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défiance de nos amis. Il est des temps où la faveur publique est à l'Etat, où les meilleurs amis de la liberté ne se sentent point assez gouvernés. Après des excès de ce genre il arrive, par une réaction naturelle, que les plus fervents amis de l'ordre en viennent à trouver qu'on les gouverne beaucoup trop. C'est alors que l'Etat tombe en suspicion et que sa cause devient impopulaire. Nous comprenons que la politique pratique tienne compte de ces mouvements de l'opinion en sens contraire ainsi que du tempérament plus ou moins libéral des sociétés qu'elle dirige, mais en nous plaçant au point de vue des principes, nous nous demandons ce que la justice et la vraie liberté ont à gagner à l'amoindrissement de l'Etat » (1).

Toutes ces idées sont parfaitement justes. On a le droit de s'étonner que les hommes qui ont tenu dans ce pays la direction des affaires aient pu si facilement abandonner des doctrines si rationnelles, si sages, si souvent mises à l'épreuve et toujours trouvées conformes à la réalité des faits, parfaitement appropriées au génie même de notre nation, fait d'équilibre, de mesure, également éloigné de solutions extrêmes pour se jeter à la suite des docteurs passionnés de l'Ecole ultramontaine. Sous ce rapport, il n'est que trop vrai que les dix-huit années de despotisme tantôt violent, tantôt hypocrite que la France a passées sous le second Empire, ont contribué à dévoyer les esprits, à troubler et obscurcir les plus claires notions de la politique. Ce phénomène a été décrit récemment par un homme d'un rare esprit, M. Ernest Bersot, qui écrivait, avec autant de forte justesse que d'élégance fine et railleuse :

« Le trait distinctif de la période de l'Empire, c'est la confusion des idées, l'étrange concours des partis qui ont travaillé à l'œuvre commune de la diminution de l'Etat. Ceux qui se servaient du nom du libéralisme ont gagné ceux qui aimaient la chose. Ces derniers sont de deux sortes d'abord les libéraux chevaleresques qui auraient honte de rien re

:

(1) M. Etienne Vacherot.- La Démocratie. Préface, pages 18 et suiv.

fuser à des adversaires, puis les libéraux absolus. Il y a la religion, il y a aussi la superstition du libéralisme. Ceux-ci en ont la superstition; ils ont une foi sans réserve dans la liberté; selon eux, elle fait tous les biens et guérit tous les maux; leur nature est d'or; tandis qu'une société est assise dans des maximes reçues, eux, ils s'appuient sur l'avenir, ils se moquent des timidités qu'ils rencontrent, ils coupent le câble. Cependant, que devient l'Etat? Quels risques n'a-t-il pas courus et ne court-il pas dans cette émulation de lé dépouiller! Pour peu que cela continue, s'il en reste quelque chose, il n'en restera pas grand chose; chaque individu pourra répéter : l'Etat, c'est moi! Encore conçoit-on l'avidité de ceux qui demandent; mais on conçoit moins la facilité de ceux qui accordent. Fontenelle, fatigué des affirmations des philosophes de son temps, disait : « Je suis effrayé de l'hor»rible certitude que je rencontre partout autour de moi » ; on pourrait dire, à sa manière : « Je suis effrayé de l'horrible libéralisme que je rencontre partout autour de moi. » Il faut parler bien nettement: libéralisme chevaleresque où libéralisme absolu, il y a un libéralisme qui consiste à donner ce qui ne nous appartient pas » (1).

C'est ce qui est arrivé à deux reprises, en 1850 et en 1873, pour les droits de l'Etat. Certains libéraux les ont sácrifiés aux prétentions des adversaires déclarés de la société politique, laïque et civile, que l'Etat personnifie. Il ont donné ce qui ne leur appartenait pas. Or, comme on ne prescrit pas contre l'Etat, il s'agit de reprendre aujourd'hui ce qui a été indument et injustement donné. Le Gouvernement nous y invite. Il faut le suivre dans la voie où il nous appelle.

Comment, d'ailleurs, pourrións-nous hésiter? Ces lois qui ont dépouillé l'Etat ont été faites, ne nous lassons pas de le redire, par des adversaires de la démocratie, pour tenir en échec la démocratie, pour lui faire obstacle, pour empêcher

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(1) M. Ernest Bersot. Libéralisme et démocratie. Article du Journal des Débats du dimanche 4 mars 1879.

son développement, pour la contenir et la refouler. Eh bien! tout a été inutile. Là démocratie a surmonté tous les embarras qu'on avait accumulés sur sa route. Elle a triomphé. Elle a pris possession du Gouvernement de la société française. Pouvons-nous laisser notre société sous l'empire des lois qui avaient pour objet de s'opposer à la libre expansion de la démocratie? Qui oserait le prétendre?

Mais que l'on se rassure! Ce n'est pas en vue de la restauration impossible d'un passé qui ne peut plus revivre dans toute son intégrité, que votre Commission a jugé nécessaire de mettre la Chambre et le pays, en présence des principes et des doctrines, des maximes et des traditions de notre ancien droit public. On a dit, avec raison, que la pire des révolutions, c'est une restauration. Le Gouvernement ne nous appelle pas à détruire violemment tout ce qui a été fait dans le domaine de l'instruction publique depuis quarante ans. Il nous convie seulement à remonter une pente dangereuse, à reconstituer la part d'action légitime de l'Etat dans les choses de l'enseignement, en un mot, à reprendre une politique qui n'aurait jamais dû être abandonnée.

Les envahissements de l'ultramontanisme sont arrivés à leur terme. Le Gouvernement de la République se sépare avec éclat de la politique qui a jusqu'à présent fermé les yeux sur ces envahissements, quand elle ne les a pas favorisés. Voilà toute la signification du projet de loi; voilà sa portée; voilà ce que la France doit y voir. Et cela même est un événement considérable qui expliqne l'émotion des partis de réaction dont l'ultramontanisme est aujourd'hui le lien commun, et qui explique aussi la vive sympathie témoignée par la démocratie républicaine à des mesures réparatrices et depuis longtemps attendues.

Il s'agit bien d'une œuvre de réparation, en effet, et rien que de cela. Sans retourner jusqu'à l'ancien régime, il faut retourner sur nos pas, parce que nous avons fait fausse route. Mais cela même est difficile, et il y faudra du temps, de la pa

tience, de la résolution, de la ténacité même. C'est le cas de dire avec le poëte :

facilis descensus Averno est;

Noctes atque dies patet atri janua ditis :

Sed revocare gradum superasque evadere ad auras
Нос opus, hic labor est (1).

Pour cette œuvre, pour ce labeur, le Gouvernement a compté sur le concours dévoué des représentants de la nation. Ce concours ne lui fera pas

défaut.

(1) Virg. Eneid, lib. VI, 126-129.

DEUXIÈME PARTIE

Examen des pétitions adressées à la Chambre des Députés.

Nous avons dit que le projet de loi déposé par M. le Ministre de l'Instruction publique avait été accueilli par les partisans, les défenseurs et les bénéficiaires de la loi de 1875, qu'il s'agit aujourd'hui de réviser et de réformer, avec défiance, mécontentement et irritation.

la

Des protestations contre ce projet de loi se sont élevées dans presse des partis de réaction, dès le jour où il a été apporté à la Chambre. Il fallait s'y attendre. Mais si le projet de loi a été attaqué, il a été défendu. C'est le jeu normal et régulier de la vie publique dans un grand pays libre: il n'y a rien à dire à cet égard.

On devait s'attendre également à d'autres protestations émanant des citoyens rattachés au parti qui se donne pour le défenseur attitré de la liberté de l'enseignement. Un comité s'est constitué à Paris pour organiser, dans toute l'étendue de la République, un vaste pétitionnement, recueillir des signatures, réunir et grouper des adhésions plus ou moins conscientes et volontaires à la loi actuellement en vigueur. Jusqu'au 29 mai, date du dépôt du présent rapport sur le bureau de la Chambre, ce pétitionnement, annoncé à grand fracas, n'a pas donné d'autres résultats dont votre Commission ait été saisie que les pétitions dont les tableaux vous sont présentés plus loin (1).

(1) Voir aux annexes, l'indication sommaire des pétitions déposées à la questure de la Chambre des Députés, à la date du 29 mai 1879 : annexes I, II et III.

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