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cevoir par le vasistas M. de Rémusat dans la cellule qui faisait face à la sienne. M. de Rémusat était monté accouplé à M. Duvergier de Hauranne.

- Ma foi, monsieur Marc Dufraisse, cria Duvergier de Hauranne quand ils se coudoyèrent dans le couloir de la voiture, ma foi, si quelqu'un m'avait prophétisé : Vous irez à Mazas en voiture cellulaire, j'aurais dit : C'est invraisemblable; mais si l'on avait ajouté Vous irez avec Marc Dufraisse, j'aurais dit : C'est impossible!

Lorsqu'une voiture était remplie, cinq ou six agents y montaient et se tenaient debout dans le couloir. On refermait la porte, on relevait le marchepied et l'on partait.

Quand les voitures cellulaires furent pleines, il restait encore des représentants. On fit, nous l'avons dit, avancer des omnibus. On y poussa les représentants pêle-mêle, rudement, sans déférence pour l'âge ni pour le nom. Le colonel Feray, à cheval, présidait et dirigeait. Au moment d'escalader le marchepied de l'avantdernière voiture, le duc de Montebello lui cria - C'est aujourd'hui l'anniversaire de la bataille d'Austerlitz, et le gendre du maréchal Bugeaud fait monter dans la voiture des forçats le fils du maréchal Lannes.

Lorsqu'on fut au dernier omnibus il n'y avait que dix-sept places et il restait dix-huit représentants. Les plus lestes montèrent les premiers. Antony Thouret, qui faisait à lui seul équilibre à toute la droite, car il avait autant d'esprit que Thiers et autant de ventre que Murat, Antony Thouret, gros et lent, arriva le dernier. Quand il parut au seuil de l'omnibus dans toute son énormité, il y eut un cri d'effroi : Où allait-il se placer ?

Antony Thouret avise vers le fond de l'omnibus Berryer, va droit à lui, s'assied sur ses genoux et lui dit

:

avec calme Vous avez voulu de la compression, mon

sieur Berryer. En voilà.

XV

MAZAS

Les voitures cellulaires, convoyées jusqu'à Mazas par les lanciers, trouvaient à Mazas un autre escadron de lanciers pour les recevoir. Les représentants descendaient de voiture un à un. L'officier commandant les lanciers se tenait à côté de la portière et les regardait passer avec une curiosité hébétée.

Mazas, qui a remplacé la Force, aujourd'hui démolie, est une immense bâtisse rougeâtre, élevée, tout à côté de l'embarcadère du chemin de fer de Lyon, sur les terrains vagues du faubourg Saint-Antoine. De loin on la croit en briques, de près on reconnaît qu'elle est construite en cailloux noyés dans le ciment. Six grands corps de logis à trois étages, se touchant tous au point de départ et rayonnant autour d'une rotonde qui est le centre commun, séparés par des cours qui vont s'élargissant à mesure que les corps de logis s'écartent, percés de mille petites lucarnes qui sont les jours des cellules, entourés d'une haute muraille, et présentant à vol

d'oiseau la figure d'un éventail, voilà Mazas. De la rotonde qui fait le centre s'élance une sorte de minaret qui est la cheminée d'appel. Le rez-de-chaussée est une salle ronde qui sert de greffe. Au premier étage est l'autel, où un seul prêtre dit la messe pour tous, et l'observatoire, où un seul surveillant veille sur toutes les portes de toutes les galeries à la fois. Chaque corps de logis s'appelle division. Les cours sont coupées par de hauts murs en une multitude de petits promenoirs oblongs.

Chaque représentant, à mesure qu'il descendait de voiture, était conduit dans le rond-point où est le greffe. Là on prenait son nom, et on lui donnait en échange de son nom un numéro. Qu'on soit un voleur ou un législateur, cela se pratique ainsi dans cette prison; le coup d'État passait le niveau. Une fois le représentant écroué et numéroté, on le faisait « filer». On lui disait : Montez, ou : Allez, et on l'annonçait au bout du corridor auquel on le destinait en criant: Tel numéro! Rece

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vez. Le gardien du corridor désigné répondait : Envoyez ! Le prisonnier montait seul, allait devant lui, et en arrivant il trouvait le gardien debout près d'une porte ouverte. Le gardien disait : - C'est là, monsieur. Le prisonnier entrait, le gardien refermait la porte, et l'on passait à un autre.

Le coup d'État eut pour les représentants prisonniers des procédés très-divers; ceux qu'on ménageait, les hommes de la droite, on les mit à Vincennes; ceux qu'on haïssait, les hommes de la gauche, on les mit à Mazas. Ceux de Vincennes eurent les appartements de M. de Montpensier, rouverts exprès pour eux, un dîner excellent et en commun, des bougies, du feu, et les

sourires et les génuflexions du gouverneur, qui était le général Courtigis. Ceux de Mazas, voici comme on les traita.

Une voiture cellulaire les déposa à la prison. Ils passèrent d'une boîte dans l'autre. A Mazas, un greffier les enregistra, les mesura, les toisa et les écroua comme des forçats. Le greffe franchi, on conduisit chacun d'eux par une galerie-balcon suspendue dans l'obscurité sous une longue voûte humide jusqu'à une porte étroite qui s'ouvrit brusquement. Arrivé là, un guichetier poussait le représentant par les épaules, et la porte se refermait.

Le représentant ainsi cloîtré se trouvait dans une petite chambre, longue, étroite, obscure. C'est là ce que la langue pleine de précautions que parlent aujourd'hui les lois, appelle une « cellule ». Le plein midi de décembre n'y produisait qu'un demi-jour crépusculaire. A une extrémité une porte à guichet, à l'autre, tout près du plafond, à une hauteur de dix ou douze pieds, une lucarne à vitre cannelée. Cette vitre brouillait l'oeil, empêchait de voir le bleu ou le gris du ciel et de distinguer le nuage ou le rayon, et donnait je ne sais quoi d'indécis au jour blafard de l'hiver. C'était moins qu'un jour faible, c'était un jour trouble. Les inventeurs de cette vitre cannelée ont réussi à faire loucher le ciel.

:

Au bout de quelques instants, le prisonnier commençait à apercevoir confusément les objets, et voici ce qu'il trouvait des murs blanchis à la chaux et verdis çà et là par des émanations diverses, dans un coin un trou rond garni de barreaux de fer et exhalant une odeur infecte, dans un autre coin une tablette tournant sur une charnière comme le strapontin des citadines, et pouvant

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