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aux jésuites, ils demandèrent, d'une part, que les petits séminaires fussent soumis à toutes les conditions imposées par la loi aux établissements privés d'instruction secondaire; d'autre part,que tout chef d'un établissement fût tenu,non-seulement de prêter le serment politique, mais encore de jurer qu'il n'appartenait à aucune association ou corporation non autorisée. Je réussis à faire écarter le premier de ces amendements, mais le second fut adopté (1). »

Ainsi les Chambres de la monarchie constitutionnelle s'en tenaient aux anciens principes et ne croyaient pas que l'Etat dût abandonner ses droits. Mais la promesse contenue dans l'article 69 de la Charte excitait les partisans de la liberté d'enseignement, et l'agitation continuait. Quatre années se passèrent, avant qu'un nouveau projet de loi fût apporté au Parlement. M. Villemain, ministre de l'Instruction publique, voulut commencer par la Chambre des Pairs, avec l'espoir qu'un projet qui aurait été voté par la haute Chambre passerait plus facilement dans la Chambre des Députés. Il présenta un projet en 1844 et M. le duc Victor de Broglie en fut nommé rapporteur. Un tel choix offrait à tout le monde de sérieuses garanties de lumière et d'impartialité. M. le duc Victor de Broglie n'était pas seulement un libéral éclairé et persévérant; c'était un sage et religieux esprit. Dans son rapport, abandonna-t-il les droits de l'Etat? Relevons ce court passage, où il définit à merveille la promesse contenue dans l'article 69 de la Charte, dont les agitations catholiques voulaient forcer les termes :

<< Au nombre des grands intérêts qu'il nous est prescrit de régler par des lois distinctes et successives, figurent l'instruction publique et la liberté de l'enseignement. La Charte ne sépare pas l'une de l'autre. L'instruction publique, c'est l'instruction donnée par l'Etat; l'enseignement libre, c'est l'instruction donnée en leur propre nom, par les personnes privées; c'est pour les simples citoyens le droit d'entrer en

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Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps, ut supra.

partage avec l'Etat, de fonder et de diriger des établissements, de même nature que les siens, en se conformant aux lois, en restant soumis à la surveillance des autorités... L'Etat donne et doit donner l'enseignement; l'Etat doit offrir aux populations, de degré en degré, une instruction appropriée à leurs besoins, mais l'Etat n'exerce pas seul le droit d'enseigner; les personnes privées, les simples citoyens ont qualité pour l'exercer comme lui (1). » C'était donc d'un partage du droit d'enseignement qu'il s'agissait alors, mais non de cette liberté illimitée, de cette revendication totale de l'enseignement envers et contre l'Etat, dont on parle maintenant, non pas certes dans les assemblées politiques, on ne l'ose pas encore, mais dans les cercles et congrès catholiques. où l'on ne se gêne plus pour dire tout haut ce que l'on pense tout bas.

M. de Broglie réclamait la prééminence de l'Etat, son droit inaliénable, de surveillance.

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Jusqu'ici, disait-il, nous ne connaissons pas en France de libertés sans limites. Se pourrait-il qu'il en fût autrement en matière d'éducation? Si le droit de s'adresser publiquement à des hommes faits, d'exercer, par la voie de la presse, un certain degré d'influence sur des esprits déjà formés, a besoin d'être réglé dans son exercice, se pourrait-il que le droit d'élel'éducation domestiver, non point ses propres enfants,

que est inviolable et sacrée mais les enfants d'autrui, de rassembler autour de soi plusieurs centaines de jeunes gens, d'exercer sur ces intelligences encore novices une influence à peu près sans bornes, de l'exercer continuellement, en particulier, hors de la vue du public; se pourrait-il, disons-nous, qu'un tel droit pût être abandonnée au premier venu, sans qu'il y eût lieu de lui demander ni quel il est, ni d'où il vient, ni quels sont ses titres à la confiance des familles? (2) On voit qu'au moment même où l'Etat consentait au partage de l'enseignement, il maintenait son pouvoir d'éducation:

(1) Rapport présenté par M. le duc Victor de Broglie à la Chambre des Pairs. Paris, 1844, Dupont éditeur, première partie, page 59 et suiv. (2) M. le duc de Broglie. Rapport déjà cité.

c'ést, qu'én effet, il n'y peut pas renoncer. L'Etat est, par excellence, l'instituteur public de la nation; il a une fonction éducatrice, qui est la plus éminente de toutes celles qu'il remplit pour le compte de la société. I instruit les populations, comme il les protége au dedans par la bonne administration de la justice, comme il les défend contre les agressions du dehors au moyen de l'armée qu'il lève, qu'il discipline, qu'il prépare et qu'il commande et dirige.

Ce pouvoir d'éducation de l'Etat était caractérisé en termes admirables, dans la discussion de la loi de 1844, à la Chambre dés Pairs, par le comte Alexis de Saint-Priest, quand il disait :

« La surveillance de l'Etat doit s'exercer légitimement sur l'éducation publique, non-seulement dans l'intérêt de la religion et de la morale, mais aussi et avec une puissance égale, dans l'intérêt sacré de la nationalité. L'éducation doit inspirer l'amour de la patrie. Si le patriotisme n'était plus au nombre de ces vérités si vraies, qu'il y a quelque naïveté à les démontrer, je concevrais un peu de crainte sur la durée du sentiment national. Selon moi, l'amour du pays doit être énseigné à la jeunesse dans toute sa verdeur, dans toute sa crudité... Je souhaite donc, et je souhaite vivement que le sentiment patriotique soit cultivé dans l'éducation, à l'égal dès sciences et arts, à l'égal de la foi religieuse »> (1).

Il appartenait à M. Guizot, qui était alors président du conseil, de préciser avec toute l'autorité de son expérience et de sa parole éloquente, la situation que l'Etat entend conserver dans les questions d'enseignement. Il le fit, dans des termes qui méritent d'être médités, surtout à notre époque. » Après avoir expliqué ce qu'était l'enseignement sous l'ancien régime, il ajoute :

Qu'est-ce que le régime actuel? La puissance publique appliquée à l'enseignement, et, à côté de la puissance publi

(1) Le comte Alexis de Saint-Priest. Discours prononcé à la Chambre des Pairs, dans la séance du 25 avril 1844, op. cit., page 202.

que, les libertés publiques appliquées aussi à l'enseignement. Plús de petits pouvoirs collectifs, existant par privilége; plus de corporations laïques ou ecclésiastiques. D'une part la puissance publiqué, de l'autre les libertés individuelles.

Quels changements! Quelle révolution ! Tous ces établisséments spéciaux, collectifs, privilégiés, qui existaient autrefois, n'existent plus. Un grand ensemble d'établissements publics s'est élévé à leur place avec un certain nombre d'établissements privés, individuels, semés çà et là dans l'Etat. Toutes les anciennes corporations ont quitté la scène, l'Etat est monté à leur placé, et avec l'Etat les citoyens.

» Et ce n'est pas seulement dans l'instruction publiquequé cetté révolution s'est faite; elle s'est faite partout; c'est le caractère général de notre nouvelle société. Dans la magistrature, dans l'administration, dans l'ordre politique, tous ces petits pouvoirs, toutes ces corporations qui existaient autrefois et qui empiétaient tantôt sur la puissance publique, tantôt sur la liberté des citoyens, ont disparu; et, à leur place, dans tous les grands services publics, comme dans l'enseignement, vous voyez d'une part l'Etat, la puissance publique, et de l'autre, les libertés des citoyens.

>> Le caractère fondamental de notre société est de résider tout entière dans les pouvoirs publics d'une part, dans les libértés individuelles, de l'autre; nous ne nous laisserons jamais détourner de ce point fixe, pour chercher à relever je ne sais quel débris de l'ancien régime, je ne sais quelle apparence des anciennes corporations, des anciennes congrégations.

>> Savez-vous pourquoi le sentiment public parait si méfiant lorsqu'il voit reparaître ces noms ? C'est qu'il voit là un retour à l'ancien régime; le public a un sentiment vrai et juste de son époque, de la société actuelle; il a le sentiment que ces congrégations, ces corporations qu'on essaye de relever, ce n'est pas la France d'aujourd'hui; ce n'est pas la France de la Charte, ce n'est pas la France que la Révolution à faite, ce n'est pas la France dont Napoléon a reconstruit la char

pente politique; ce n'est pas la France dans laquelle nous sommes appelés aujourd'hui à faire rentrer la vie et la force des libertés individuelles » (1)

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On sait que le projet de loi de M. Villemain fut voté à la Chambre des Pairs. Il convient dès lors de rappeler que l'article 3 de ce projet de loi imposait à quiconque voulait ouvrir des établissements ou des cours d'instruction secondaire l'obligation d'affirmer par écrit qu'il n'appartenait à aucune des congrégations religieuses non légalement établies en France. Ce projet de loi rencontra une vive opposition dans la Chambre des Députés, et les droits de l'Etat sur l'enseignement demeurèrent intacts jusqu'en 1849, époque de réaction fatale à laquelle il faut placer une double victoire de l'esprit de l'ancien régime en lutte avec la Révolution française: la campagne de Rome à l'extérieur, et la restauration du pouvoir temporel de la papauté, et la campagne de Rome à l'intérieur, la loi préparée sous le ministère de M. de Falloux et qui votée, en 1850, a gardé depuis son nom. Par cette double victoire, la réaction mit la main sur le pouvoir et sur l'éducation.

La Constitution de 1848, plus explicite que la charte de 1830, avait dit : « L'enseignement est libre; la liberté de l'enseignement s'exerce selon les conditions de capacité et de moralité déterminées par les lois sous la surveillance de l'Etat; cette surveillance s'étend à tous les établissements d'éducation et d'enseignement sans aucune exception.

Il est à noter cependant que, dans le préambule de la Constitution, un amendement tendant à introduire le droit d'enseigner comme un droit naturel et imprescriptible, appartenant à chaque citoyen, avait encore été repoussé.

Mais dès que la réaction prit le dessus et se fit sentir, les idées chères au parti de la liberté d'enseignement, c'est-à-dire au parti catholique, gagnèrent du terrain. Aussi combien M. le comte de Montalembert, le fougueux champion de ce

(1) Guizot. Discours prononcé à la Chambre des Pairs, dans la séance du 6 mai 1844 op. cit., page 632 et suiv.

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