont employé le mot syphilis, bien plus élégant, que ceux qui sont proposés pour le gazer. Notre Société de Prophylaxie est à la tête du mouvement, du progrès qui se fait dans le public; notre Société doit, sans crainte de froisser quelqu'un, employer les termes scientifiques, syphilis et blennorrhagie. Il n'en est pas de plus convenables.

M. Merklen (Prosper). Je viens soutenir la proposition de M. le sénateur Bérenger. Il s'agit moins de ce qui est décent, de ce qui est dangereux, de ce qui est moral, que de ce qui est pratique. Or, il me semble que bien des gens seront encore choqués des expressions syphilis et blennorrhagie, et feront par suite échec au but que nous nous proposons. Qu'ils aient tort, cela est bien certain. Mais là n'est pas la question; ce qu'il faut, c'est savoir comment réussir. Pour être une société de progrès, la Société de Prophylaxie sanitaire et morale doit cependant, avant tout, compter avec son temps; elle doit vivre avec les mœurs d'aujourd'hui d'abord, les réformer ensuite, si elle veut obtenir des résultats sérieux et durables.

Mme Edwards-Pilliet. - Dans les Universités populaires et dans les Conférences faites aux ouvriers et ouvrières, j'ai toujours appelé les maladies contagieuses par leur nom. Jamais, chez les hommes et les femmes, les apprentis des deux sexes qui suivent si attentivement nos causeries, je n'ai reconnu la moindre gêne devant l'expression scientifique. Dans les questions à la fin des causeries, ils

reprennent nos expressions, réclament des éclaircissements et n'ont jamais paru scandalisés de l'emploi des mots blennorrhagie et syphilis. Je crois qu'il en eût été autrement si nous avions employé des expressions plus usuelles, mais moins scientifiques.

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M. Eudlitz. Je puis confirmer, en ce qui me concerne, ce que vient de dire Mme Pilliet. J'ai fait à plusieurs reprises des conférences sur ces matières dans les Universités populaires. Des dames y assistaient et jamais elles n'ont paru choquées d'entendre les termes spéciaux qui convenaient à mon sujet.

M. Bérenger. Je pose une question: « Ne pensez-vous pas que vos avis ne pourront être distribués qu'autant qu'ils auront été acceptés par les maires et la préfecture de police? » Or, si la crudité des termes subsiste, ou bien on n'obtiendra pas l'autorisation, ou bien, si elle est donnée, les protestations générales ne tarderont pas à la faire supprimer.

M. Fortin. L'observation de M. Bérenger est bonne. Le Conseil municipal s'occupe déjà de ces questions d'hygiène publique ; si on y discutait comme ici, les avis contraires seraient prédominants; l'opinion publique n'est pas encore suffisamment préparée.

M. Ferdinand-Dreyfus. Je ne discute que la partie administrative de la question. A Paris les maires sont des délégués du préfet de la Seine: pour que la notice soit remise aux parents des futurs conjoints, il suffira d'une instruction de ce fonctionnaire. La préfecture de police n'a rien à voir dans cette instruction. Dans les départements les maires sont élus comme officiers de l'état civil, ils sont délégués du pouvoir central. Mais leurs devoirs sont tracés par le Code civil. Les préfets ne peuvent avoir sur eux. en la matière qui nous occupe, qu'une action indirecte, une mission de conseil. Ils pourront, par des circulaires, les inviter à communiquer notre notice; mais ils ne pourront pas les J forcer à moins que la loi n'intervienne.

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M. Maur. Il a été dit tout à l'heure que la préfecture de police pourrait accepter ou refuser de faire faire par les maires telle ou telle communication. Cette assertion n'est pas exacte. A Paris, les mairies dépendent de la préfecture de la Seine et non

de la préfecture de police. En province, les maires reçoivent leurs instructions des préfets. Il suffira que le ministre de l'Intérieur donne une instruction en accord avec les vœux de la Société pour qu'aucune résistance légale ne puisse se produire. Il serait d'ailleurs bien surprenant que l'on constatât de la mauvaise volonté pour une amélioration qui ne peut faire aucun mal à personne, qui peut être bienfaisante à beaucoup, qui ne coûtera pas grande dépense et qui ne causera vraiment pas grand dérangement.

Je crois, pour ma part, que l'opinion publique verra avec satisfaction le souci qu'on prend de l'avenir des populations, et que les mesures pour garantir la santé publique seront maintenant accueillies avec faveur.

M. le Président.

Les opinions contraires ayant pu développer leurs arguments, la Société me semble être suffisamment documentée. MM. Jullien et Darier ont accepté les diverses modifications qui ont été signalées. Je vais donc consulter l'Assemblée uniquement sur la question de savoir si, dans les notices qui doivent être remises aux futurs conjoints, à leurs ayants droit ou à leurs représentants, parents ou tuteurs, les termes blennorrhagie et syphilis doivent être conservés.

La Société, consultée, émet, à une très grande majorité, l'opinion que les mots syphilis et blennorrhagie doivent figurer dans les notices sanitaires destinées aux futurs conjoints.

Il est à remarquer qu'aucune des onze dames présentes à la réunion n'a voté contre les termes techniques.

M. le Secrétaire général. Je me félicite que la Société de Prophylaxie ait, par un vote formel, maintenu, dans les notices sanitaires à distribuer en son nom, les mots blennorrhagie et syphilis. Ces mots n'ont par eux-mêmes absolument rien de choquant ni d'inconvenant. Il faut que le public s'accoutume à les entendre pour qu'il apprenne à se défier et à se préserver du mal que ces mots expriment. Travailler pour la santé publique ne peut être qu'une bonne action et ne doit entraîner la réprobation de personne. A la fondation de la Société, rappelez-vous les reproches qui nous ont été adressés. On voulait que nous baptisions notre Société du nom de Ligue contre la syphilis! « Comment! nous disait-on, vous

voulez combattre les maladies vénériennes, et vous n'osez même pas prononcer leur nom! » Il faut que nous avertissions tous ceux qui peuvent être victimes. Telle jeune fille qui n'aura jamais entendu parler de cette maladie pourra être contaminée le lendemain même de son mariage; et alors quel martyre commence pour elle! Cela se voit souvent, et s'observe dans les milieux les plus élevés, chez les jeunes femmes les plus chastes et les plus dignes, chez les épouses les plus vertueuses, chez celles qui méritent le moins un sort si cruel. La maladie ne les a pas moins atteintes, frappées, mutilées; car il arrive encore aujourd'hui que, comme vous l'a dit M. Brouardel, le fiancé apporte dans la corbeille de noce les maladies les plus contagieuses. Comment ne pas déplorer de si grands malheurs, encore bien plus fréquents qu'on ne le croit? Comment les désigner à la vindicte publique, si on n'ose pas prononcer leur nom? N'ayons pas peur des mots. Efforçons-nous plutôt de faire disparaître les choses. Que les hommes s'arrangent pour ne plus contaminer leurs jeunes épouses, et que les nations fassent ce qu'il faut pour libérer les populations de ces fléaux abominables; dès lors, les jeunes filles n'auront plus à entendre parler de ces plaies, hideuses au moral plus encore qu'au physique. Mais en attendant il est utile que les futures épouses soient prévenues et averties; ainsi de grands malheurs seront plus d'une fois évités. C'est dans ces sentiments que je me réjouis de voir que la Société a le courage d'indiquer d'une manière précise le péril dont il s'agit et d'appeler les choses par leur nom.

M. le Dr Jullien. Je vais donner lecture du texte amendé après discussion et conforme au vote de la Société.

Avis aux futurs conjoints.

De toutes les conditions qui contribuent au bonheur dans le mariage, il n'en est pas de plus importante que la santé.

Certaines maladies, qui se transmettent de l'un à l'autre des époux et atteignent même leur descendance, peuvent être la cause des plus grands malheurs.

Deux d'entre elles, d'un ordre spécial, la blennorragie et la syphilis sont particulièrement redoutables.

La blennorragie, excessivement contagieuse à l'état aigu, est susceptible de se réveiller et de le redevenir si elle n'a pas été complètement guérie. Chez l'homme, elle occasionne quelquefois, par la suite, des rétrécissements, la stérilité et même l'impuissance. Chez la femme, elle peut se propager au bas ventre, et y provoquer des inflammations profondes, qui nécessitent un long repos, parfois des opérations chirurgicales graves, et sont une cause fréquente de stéritité. S'il nait un enfant, il est exposé à revevoir dans les yeux le germe du mal et à perdre la vue. Il est prouvé en

effet, que sur 1000 enfants aveugles, près de 800 le sont du fait de la blennorragie, par la faute de leurs parents.

La syphilis est aussi très contagieuse pendant plusieurs années. Elle menace tous les organes et peut causer la paralysie et la folie. Elle peut tuer les enfants dans le sein de leur mère, les faire naître difformes ou infirmes et dangereux pour leur entourage (source de scandales et de procès avec les nourrices par exemple).

Quiconque, ayant été atteint de l'une de ces maladies, se marie sans avoir la certitude d'en être bien débarrassé, commet un acte criminel; il eût suffi peut-être d'un ajournement de quelques semaines ou de quelques mois, et surtout de soins appropriés, pour écarter tout danger.

Il est donc de la plus élémentaire honnêteté de se soumettre à l'examen d'un médecin avant le mariage.

Le texte, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté par 79 voix

contre une.

III

Le secret médical envisagé au point de vue

des maladies vénériennes.

M. le Président. Nous allons reprendre et terminer la discussion relative au secret médical envisagé au point de vue des maladies vénériennes. La parole est à M. Moty.

M. Moty. Mesdames et Messieurs, avant de laisser clore la discussion, je désire répondre à quelques-unes des objections opposées aux conclusions de votre Commission et présenter encore quelques réflexions personnelles sur la grave question qui nous occupe et qui intéresse non seulement Paris, mais la France entière.

Nous sommes tous d'accord sur ce principe que la loi ne saurait obliger même indirectement le détenteur d'un secret professionnel à violer ce secret sans enfreindre la morale supérieure qui fait de la loyauté le premier devoir de l'homme, et l'article 378 du Code pénal, en consacrant l'inviolabilité du secret, apparaît comme la sauvegarde légale du médecin contre ceux qui prétendraient violer sa conscience, en même temps que celle du client contre le médecin déloyal.

Mais le médecin d'une famille n'est-il pas responsable envers la nourrice de la syphilis du nourrisson qui va lui être confié? Et n'y a-t-il pas une analogie frappante entre la situation d'une nourrice entrant en fonctions et celle d'une jeune fille entrant en ménage,

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