Page images
PDF
EPUB

pouvoir légal (potestatem) de se produire, pouvoir légal qui a été illégalement décoré des noms impropres (inconvénients) de droit et de liberté. D'autre part, on voit qu'il est fort habile (solerter) et utile de « convertir en antidote (in antidotum convertere) le poison même que la société civile porte en son sein: ce qui revient à dire que le droit commun ne doit être considéré que comme un moyen dont il faut se servir pour arriver au vrai but, qui est le triomphe des droits de Dieu et de l'Eglise, et que s'il est permis aux catholiques libėraux de se placer sur le terrain du droit commun, c'est à la condition qu'ils soient prêts à en sortir, quand la force aura passé du côté de l'Eglise.

« On nous demande, disait, il y a quelques années, le plus important et le plus autorisé des journaux ultramontains, ce que nous ferons de la liberté, si nous devenons les plus forts. Inutile préoccupation! Si jamais nous sortons vainqueurs de ce combat entre l'Eglise et la Révolution, la société ramenée à Dieu sera revenue de ses erreurs, et alors nous referons un pacte social chrétien. »

Qu'est-ce que cela? C'est, pour l'appeler du nom que cette doctrine a pris, la Contre-Révolution, c'est la destruction de la société que la Révolution a faite, de la société civile et politique que nous formons, dont nous devons compte aux générations qui nous suivent et qu'il nous appartient de leur transmettre plus forte, plus paisible, plus éclairée et plus libre.

Il n'y a donc pas à hésiter. Il s'agit pour nous d'une question d'existence. Ce n'est pas seulement à la République qu'on en veut; c'est à la société sécularisée, affranchie de la tutelle de l'Eglise, de la domination ecclésiastique, que la guerre a été déclarée. Qui, il est temps, grand temps, de remonter une pente funeste; il est temps de restituer à l'Etat les droits qui lui ont été insidieusement surpris et dérobés, de reconstituer les forces de l'Etat, le pouvoir de l'Etat, si nous ne voulons pas périr.

Cetensemble des droits de l'Etat que la Commission a voulu

remettre sous les yeux de la Chambre dans les questions d'enseignement, vous le connaissez maintenant. Vous avez suivi à travers notre histoire cette tradition ininterrompue de déclarations, d'affirmations, d'actes du pouvoir civil, en présence de prétentions toujours vaincues et sans cesse renaissantes. La France nouvelle refuse de rompre sur ce point avec la France des anciens temps. Elle met sa force et son honneur à s'appuyer sur ces sages et fermes maximes de droit public que la royauté et ses légistes ont constamment opposées aux empiètements de la puissance ecclésiastique, qui ont été reprises et appliquées sans relâche par les hommes d'Etat les plus conservateurs, car c'est à dessein que nous n'avons cité que des conservateurs, afin que leur autorité ne pût être un instant contestée. Notre pays n'a pas cessé d'être ce qu'il a toujours été, un pays de franchise et de liberté, un pays qui a fait sa fortune entre tous les peuples et conquis sa gloire devant la postérité, en résistant à la domination exclusive et jalouse de Rome et de la papauté.

On nous reproche, à nous représentants de la société moderne, d'aller chercher des arguments dans la France d'autrefois, dans l'ancien régime. Déjà M. le comte de Montalembert s'écriait, en 1844, à la tribune de la Chambre des Pairs : << Que veut dire ce sophisme perpétuel qui invoque le droit ancien pour fonder le droit de la France nouvelle? N'est-ce pas une odieuse dérision que d'appliquer l'ancien droit, inséparable de la foi professée par le souverain, de l'appliquer à un gouvernement qui a pour principe la négation de toute foi exclusive, l'incompétence de l'Etat en matière de croyance, l'indifférence légale entre toutes les communions? Avant d'invoquer l'ancien droit, il faut remettre les choses en état. Commencez par reconstituer la France sur la base religieuse d'autrefois alors, et alors seulement, vous pourrez procéder par voie d'analogie contre nous (1) ».

(1) Ch. de Montalembert. Discours à la Chambre des Pairs, séance du 27 avril 1844.

Et M. le duc Albert de Broglie, reprenant en juillet 1876, devant le Sénat de la République, la thèse de M. de Montalembert, devant la Chambre des Pairs, disait à son tour en parlant des vieux droits de l'Etat : « Tout cela faisait partie d'un état social ancien qui a disparu; c'était un tout compacte; je ne dis pas que tout ait péri, mais tout ne peut revivre. Voulez-vous tout reprendre à la condition de faire revivre l'état social lui-même tout entier? Voulez-vous changer avec l'état social où toutes ces mesures étaient applicables (1) ? »

Cette ingénieuse manière de revenir à l'ancien régime ne serait sans doute du goût de personne, pas même de M. le duc de Broglie. Nous reconnaissons volontiers que, de notre ancien droit public ecclésiastique et en matière d'enseignement, tout ne peut pas revivre; mais nous disons aussi, comme M. de Broglie, que tout n'a pas péri, et c'est ce qu'il s'agit aujourd'hui de bien démontrer, en restituant à l'Etat des droits que d'ailleurs il ne pouvait pas abandonner à tout jamais.

En ce qui touche les congrégations religieuses, par exemple, qui sont, comme le dit l'exposé des motifs du projet de loi avec autant de vérité que d'énergie « dans un état de perpétuelle et imprescriptible contravention, M. Thiers disait déjà excellemment à la Chambre des Députés, en 1845:

« Je conviens que l'Etat, par des considérations très loyales, je le reconnais, par la crainte de troubler la paix de l'église, par tolérance, en a laissé exister un très-grand nombre. Le fait a tellement envahi le droit qu'aujourd'hui le nombre des congrégations est considérable. Eh bien qu'est-ce que cela prouve? C'est que le Gouvernement, pour avoir été modéré, s'est créé des difficultés plus grandes. Mais veut-on conclure, de ce que cette tolérance a augmenté les difficultés, que les difficultés sont aujourd'hui insolubles?

>> Veut-on déclarer que l'Etat est vaincu, que la loi est vain

(1) M. le duc de Broglie. Discours prononcé au Sénat, le 20 juillet 1876. -Annales du Sénat, tome IV page 84.

cue? que l'ancien régime est rétabli tout entier, même sans les précautions qui en corrigeaient les abus et les dangers?

» Si c'est cela que vous voulez en conclure, si vous voulez nous donner une véritable contre-révolution sous le rapport religieux, donnez-nous donc l'ancien régime avec ses précautions, avec celles que la sagesse des Parlements, le bon sens de la royauté avaient établies.

D'abord, les jésuites étaient en moins, et il n'y avait pas alors une seule association dont les statuts ne fussent soumis au Gouvernement et approuvés par lui. Et vous voudriez de ce que la tolérance du Gouvernement a créé des difficultés, en conclure l'impuissance actuelle, l'obligation d'assister à tout le passé, même sans les précautions que le passé avait créées. Si c'est votre prétention, il faut le dire, elle est exorbitante; c'est la plus complète des contre-révolutions, c'est la plus insensée; mais sans doute, on n'ira pas jusque-là. (1) »

[ocr errors]

M. Thiers tenait ce discours il y a trente-neuf ans; il ne croyait pas que l'on osât jamais arborer le drapeau de la contre-révolution. Mais nous, c'est à cette politique insensée que nous avons affaire. On veut nous ramener à l'ancien régime: que disons-nous? On a déjà restauré des institutions de l'ancien régime, notamment dans le domaine de l'instruction publique, les Universités catholiques, par exemple, qui partagent avec l'Etat le droit de collation des grades par le système des jurys mixtes; et l'on prétendrait nous empêcher de reprendre les traditions, les droits, les garanties, à l'aide desquels la Société civile et politique d'alors s'est défendue, protégée contre les usurpations ultramontaines! Il faudrait que l'Etat moderne se livrât, les mains liées par ses principes aux ennemis irréconciliables de ses principes et se déclarât sans droits et sans moyens légitimes d'action contre les restaurateurs du passé! En vérité, c'est abuser de la crédule naï

(1) A. Thiers. Discours prononcé à la Chambre des Députés, dans la séance du 2 mai 1845.

[ocr errors]

veté de certains libéraux ou faire preuve d'un scepticisme moral qui n'est guère à l'honneur de notre temps!

Il ne s'agit pas de savoir d'ailleurs si les principes et maximes de droit public qui ont été de tout temps opposés aux prétentions envahissantes de l'ultramontanisme, sont plus ou moins tombés en désuétude, mais de savoir si ces principes et maximes sont conformes à la raison politique, qui est la même pour tous les temps et pour toutes les formes de gouvernement.

Eh bien! méditez ce que dit là-dessus un des philosophes de notre temps les plus instruits et les plus sagaces, M. Charles Renouvier: « De tout temps, dit-il, sous les monarchies comme sous les républiques, et dans les Etats modernes comme dans ceux de l'antiquité, on a cru qu'une fonction légitime et nécessaire de l'Etat consistait à s'assurer des hommes élevés en conformité avec sa propre notion constitutive. Sans cela, tout lui manquerait à la fois pour son service et pour sa conservation même: en d'autres termes, un Gouvernement quelconque implique une justice politique et sociale, des devoirs reconnus, une éducation de la jeunesse pour les inculquer, à tout le moins une surveillance pour empêcher que des principes contraires, destructifs de l'Etat, n'usurpent la domination des âmes. Toutes les sociétés se sont donc reconnu le droit d'élever des hommes, c'est-à-dire de se former de ces membres appropriés à leur esprit que, dans la République, on appelle des citoyens et ailleurs des sujets. Ce droit, elles l'ont puisé dans la conviction où elles étaient de la vérité et de la justice de leur principe. Est-ce pour nous le moment de l'abandonner, quand nous avons de bonnes raisons de penser que notre conviction est meilleure que celle de nos devanciers et que nos principes sociaux sont enfin les vrais? » La vérité renoncerait donc au privilége que l'erreur de bonne foi s'est toujours attribuée! (1) »

(1) M. Charles Renouvier. Les réformes nécessaires; l'enseignement, droit fondamental de l'Etat. - Article de la revue intitulée La critique philosophique, du 18 mai 1876.

« PreviousContinue »