Page images
PDF
EPUB

de vie certainement plus que la syphilis soignée; ma conviction, qui, j'en ai peur, n'entraînera pas la conversion de toutes les compagnies, est qu'un syphilitique, non récent, suffisamment traité, est un bon risque, très supérieur à un malade qui a eu une uréthrite chronique mal soignée et longtemps persistante. J'envisagerai le mariage du premier avec moins de craintes que celui du second. Je m'obstine donc à combattre le vieux préjugé qui considère la blennorrhagie comme bénigne, presque négligeable, la syphilis comme toujours fatalement dangereuse, et ces deux affections comme des maladies honteuses. >>

Aussi, Messieurs, je vous demande, contrairement à l'opinion de M. Bérenger et de M. Fiaux, de mettre la blennorrhagie, au même titre que la syphilis, dans les affections vénériennes que nous cherchons à combattre par tous les moyens.

M. Eudlitz. Je voudrais simplement répondre deux mots à M. Yves Guyot, en ce qui concerne le secret professionnel. Ce dernier ne sera pas compromis par la loi nouvelle, S'il y a une plainte devant les tribunaux, il existe des médecins experts qui ne sont pas liés par le secret professionnel comme le médecin traitant. C'est aux médecins experts à qui les tribunaux donneront la mission de rechercher dans les personnes l'origine de la contamination.

M. Barthélemy. Cette distinction des médecins experts et des médecins traitants a été indiquée déjà par M. le Pr Brouardel, dans la communication publiée dans notre dernier Bulletin. Il est bien entendu que jamais un médecin traitant ne peut dénoncer son malade.

M. Berthod. A propos de la question si importante que nous discutons, je tiens à dire mon vote et à l'expliquer par quelques mots.

Je ne voterai pas le délit pénal de contamination vénérienne, — parce que notre rôle ici est d'instruire et de guérir et non de punir;

parce que l'individu sort de prison plus mauvais qu'à l'entrée, et qu'il s'agit bien de prison, n'est-ce pas? et non d'hospitalisation forcée, que je réprouve aussi d'ailleurs.

Pour ce qui est de la responsabilité civile, nous sommes tous d'accord, je crois et le procès récent auquel il a été plusieurs fois fait allusion aujourd'hui, démontre que les lois actuelles suffisent.

Au surplus, éduquons le sentiment public et les mœurs; la formulation légale viendra ensuite d'elle-même.

Affirmons, répandons la notion de responsabilité, de réparation du préjudice causé par transmission des maladies vénériences ainsi que de toute maladie contagieuse, la variole par exemple, soit par malveillance, soit même par négligence.

Contentons-nous d'être scientifiques, hygiénistes et humains.

[ocr errors]

M. Honnorat. Je désire répondre surtout à M. Yves Guyot, qui considère que la responsabilité civile suffit seule à tout réprimer. Or, je crois que c'est là une erreur. Comme M. Yves Guyot, je crois qu'il n'y aura pas beaucoup de plaintes portées; mais raison de plus pour entourer de toutes facilités la possibilité de se plaindre. Il n'y aura pas à craindre les dénonciations anonymes et les chantages, ainsi que le croit M. Yves Guyot, si l'on exige dans la loi à faire que la plainte vienne directement de la victime.

M. Yves Guyot a parlé tout à l'heure de la responsabilité des autorités, et notamment de celle des maires et de la préfecture de police, en ce qui concerne les prostituées inscrites sur les registres de la police et qui pourraient être dénoncées comme ayant contaminé autrui.

Je tiens à protester contre l'idée qu'il a et qu'on a souvent comme lui de l'existence de prostituées patentées. Nous ne donnons pas, à la préfecture de police, en donnant une carte à une femme, un brevet, un encouragement à la débauche; nous la mettons seulement dans l'obligation de se soumettre régulièrement à des visites médicales. La carte n'est pas dn tout la garantie du gouvernement. D'ailleurs, je vais donner à la Société lecture de la mention imprimée que j'ai fait ajouter aux avertissements et prescriptions que nous remettons aux filles publiques et qui est ainsi conçue :

Obligations et Défenses imposées aux Filles publiques.

Les filles publiques sont tenues de se présenter, une fois au moins tous le quinze jours, et à date fixe, au Dispensaire de Salubrité, pour être visitées.

Il leur est enjoint d'exhiber leur carte sanitaire à toute réquisition des officiers et agents de police.

Elles ne pourront entrer en circulation sur la voie publique avant l'allumage des réverbères et, en aucune saison, avant sept heures du soir, et y rester après minuit.

Rien de provocant dans leur attitude ou leur mise ne devra attirer les regards. Défense expresse leur est faite de parler à des mineurs ainsi qu'à des hommes accompagnés de femmes ou d'enfants, et d'adresser à qui que ce soit des provocations à haute voix ou avec insistance.

Il leur est défendu de stationner sur la voie publique, d'y former des groupes, d'y circuler en réunion, d'aller et venir dans un espace trop resserré, et de se faire accompagner ou suivre par des « souteneurs ».

Les abords des églises, temples, écoles et lycées, les passages couverts, les boulevards, les Champs-Élysées, les gares et leurs abords et les jardins publics leur sont interdits.

Il leur est défendu de prendre domicile dans les maisons où existent des pensionnats ou externats.

Il leur est également défendu de partager leur logement avec un concubinaire ou avec une autre fille.

Elles ne devront jamais racoler par leurs fenêtres.

Celles qui contreviendront aux dispositions qui précèdent, celles qui résisteront aux agents de l'autorité, celles qui donneront de fausses indications de demeures ou de noms, encourront des peines proportionnées à la gravité des cas.

AVIS IMPORTANT. La carte délivrée aux filles au moment de leur inscription ne constitue pas une autorisation et ne saurait être considérée comme un encouragement à la débauche, ni comme un obstacle au travail.

dans

La carte permet à l'Administration de s'assurer si les filles publiques leur intérêt personnel comme dans celui de la santé publique se soumettent aux visites sanitaires qu'elles doivent périodiquement subir tant qu'elles se livrent à la prostitution.

La radiation des contrôles et le retrait de la carte peuvent toujours être prononcés sur la demande des intéressées quand il est prouvé qu'elles ne tirent plus leurs moyens d'existence de la prostitution.

Les vérifications nécessaires sont, d'ailleurs, faites avec réserve et discrétion.

En résumé, nous ne donnons pas un brevet à une fille. Quand nous lui délivrons une carte, cela ne veut pas dire qu'il faut qu'elle se prostitue; nous lui imposons les prescriptions de propreté et d'hygiène. Je crois donc, dans ces conditions, que nous ne pouvons redouter de voir un jour poursuivre les maires ou le Préfet de police.

En ce qui concerne les maisons de prostitution, j'ajouterai que les filles y sont beaucoup plus saines que celles qui sont dans la rue. J'en fournirai plus tard des chiffres statistiques qui constituent de cette assertion une preuve indiscutable.

Pour conclure, je crois juste et équitable d'estimer que la nécessité d'un délit pénal existe. Nous n'aurons pas beaucoup de plaintes, soit; mais la crainte sera d'un excellent effet.

[ocr errors]

M. Hayem (Henri). Je voudrais critiquer l'argumentation de M. Yves Guyot sur un point nettement déterminé.

M. Yves Guyot a posé devant nous l'alternative suivante : Ou bien le ministère public aura toute liberté pour intenter l'action publique en cas de délit de contamination vénérienne; ou bien il n'en aura pas le pouvoir, et l'action publique ne pourra être intentée que sur la plainte du principal intéressé.

Dans le premier cas, le pouvoir du ministère public entraînerait des conséquences telles que la simple énumération de quelques-unes d'entre elles a suffi pour exciter les murmures de l'Assemblée.

Envisageons donc la seconde branche de l'alternative,

M. Yves Guyot nous dit: Si le ministère public ne peut exercer de poursuites que sur la demande du principal intéressé, c'està-dire de la victime de la contamination vénérienne, alors la notion d'action publique disparaît et nous nous trouvons en présence d'une simple action civile.

Une action publique que la victime aurait seule le droit de mettre en mouvement, voilà ce que nous dit M. Yves Guyot, ce n'est plus une action publique.

C'est contre cette théorie que je désire m'élever.

Une action publique, c'est un procès intenté au nom de la Société. Ce procès a pour objet de réprimer un acte, qui a provoqué un désordre social.

Mais il n'est pas impossible que la victime d'un pareil acte ait un intérêt et parfois même un intérêt très respectable à ce que cet acte ne soit pas réprimé. Il se peut même que l'acte ne devienne anti-social et par conséquent punissable que par suite du désir manifesté par la victime de voir le coupable poursuivi et puni.

C'est ce qui se produit en matière d'adultère. Notre Code pénal frappe l'adultère de pénalités édictées dans les art. 337, 338 et 339; mais les auteurs du Code ont considéré que le conjoint dont la plainte serait recevable a toute liberté d'accorder le pardon à son époux, de lui faire rémission de sa peine. Les motifs de ce pardon, de cette indulgence sont généralement de telle nature, que l'ordre public cesse d'être intéressé à la poursuite, que la société cesse d'avoir été lésée, que le scandale cesse de se produire, que l'indignation publique n'a plus lieu de s'exercer, que la répression, en fin de compte, manque de base.

Et voilà pourquoi le ministère public ne peut jamais exercer

de poursuites contre l'époux coupable, si le conjoint n'a pas adressé une plainte à cet effet (1).

Or, la question qui nous préoccupe présente, en ce qui concerne la répression, des analogies très grandes avec la question de l'adultère. Comme l'adultère, la contamination vénérienne cause un désordre social évident. Mais ici, comme en matière d'adultère, la victime peut être rattachée au coupable par des liens très respectables, et la Société doit se déclarer incompétente à poursuivre le coupable lorsque la victime elle-même pardonne et se refuse à demander justice.

J'ajoute que nous corrigeons ce que notre principe pourrait avoir parfois de trop absolu, en demandant que les représentants légaux de la victime aient, dans certaines conditions, le droit de déposer une plainte; c'est ce qui a été proposé par MM. Bérenger et Le Foyer. Et j'ai déjà eu l'occasion de dire qu'il serait peut-être possible, dans certains cas, à une nouvelle victime d'un même contaminateur de poursuivre à la fois celui-ci et la précédente victime, lorsqu'il pourrait sembler que cette dernière, en ne déposant pas de plainte contre celui qu'elle savait coupable, serait devenue complice et devrait ainsi encourir une responsabilité pénale.

Mais, quoi qu'il en soit sur les détails d'application, le système est parfaitement juridique; et il est faux de dire que, si la victime peut seule mettre en mouvement l'action publique, nous ne nous trouvons plus en présence d'une action publique, mais d'une action privée.

Nous serons au contraire en présence d'une action publique, par le seul fait que le ministère public, aussitôt la plainte reçue, agira au nom de la Société tout entière.

(1) M. Yves Guyot a objecté que c'était là un cas unique dans notre législation. Quand bien même cela serait, la raison ne serait pas suffisante pour faire écarter une seconde application d'un principe qui serait logique et équitable. Mais, sur ce point encore M. Yves Guyot est dans une erreur complète.

Le ministère public ne peut poursuivre que sur plainte de la partie lésée, non seulement en cas d'adultère, mais encore en cas de rapt par séduction (art. 356, 357 et 358 du C. pén.) lorsque le ravisseur a épousé la fille qu'il a enlevée et que le mariage a été annulé par les tribunaux civils, en cas de délits de chasse ou de pêche sur le terrain ou dans les eaux d'autrui (Loi du 3 mai 1844, art. 26, § 1o), en cas de contrefaçon industrielle (Loi du 5 juillet 1844, art. 45), en cas de diffamations, injures, offenses, outrages contre les particuliers, les cours, tribunaux et autres corps constitués (Loi du 29 juillet 1881, art. 60 et 47, S 1), etc., etc.

« PreviousContinue »