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- Non, dit le général Lamoricière, mais le temps de faire le contraire. Et il ajouta :- A la santé de Louis Bonaparte! On les laissa descendre, toujours l'un après l'autre, et ils purent respirer un moment un peu d'air libre en plein champ, au bord de la route.

Puis le convoi se remit en marche.

Comme le jour baissait, ils aperçurent par leur hublot un bloc de hautes murailles, un peu dépassées par une grosse tour ronde. Un moment après, les voitures s'engagèrent sous une voûte basse, puis s'arrêtèrent au milieu d'une cour longue, encaissée, entourée de grands murs et dominée par deux bâtiments dont l'un avait l'aspect d'une caserne et l'autre, grillé à toutes les fenêtres, l'aspect d'une prison. Les portières des voitures s'ouvrirent. Un officier qui portait les épaulettes de capitaine se tenait debout près du marchepied. Le général Changarnier descendit le premier. Où sommes-nous? dit-il. L'officier répondit : Vous êtes à Ham.

Cet officier était le commandant du fort. Il avait été nommé à ce poste par le général Cavaignac.

Le trajet de Noyon à Ham avait duré trois heures et demie. Ils avaient passé treize heures en voiture dont dix dans le cachot roulant.

On les conduisit séparément à la prison, chacun dans la chambre qui lui était destinée. Cependant le général Lamoricière ayant été mené par mégarde dans la chambre de Cavaignac, les deux généraux purent échanger encore une poignée de main. Le général Lamoricière désira écrire à sa femme; la seule lettre dont les commissaires de police consentirent à se charger fut un billet portant cette ligne : « Je me porte bien. >>

Le principal corps de logis de la prison de Ham est

composé d'un étage au-dessus d'un rez-de-chaussée. Le rez-de-chaussée, traversé d'une voûte obscure et surbaissée qui va de la cour principale dans une arrièrecour, contient trois chambres séparées par un couloir; le premier étage a cinq chambres. L'une des trois chambres du rez-de-chaussée n'est qu'un petit cabinet à peu près inhabitable; on y logea M. Baze. On installa dans les deux autres chambres d'en bas le général Lamoricière et le général Changarnier. Les cinq autres prisonniers furent distribués dans les cinq chambres du premier étage.

La chambre assignée au général Lamoricière avait été occupée, du temps de la captivité des ministres de Charles X, par l'ex-ministre de la marine, M. d'Haussez. C'était une pièce basse, humide, longtemps inhabitée, qui avait servi de chapelle, contiguë à la voûte noire qui allait d'une cour à l'autre, planchéyée de grosses planches visqueuses et moisies où le pied s'engluait, tapissée d'un papier gris devenu vert qui tombait par lambeaux, salpétrée du plancher au plafond, éclairée sur la cour de deux fenêtres grillées qu'il fallait toujours laisser ouvertes à cause de la cheminée qui fumait. Au fond le lit, entre les fenêtres une table et deux chaises de paille. L'eau suintait sur les murs. Lorsque le général Lamoricière a quitté cette chambre, il en a emporté des rhumatismes; M. d'Haussez en était sorti perclus.

Quand les huit prisonniers furent entrés dans leur chambre, on ferma la porte sur eux; ils entendirent tirer les verrous du dehors et on leur dit: Vous êtes au secret.

Le général Cavaignac occupa, au premier, l'ancienne chambre de M. Louis Bonaparte, la meilleure de la pri

son. La première chose qui frappa les yeux du général, ce fut une inscription tracée sur le mur et indiquant le jour où Louis Bonaparte était entré dans cette forteresse, et le jour où il en était sorti, on sait comment, déguisé en maçon et une planche sur l'épaule. Du reste le choix de ce logis était une attention de M. Louis Bonaparte qui, ayant pris en 1848 la place du général Cavaignac au pouvoir, voulut qu'en 1851 le général Cavaignac prit sa place en prison.

Chassez-croisez! avait dit Morny en souriant.

Les prisonniers étaient gardés par le 48° de ligne qui tenait garnison à Ham. Les vieilles bastilles sont indifférentes. Elles obéissent à ceux qui font les coups d'État jusqu'au jour où elles les saisissent. Que leur importe ces mots, équité, vérité, conscience, qui du reste, dans certaines régions, n'émeuvent pas beaucoup plus les hommes que les pierres. Elles sont les froides. et sinistres servantes du juste et de l'injuste. Elles prennent qui on leur donne. Tout leur est bon. Sont-ce des coupables? c'est bien. Sont-ce des innocents? à merveille. Cet homme est le machinateur d'un guet-apens. En prison! Cet homme est la victime d'un guet-apens. Écrouez! Dans la même chambre. Au cachot tous les vaincus !

Elles ressemblent, ces hideuses bastilles, à cette vieille justice humaine qui a tout juste autant de conscience qu'elles, qui a jugé Socrate et Jésus, qui, elle aussi, prend et laisse, empoigne et lâche, absout et condamne, libère et incarcère, s'ouvre et se ferme, au gré de la main quelconque qui pousse du dehors le verrou.

XI

FIN DE LA DEUXIÈME JOURNÉE,

Quand nous sortîmes de chez Marie, il était temps. Les bataillons chargés de nous traquer et de nous prendre approchaient. Nous entendions dans l'ombre le pas mesuré des soldats. Les rues étaient obscures. Nous nous y dispersâmes. Je ne parle pas d'un asile qui nous fut refusé.

-

Moins de dix minutes après notre départ, la maison de M. Marie fut investie. Un fourmillement de fusils et de sabres s'y rua et l'envahit de la cave au grenier. Partout! partout! criaient les chefs. Les soldats nous cherchèrent avec quelque vivacité. Sans prendre la peine de se pencher pour regarder, ils fouillèrent sous les lits à coups de bayonnette. Quelquefois ils avaient de la peine à retirer la bayonnette enfoncée dans le mur. Par malheur pour ce zèle, nous n'étions pas là.

Ce zèle venait d'en haut. Les pauvres soldats obéissaient. Tuer les représentants était la consigne. C'était le moment où Morny envoyait cette dépêche à Maupas:

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