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nous le voulons. Cette conformité de volontés nous est facile, car nous avons l'honneur d'appartenir à un pays où règne le respect de tous les cultes, de toutes les opinions en matière religieuse, où la liberté de conscience la plus absolue est écrite dans les mœurs comme dans les lois, où l'on est tolérant même envers les intolérants, où l'on respecte les opinions même de ceux qui ne respectent pas les opinions des autres » (1).

Cette politique équitable et modérée est toujours celle de la Chambre, et le Gouvernement nous permettra de dire que c'est aussi la sienne. Nul ne songe parmi nous à déchaîner la guerre religieuse, la pire de toutes, la plus implacable, la plus funeste, celle que les Gouvernements sages doivent éviter à tout prix comme le plus grand des fléaux.

On nous dit que le Gouvernement veut inaugurer une sorte de Kultur-Kampf français. On est obligé d'aller chercher au dehors, à l'étranger, un nom pour désigner une politique qui n'est pas, qui ne peut pas être celle de la France.

La République n'a pas entrepris de réduire les prétentions croissantes de l'ultramontanisme en Europe. Elle veut simplement se protéger contre des empiètements qui lui sem blent dangereux. Elle restitue à l'Etat les droits qui lui avaient été indûment enlevés; elle rentre dans la tradition nationale; elle s'y installe, assurée d'y trouver tout ce qu'il faut pour faire respecter la société civile et laïque, issue de la Révolution française, contre toutes les entreprises qui peuvent la menacer. La République n'est pas un gouverne~ ment de guerre;, c'est un gouvernement de paix, dé paix à l'intérieur comme au dehors.

Il se peut qu'on ait rêvé de déplacer la querelle du Sacer doce et de l'Empire. Nous ne sommes pas l'Empire, et nous ne prétendons à rien de plus avec le Sacerdote qu'à obtenir

(1) M. V. Guichard. Rapport présenté à la Chaimbré đés Députés bur Budget des Cultes, exercice: 1878), page 10

qu'il nous laisse fonder nos institutions, reprendre nos franchises, enfin nous arranger de manière à n'avoir autant que possible que des conflits faciles à régler, s'ils ne peuvent être évités. La République a la garde et la gestion d'intérêts essentiellement pacifiques, et libéraux. Elle n'est pas agressive; elle est tolérante. Elle n'a pas le zèle d'un apôtre; elle n'a pas non plus la passion d'un ennemi sectaire et fanatique. Elle n'envahit pas le domaine des consciences, quoi qu'on en dise; mais elle entend faire respecter son droit, tout son droit et rien que son droit. A ses yeux, la raison suffit pour fonder l'ordre. Elle ne conçoit l'ordre vrai qu'autant qu'il repose sur la liberté, et elle entend travailler au bien de la société, au progrès qui en est la formule, que par l'ordre et la liberté en répandant l'instruction et la lumière, en aidant au développement et à la diffusion de la science, mère de la civilisation. Tout cela, qu'on nous permette de le dire, constitue une philosophie politique, qui ne risque pas de heurter les an- › ciennes prétentions communes au Sacerdoce et à l'Empire, à l'occasion desquelles tant de disputes théologiques et juridiques, tant de querelles, de rivalités et de guerres intestines ont pu s'établir.

Voilà pour la théorie. Quant aux faits, est-ce que le projet est plus attaquable? L'enseignement de l'Etat serait-il devenu tout à coup irréligieux? Propose-t-on de supprimer l'enseignement religieux dans les lycées et les collèges? A-t-on expulsé les aumôniers de ces établissements? Et cependant, ne connaissons-nous pas des milliers de nos concitoyens qui demandent la sécularisation complète de l'instruction publique, et qui réclament la séparation de l'Eglise et de l'Ecole ? Si cette réforme était faite, si le principe de la laïcité complète, absolue de l'enseignement était appliqué, cela voudrait-il dire que le Gouvernement déclare la guerre aux religions? Est-ce que la guerre religieuse est déchaînée en Hollande, aux Etats-Unis, dans les pays où la religion est enseignée partout ailleurs qu'à l'école ? Que signifient ces exagérations, ces violences de langage? Qui est-ce qui parle de décatholiciser la France ? Où

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est-ce qu'on a vu les membres laïques du Gouvernement payer de retour et de leur propre monnaie les membres de l'épiscopat qui ne rougissaient pas de s'abaisser à les injurier? De quel côté vient le décri? Qui fait entendre les paroles acrimonieuses, les récriminations amères, les menaces? Et d'un autre côté, quand donc a-t-on pu surprendre dans une bouche épiscopale, sous la plume d'un évêque, un mot d'encouragement et de confiance à l'adresse de ce pays qui s'est sauvé, relevé, reconstitué par les seules forces de son courage, de sa sagesse et de sa volonté ? De quel parti est le clergé supérieur? Hélas! on ne le sait que trop. Le moins qu'il puisse dire, c'est qu'il a rendu à César ce qui appartient à César; et comment tient-il sa parole?

Le gouvernement de la République ne s'inquiètera pas, ne s'irritera pas de l'usage prudent ou imprudent, convenable ou inconvenant qu'on pourra faire des libertés générales et de la tolérance qui a été témoignée de tout temps aux ministres du culte. M. Guizot, qu'il ne faut pas se lasser de citer, car il était homme de gouvernement et son autorité est restée grande parmi les conservateurs, M. Guizot disait :

<< Nous ferons notre devoir de gouvernement, rien de plus; maintenir l'ordre et protéger toutes les libertés, celles dont on abuse comme celles dont on use légitimement. Et quand il nous arrivera, comme cela peut nous arriver, d'être contraints de réprimer quelques écarts de ces libertés, nous le ferons avec grande modération et tolérance. >>

Douceur et fermeté, résistance calme et énergique, tolérance, voilà les armes des gouvernements civils modernes contre le fanatisme et l'esprit de secte. De persécution, jamais; de guerre atroce, violente, pas davantage. M. Laboulaye disait à l'Assemblée nationale de 1871, dans un de ses rapports:

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L'Eglise, il faut l'accepter. Il n'y a que trois procédés vis-à-vis de l'Eglise il faut lui donner le pouvoir, il faut l'écraser ou il faut lui donner la liberté. »

Il y a peut-être un quatrième procédé qui consisterait, sans rien céder à l'Eglise non plus que sans la violenter, à la ré

duire à l'égalité du droit commun, c'est-à-dire à l'obéissance de la puissance civile dans les choses du temporel. Mais, dit-on, l'Eglise résistera, car elle ne peut subir un tel joug. Et pourquoi donc? Comment ne pas voir dans cette résistance même l'aveu de l'esprit de domination? Or, cette domination est finie et ne peut plus être restaurée, du consentement de la société civile et laïque : voilà ce qu'il faut que les évêques sachent, afin de régler différemment leur conduite à l'avenir.

C'est sous l'empire de ces considérations que votre Commission a décidé de proposer à la Chambre de passer à l'ordre du jour pur et simple sur les pétitions à elle adressées à l'occasion du projet de loi sur la liberté de l'enseignement supérieur.

TROISIÈME PARTIE

Discussion des articles du projet de loi.

Nous arrivons maintenant au projet de loi actuellement soumis aux délibérations de la Chambre et que votre Commission a été spécialement chargée d'examiner.

Nous avons dû tout d'abord rechercher quelle était, dans la pensée du Gouvernement, l'inspiration première à laquelle il a obéi en le proposant à l'adoption de la Chambre. Il nous a paru que cette pensée maîtresse était l'urgente nécessité de reconstituer les pouvoirs de l'Etat sur l'enseignement; et c'est pourquoi nous avons cru devoir rechercher dans l'histoire, dans les traités de droit public, en les précédents parlementaires, comment ces pouvoirs avaient été entendus jusqu'à présent ou plutôt jusqu'à la loi de 1850, car c'est cette loi qui a véritablement innové en cette grave matière et introduit les modifications les plus importantes dans notre législation scolaire. La première partie de ce rapport est donc comme un vaste Exposé de motifs à l'appui des solutions que votre Commission a données aux questions renfermées dans le projet de loi qui lui a été renvoyé.

Un complément nécessaire de cet Exposé des motifs se trouve aussi dans la seconde partie de ce Rapport, où sont examinées les pétitions adressées à la Chambre, et notamment celles de l'épiscopat sur la liberté de l'enseignement supérieur.

Il ne nous reste plus, dans cette troisième partie, qu'à justifier les résolutions adoptées par la Commission sur chacun des articles.

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