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l'entendre << jurer et sacrer»; chez M. Thiers, qui fut saisi par Hubaut aîné, lequel prétendit l'avoir vu << trembler et pleurer», mensonge mêlé au crime; chez Valentin, qui fut assailli dans son lit par Dourlens, pris par les pieds et par les épaules, et mis dans un fourgon de police, à cadenas; chez Miot, destiné aux tortures des casemates africaines; chez Roger du Nord qui, vaillamment et spirituellement ironique, offrit du vin de Xérès aux bandits. Charras et Changarnier furent pris au dépourvu. Ils demeuraient, rue Saint-Honoré, presque en face l'un de l'autre, Changarnier au no 3, Charras au no 14. Depuis le 9 septembre, Changarnier avait congédié les quinze hommes armés jusqu'aux dents par lesquels il se faisait garder la nuit, et le 1er décembre, Charras, nous l'avons dit, avait déchargé ses pistolets. Ces pistolets vides étaient sur sa table quand on vint le surprendre. Le commissaire de police se jeta dessus. — Imbécile, lui dit Charras, s'ils avaient été chargés, tu serais mort. Ces pistolets, nous notons ce détail, avaient été donnés à Charras lors de la prise de Mascara, par le général Renaud, lequel, au moment où le coup d'État arrêtait Charras, était à cheval dans la rue pour le service du coup d'État. Si les pistolets fussent restés chargés, et si le général Renaud eût eu la mission d'arrêter Charras, il eût été curieux que les pistolets de Renaud tuassent Renaud. Charras, certes, n'eût pas hésité. Nous avons déjà indiqué les noms de ces coquins de police, les répéter n'est pas inutile. Ce fut le nommé Courtille qui arrêta Charras; le nommé Lerat arrêta Changarnier; le nommé Desgranges arrêta Nadaud. Les hommes, ainsi saisis dans leurs maisons, étaient des représentants du peuple, ils étaient inviolables, de sorte qu'à ce crime,

la violation de la personne, s'ajoutait cette forfaiture, le viol de la constitution.

Aucune effronterie ne manqua à cet attentat. Les agents de police étaient gais. Quelques-uns de ces drôles raillaient. A Mazas, les argousins ricanaient autour de Thiers. Nadaud les réprimanda rudement. Le sieur Hubaut jeune réveilla le général Bedeau.-Général, vous êtes prisonnier. Je suis inviolable. Hors le cas de flagrant délit. Alors, dit Bedeau, flagrant délit de somOn le prit au collet et on le traîna dans un

meil. fiacre.

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En se rencontrant à Mazas, Nadaud serra la main de Greppo, et Lagrange serra la main de Lamoricière. Cela faisait rire les hommes de police. Un nommé Thirion, colonel, la croix de commandeur au cou, assistait à l'écrou des généraux et des représentants. - Regardezmoi donc en face, vous! lui dit Charras. Thirion s'en alla.

Ainsi, sans compter d'autres arrestations qui eurent lieu plus tard, furent emprisonnés, dans la nuit du 2 décembre, seize représentants et soixante-dix-huit citoyens. Les deux agents du crime en rendirent compte à Louis Bonaparte. Coffres, écrivit Morny. Bouclés, écrivit Maupas. L'un dans l'argot des salons, l'autre dans l'argot des bagnes; nuances de langage.

V

OBSCURITÉ DU CRIME

Versigny venait de me quitter.

Pendant que je m'habillais en hâte, survint un homme en qui j'avais toute confiance. C'était un pauvre brave ouvrier ébéniste sans ouvrage, nommé Girard, à qui j'avais donné asile dans une chambre de ma maison, sculpteur sur bois et point illettré. Il venait de la rue. Il était tremblant.

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Eh bien, lui demandai-je, que dit le peuple?
Girard me répondit :

Cela est trouble. La chose est faite de telle sorte qu'on ne la comprend pas. Les ouvriers lisent les affiches, ne soufflent mot, et vont à leur travail. Il y en a un sur cent qui parle. C'est pour dire : Bon! Voici comment cela se présente à eux : La loi du 31 mai est abolie. C'est bon.- Le suffrage universel est rétabli.C'est bien. La majorité réactionnaire est chassée. - A

merveille. Thiers est arrêté. Parfait. - Changar

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nier est empoigné. Bravo! Autour de chaque affiche il y a des claqueurs. Ratapoil explique son coup d'État à Jacques Bonhomme. Jacques Bonhomme se laisse prendre. Bref, c'est ma conviction, le peuple adhère.

- Soit! dis-je.

- Mais, me demanda Girard, que ferez-vous, monsieur Victor Hugo?

Je tirai mon écharpe d'une armoire et je la lui montrai.

Il comprit.

Nous nous serrâmes la main.

Comme il s'en allait, Carini entra.

Le colonel Carini est un homme intrépide. Il a commandé la cavalerie sous Mieroslawsky dans l'insurrection de Sicile. Il a raconté dans quelques pages émues et enthousiastes cette généreuse insurrection. Carini est un de ces Italiens qui aiment la France comme nous Français nous aimons l'Italie. Tout homme de cœur en ce siècle a deux patries, la Rome d'autrefois et le Paris d'aujourd'hui.

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Dieu merci, me dit Carini, vous êtes encore libre. Et il ajouta :

Le coup est fait d'une manière formidable. L'Assemblée est investie. J'en viens. La place de la Révolution, les quais, les Tuileries, les boulevards sont encombrés de troupes. Les soldats ont le sac au dos.. Les batteries sont attelées. Si l'on se bat, ce sera terrible.

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