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visiteurs, pas mal d'objets qui l'emportent, par la pureté des formes et l'harmonie des couleurs, sur telles œuvres classées "œuvres d'art parce qu'elles sont bordées d'un cadre d'or ou montées sur un socle de marbre. Oh! l'attirance des verres aux tons de fleurs, aux reflets de perles, aux veloutés de beaux fruits mûris aux soleils de l'art. Verres intaillés et ciselés, dit le catalogue, exposés par MM. Daum, de Nancy; on les croirait taillés en des rayons de lune, pétris de pétales de violettes, sculptés dans des blocs de rubis et d'améthyste. Ils sont, ces verres aux gabarits capricieux, vraiment exquis en leur tonalité riche et harmonieuse. Le soleil qui les traverse les fait resplendir comme des joyaux, et c'est, peut-être, avec les très précieuses tasses cloisonnées à jour sur dentelles d'or du maître émailleur Fernand Thesmar, le clou de la section. des objets d'art.

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Les potiers nous requièrent, nombreux et divers. C'est, en cette deuxième salle et en la suivante, car les industries d'art débordent, envahissantes, le prestige des émaux puissants et raffinés de Delaherche, qui ajoute à la séduction de ses vases et de ses plats le charme de frises ornementales du plus gracieux effet; la joie des verts cendrés et des rouges feu de Dalpayrat

et Lesbros, dont l'envoi est une fête pour les yeux; la rusticité des pots jaunes à coulées d'azur d'Alexandre Bigot, un nouveau venu à la Libre Esthétique, très entier dans son art populaire; la robustesse d'Albert Dammouse, qui, en s'inspirant de ses aînés, arrive néanmoins à des conceptions nouvelles, reconnaissables du premier coup d'œil, et d'un réel intérêt; enfin, parmi les nôtres, Omer Coppens, dont les poteries lustrées et flambées obtiennent un légitime succès, et la céramique de Virginal exposée par la Société anonyme L'Art, qui unit à l'originalité des formes, à la beauté des émaux, l'attrait appréciable de nos jours d'une fabrication à bon marché, vraiment démocratique. Les spécimens qu'elle expose service de toilette, carreaux, vases, table à thé, reproduction de Donatello, sont vraiment intéressants à ce double point de vue et méritent mieux que la mention sommaire à laquelle nous devons nous borner en cette rapide analyse.

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Mile Boch, que nous retrouverons dans la section des peintres, a composé une ornementation de porte en carreaux céramiques très décorative et fort artistement exécutée. M. Paul Du Bois aligne toute une série d'objets en étain à la fois artistiques et pratiques : veilleuse, plateau, salières, glace à trois faces, coffret, boîte à biscuits, etc., qui décèlent son sens très spécial de la décoration élégante. Et n'oublions pas, bien qu'il faille aller les chercher dans la cinquième salle, les boucles, la broche, la boîte à poudre de riz qui complètent, avec quelques œuvres de sculpture dont nous parlerons, l'envoi de l'artiste.

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Dessin d'AUBREY BEARDSLEY pour La Morte d'Arthur de Sir Thomas Malory.

rative de la Tour Eiffel attestent, à côté de petites pièces exquisement modelées, un talent sûr de lui,

souple et fort, à placer très haut parmi les meilleurs artistes de l'époque.

Plus loin les Effraies et l'admirable Araignée de F.-R. Carabin; un petit bahut en marronnier incrusté d'ébène et de palissandre dessiné par le prince de Polignac; un choix de verres aux formes eurythmiques de MM. James Powell et fils; des spécimens d'ameublement de M. Georges Hobé; des tapis dessinés par M. Fernandubois pour la Royale, par M. Félix Aubert pour MM. Sallandrouze; un encrier en étain modelé par M. Georges Morren; une vitrine de joailleries et de bijoux composés par M. C.-R. Ashbee, le fondateur et le directeur de la Guilde des Arts décoratifs de Whitechapel (Guild and School of Handicrafts), constituent un ensemble varié vraiment charmant en sa diversité et son originalité.

Aux murs, les œuvres abondent: affiches avant la lettre d'Eugène Grasset; projets de papiers peints par Maurice Denis, par C.-F.-A. Voysey et par Mile Diana White; estampes murales nouvelles de la Fitzroy picture Society dont nous reproduisons deux spécimens; dessins d'architecture d'Heywood Sumner et de Voysey; tapisseries de MM. Emile Berchmans et Paul Ranson (ce dernier expose en outre des projets de peintures décoratives fort attachants): spécimens des planches gravées à l'eau forte par Max Klinger pour ce superbe ouvrage Brahms Fantäsien; planches en couleurs détachées de l'Épreuve et de l'Estampe originale; esquisse du plafond de l'Hôtel de ville par Albert Besnard; pastel original (La Pantomime) de Jules Chéret... Et nous voici amenés devant les vitrines conquises par le Livre et la Reliure, dont une rapide revue terminera le présent article.

Il y a deux façons de relier un livre. Tels relieurs se servent des plats et du dos des volumes pour exécuter en mosaïques de cuir les variations brillantes que leur suggère leur fantaisie. Ils transposent des cartons décoratifs, incrustent parfois des médailles de bronze ou d'argent dans le derme, y coulent des émaux, poussent l'ornementation jusqu'au bas-relief, jusqu'à la ronde bosse. A ces reliures-là il faut une seconde reliure, préservatrice de la première. Et pour peu que les virtuoses de l'avenir imaginent de décorer cette seconde. reliure comme la première, nous verrons peut-être s'imposer la nécessité d'une troisième couverture, en attendant qu'on l'ornemente à son tour... Malgré la perfection apportée par M. René Wiener à l'exécution des reliures dont il demande le dessin à des artistes. connus, à Grasset, à Lepère, il faut reconnaitre que cette application est irrationnelle. Ces couvertures ornées de figures et de paysages seraient à leur place dans un cadre. On ne peut se les figurer dans les rayons d'une bibliothèque. Combien nous leur préférons les reliures de M. Cobden Sanderson, de Londres, qui

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Dessin d'AUBREY BEARDSLEY pour La Morte d'Arthur
de Sir Thomas Malory.

petit fer par des combinaisons nouvelles de dessins, d'entrelacs, de filets. Il demeure classique dans la forme et ne s'écarte pas, quant aux procédés, des maîtres de la reliure, des Derome, des Badier et des Padeloup. Mais il apporte dans son travail patient un goût, une sûreté, une perfection de détails qui ont, d'emblée, pour les connaisseurs, classé The Doves bindery au premier rang Citons enfin les très artistes reliures de J.-M. Dent, le célèbre éditeur d'Aldine house, qui revêt lui-même de reliures souples, élégantes, joliment décorées, les beaux volumes sortis de ses presses. Son Temple of Shakespeare, petite collection de poche aux frontispices variés, aux illustrations élégantes, est un véritable bijou.

M. Dent expose à la fois comme relieur et comme éditeur. Quelques volumes, entre autres sa magnifique édition, illustrée par Aubrey Beardsley, de la Morte d'Arthur, dont deux reproductions ornent cet article, décèlent la coquetterie que mettent les Anglais dans la toilette des livres. Les soins qu'apporte William Morris à l'impression et à la décoration des volumes revêtus de l'estampille de la Kelmscott press (les œuvres de Chaucer, en cours de publication, seront l'ouvrage le plus parfait sorti de ses mains), les raffinements dont se parent les éditions de M. John Lane (Hero and Leander, The Sphinx), illustrés par Ch. Ricketts et Ch. Shannon), la variété et le style des ouvrages

publiés par M. George Allen (à remarquer particulièrement The Faerie Queene, illustrée par Walter Crane), l'élégance archaïque du Good King Wenceslas, dessiné et imprimé par A.-J. Gaskin, directeur des Arts décoratifs de Birmingham, les fins et originaux commentaires graphiques de Laurence Housman et de C.-R. Ashbee achèvent de caractériser l'art typographique anglais. A citer encore les pages composées et imprimées par Lucien Pissarro pour sa Queen of fishes, l'œuvre la plus parfaite qu'ait produite l'habile artiste.

L'ARISTOCRATIE INTELLECTUELLE

Conférence de M. Camille Mauclair.

M. Camille Mauclair a ouvert mardi dernier la série des conférences de la Libre Esthétique. Sa causerie sur l'Aristocratie intellectuelle, pleine d'aperçus intéressants exprimés dans une langue extrêmement pure, a été très applaudie. Voici un fragment de cette conférence, que nous regrettons de ne pouvoir, faute d'espace suffisant, reproduire intégralement :

<< Du fait seul d'une pensée spéciale, Messieurs, l'artiste s'évade du conventionnel, répudie le règlement, s'aristocratise.

Il y a dans la vie moderne un enseignement d'une beauté cachée. Et cet enseignement sortira du reproche même que votre désir de magnificence vous poussait à lui faire.

<< La vie moderne se ternit et devient uniforme, disent certains. <«< L'utile y prédomine, le style s'y compromet, la couleur et <«< l'éclat décoratif s'y atténuent. Grise ou noire apparaît l'existence « des villes. Les palais et les costumes ne revêtent plus du luxe << primitif l'homme puissant ou supérieur. L'individu se confond <«< avec l'individu. Ils se coudoient, d'apparence identique, dans «<les rues fourmillantes et hurlantes. Nous dont l'art avait pour « essence de représenter, que représenterons-nous, conformément « à la beauté de la chair et des étoffes, dans cette humanité mécanique et monotone, qui semble abdiquer la richesse plastique d'autrefois et montrer, par ses vêtements étroits et <«< sombres, une mélancolique déchéance, le deuil de quelque « chose de princier qui faisait notre raison d'être? »

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Eh bien! C'est là même que s'atteste à une réflexion plus stricte, Messieurs, la conquête morale de la modernité. L'individu extérieur s'y confond en effet. La seule beauté, celle de l'âme, ne se distrait plus aux décors, ne s'abandonne plus aux fêtes de la chair et des pierreries. Elle se réfugie dans le visage, elle s'idéalise, elle transparaît dans la simplicité même de l'allure. L'homme à la cervelle vide et à l'âme nulle ne peut plus recourir aux apparences du costume; il faut qu'il se trahisse, et Titien et Velasquez et Rubens eux-mêmes, avec leurs pourpres héroïques et leurs satins fleuris, ne pourraient plus parer la misère morale d'une magnificence véridique. Il ne peut plus être sauvé, il est laid; et cette laideur, il ne faut pas la chercher sur son vêtement universel et habituel, où nul détail ne peut nous récréer : c'est à son visage que vont les regards, c'est là que nous déchiffrons sans trouble l'hiéroglyphe de sa nullité.

Une beauté plus intérieure est née avec l'effacement de la personne physique. L'homme moderne, vêtu de noir, avec ses yeux graves où meurent des orients de méditation et de silence, ah! Messieurs, la belle forme d'humanité! A la païenne beauté plastique, réglant sur ses canons les perfections de la couleur et de la ligne, s'est substituée la beauté spécialement psychique que les

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Il y a, Messieurs, quelque chose de mystérieux dans les mots, et ce mystère est tout l'art d'écrire. Ce n'est pas sans raison que ce mot de caractère s'est trouvé sur les lèvres des meilleurs d'entre vous pour désigner l'objet essentiel de leurs recherches d'art. Il fallait que ce mot, signifiant l'aspect et la pensée tout ensemble, devint le grand mot d'art dans une époque où, par l'uniformité du costume, l'aspect de l'homme et sa pensée se sont plus intimement unis.

Dans les rues où l'industrie tumultueusement triomphe et où le passant, qu'il soit génie ou tête banale, traine en silence et sans majesté, le long des murs et des vitrines, sa gloire ou sa servitude insoupçonnables et secrètes, dans ces rues où l'homme n'est plus qu'une tache sombre, où le milliardaire et le bourgeois, le grand seigneur et l'employé sont matériellement presque indistincts, seule l'expression du visage et la beauté sincère est impossible à travestir de la face humaine, scul le caractère signifie et prévaut.

Les maitres anciens peignaient dans la gloire de leurs joyaux et de leurs broderies les aristocraties de leur âge. Mais l'aristocratie est devenue intérieure, et c'est aux prunelles lucides, à l'attitude spéciale du songeur, qu'un Whistler, saisissant la vraie beauté du caractère et du moderne, demande le secret de la noblesse d'un Mallarmé ou d'un Carlyle!

Ces aristocrates intellectuels, que je n'hésite pas à mettre audessus de la loi hors la loi, voulez-vous? et à considérer sans ironic comme les maitres légitimes de l'Europe et du monde moral, Messieurs, il en est quelques-uns parmi vous, et vous nommez en même temps que moi les autres.

Ne vous sont-ils point familiers? Et si mille hautaines raisons de sympathie et de désir de tout ce qui est noble ne vous en avaient point approchés, en ce pays d'art dévoué et libre par excellence, vos seules traditions d'hospitalité vous feraient souvenir que Stéphane Mallarmé et Paul Verlaine furent vos hôtes. Ils l'étaient dès longtemps dans vos âmes, puisque vous les aviez lus. Ils sont tous deux, aujourd'hui, des ainés; ils sont comme les porte-oriflammes de cette croisade première du milieu du siècle, où Flaubert, Baudelaire, Villiers de l'Isle-Adam révélèrent en face d'Emerson, de Carlyle et de Poe la renaissance au XIXe siècle de l'aristocratic primitive. C'est près d'eux qu'il faut placer, avec notre Manet, votre génial et admirable Félicien Rops; et c'est aussi à leurs côtés que figureront, pour compléter nos juges d'honneur, un Gustave Moreau ou un Puvis de Chavannes.

Mais plus près encore de nous, Messieurs, le dénombrement de l'aristocratie intellectuelle n'est-il point multiple?

Je ne puis prononcer aucun nom avec plus de sincère admiration, avec une amitié plus profonde, que celui de Maurice Maeterlinck qui retrouva, pour l'honneur de votre race, l'âme nostalgique de Hans Memlinck au ciel de la métaphysique et du songe, et dota cette langue française, où vous comptez en lui un maitre, des plus purs et éclatants préludes philosophiques qu'un grand poète ait voulu lui donner. Et c'est aussi un nom qui vous est cher, celui de ce mystérieux et parfait Henri de Régnier qui, l'an

née dernière, vous décrivait ce Bosquet de Psyché où pénètrent seuls ceux qui atteignirent comme lui à l'absolue pureté de l'esprit. Vous avez su quelles facultés idéologiques, quel génie tourmenté et sagace tout ensemble se décèle aux écrits d'André Gide, ce frère en beauté de votre délicat, triste et exquis Henry Maubel. L'intelligence séduisante et complexement hautaine d'un Maurice Barrès ne vous a point échappé. La puissance tragique et l'inépuisable féerie des romans de Paul Adam vous ont frappés. Vous avez retrouvé en lui ces qualités prime-sautières et énergiques, ces passionnés et révoltés sursauts que nous savions à votre Georges Eekhoud. Et c'est simultanément, puisque son âpre et fécond talent se jouait d'enthousiasmer nos deux pays à la fois, que tous avons salué la maîtrise de Camille Lemonnier.

Deux pays? Etaient-ce deux pays en vérité, et qu'est-ce que des frontières pour l'aristocratie du rêve? Messieurs, elle possède tout! Sont-ils, pour notre admiration, de là-bas ou d'ici, Constantin Meunier ou Henry De Groux, Eugène Demolder ou Marcel Schwob, Francis Vielé-Griffin l'hellénique ou cet ingénu, mélodieux et admirable Max Elskamp, ou Emile Verhaeren, le flamboyant et convulsé visionnaire des contrées fantômatiques? Sontce pour nous deux pays ou un seul, ces régions intellectuelles où du milieu de l'art et des songes les voix éloquentes et grandes d'un Elisée Reclus ou d'un Edmond Picard, d'un Victor Arnould ou d'un Jean Grave se sont élevées pour nous parler de déshérités et de la justice universelle? >>

Exposition de M. Alexandre Marcette.

L'exposition des œuvres de M. Marcette, à la galerie du Congrès, décèle un peintre chercheur de lumière. De ses anciennes Campagnes romaines à la Plage à marée basse ou au Pont de Bruges il y a tout un chemin clair de franchi. En ses premières œuvres M. Marcette semble avoir été préoccupé par Artan. Actuellement son art cingle vers une sorte de « turnérisme» curieux. Cette Plage à marée basse rend bien nos plages aux sables mouillés où le soleil vient jeter les moires de ses reflets roses et orangés, à la grande joie des mouettes. La Rafale nous montre des jetées de rayons sur des pays verts. Les Cabines à Blankenberghe chantent des notes pimpantes et fraiches. Uytkerke colore alertement tout un coin plat de Flandre, sous un grand ciel. L'Eclaircie, qui appartient au Musée de Gand, est une bonne toile. Le mouvement des vagues échevelées est plein de la vie houleuse et remuante de la mer,cette grande jeteuse d'écumes. Le bleu verdi du ciel, derrière les nuages qui se déchirent, est harmonieux et tout cela est peint d'un métier facile et prime-sautier. D'autres toiles encore Anvers, d'une gamme riche et somptueuse; l'Annienne, ravissant tableau d'avril, empli du printemps d'Italie, un Intérieur flamand, des vues de canaux gantois complètent cette exposition.

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C'était à la fois audacieux et malaisé : on ne bouscule pas impunément les habitudes du public, et la série des Carmen s'allonge déjà, depuis Mes Derivis, Galli-Marié et Blanche Deschamps, de telle façon qu'il semble difficile de glaner du neuf dans un chaume si laborieusement ratissé.

Mme Leblanc a néanmoins réussi à s'imposer, d'emblée, parmi les Carmen qui resteront célèbres. Elle a joué, chanté et mimé son rôle avec une telle intensité d'expression, avec une vérité d'accents si saisissante, elle a mis en valeur, avec tant d'autorité, toute les situations du poème, que le reste de l'interprétation a paru s'effacer dans la pénombre. Les artistes qui entouraient Carmen avaient l'air d'assister, comme le public, à la représentation, bien que le souci d'art qui anime la protagoniste principale eût visiblement aimanté quelques-uns de ses camarades.

C'est, surtout, l'essence dramatique du poème qui devait séduire l'artiste. Par son interprétation vivante, tantôt enlaçante et câline, tantôt révoltée et vraiment « peuple », Mme Leblanc se sépare nettement de ses devancières, préoccupées avant tout de l'élément musical qui n'est qu'une des faces du rôle.

Elle a révélé, par ce seul fait, de réelles aptitudes pour le drame lyrique, déjà pressenties d'ailleurs dans sa création de la Navarraise. Imaginez les études de tous les interprètes d'une œuvre dirigées dans le même sens, et songez à l'émotion d'art qui en jaillirait.

Le pittoresque des costumes, le souci constant de la plastique et la mobilité d'un visage qui reflète toute la psychologie de l'héroïne ont complété cette curieuse et très artiste incarnation.

M. Isouard a donné la réplique à Mme Leblanc en artiste intelligent, en chanteur habile. Mlle Merey s'est fait unanimement applaudir dans l'air de Micaëla, qu'elle chante d'une jolie voix claire, avec un sentiment délicat. Et l'orchestre a supérieurement joué cette exquise partition, si fine, si pimpante, si jeune, véritable bijou ciselé avec une maîtrise peut-être inégalée.

Mort de Mme Berthe Morisot.

Une très triste nouvelle nous parvient: Mme Eugène Manet, plus connue dans le monde artiste sous son nom de jeune fille, Berthe Morisot, vient de mourir à Paris, âgée de 55 ans à peine. Élève de son beau-frère Edouard Manet, elle prit part à toutes les escarmouches des impressionnistes, et par son talent délicat, arriva à se hausser au premier rang. L'exposition qu'organisèrent de ses œuvres, en 1892, MM. Boussod et Valadon, et dont nous rendimes compte (1), montra Mme Morisot en pleine possession d'ellemême. A une technique sûre elle ajoutait la poésie d'une interprétation féminine d'une finesse et d'une sensibilité rares. Ce fut, pour quelques-uns, une révélation. Pour tous, la consécration d'un talent mûri au soleil des batailles, digne des artistes dans les rangs desquels elle combattait : Claude Monet, Renoir, Degas, Camille Pissarro.

L'an dernier elle fut des nôtres, en ce Salon de la Libre Esthétique où se condoient tous ceux qu'anime le souci de l'indépendance et du hors des chemins, comme elle fut des nôtres, jadis, au temps belliqueux des XX. Elle y exposa quatre œuvres, parmi lesquelles une chose délicieuse : Sous la Véranda, acquise par M. Ernest Chausson. Elle vint elle-même à Bruxelles, avec sa fille dont la beauté fit sensation, et assista à l'un des concerts du (1) Voir l'Art moderne de 1892, page 180.

Quatuor Ysaye. Essentiellement artiste, elle ne bornait pas ses prédilections aux manifestations plastiques et appréciait, autant qu'une toile de maître, une page de musique ou un beau poème. Quel deuil, là-bas, dans ce cénacle où nous fùmes parfois introduits, et qu'éclairait, parmi tant d'esprits distingués réunis à la table hospitalière de l'artiste, la haute intelligence de Stéphane Mallarmé !

Après avoir été longtemps méconnue (à voir quelques-unes de ses œuvres, prises au hasard, on se demande par quelle aberration), Mme Morisot était entrée dans la renommée, fièrement, sans concessions et sans faiblesses. L'État acquit récemment à la vente Duret sa Jeune Femme en toilette de bal, et cet achat mit fin aux dernières résistances.

Maintenant que la mort a passé sur elle, elle va grandir encore. Nous regrettons profondément la vaillante artiste, qui emporte avec elle le secret des fluidités de l'atmosphère, de la transparence de l'air, des caresses de la lumière que lui enseigna Manet. Et nous pleurons l'amie dévouée et bonne qui avait le don de grouper autour d'elle, par le prestige d'un tact particulier, des artistes de vues souvent divergentes qui s'aimaient en elle et, coalisés contre la brutalité ambiante, constituaient un vrai centre d'aristocratie.

Terminons par cette appréciation de l'artiste par Georges Lecomte, consignée dans son excellent volume L'Art impressionniste (1):

«L'art délicat de Mme Berthe Morisot se complait à dire les grâces légères de l'enfance et l'ardente polychromie des corbeilles de fleurs. Sa vision perçoit la fraiche vivacité des choses, la joie des tons clairs, la gracilité des formes. Sa peinture a une âme. Comme Manet, son maitre, Mme Morisot s'inquiète de l'au-delà des impressions: elle pénètre l'intimité des êtres et des choses.

Pour rendre l'enfance avec ce charme émouvant, il faut en bien connaitre la joviale sérénité, la tendresse, les étonnements naïfs. Alors seulement on exprimera la franchise des grands yeux purs, les attitudes souples et mobiles, la fraicheur rosée de chairs bien portantes, sans tomber dans les bouffissures poupines et l'excessiveté des gentillesses menues.

Mme Morisot encadre les jeux de ses bébés dans la luxuriance claire des frondaisons estivales. Les splendeurs éclatantes et les fêtes de la nature devaient émouvoir la vive sensibilité d'une telle artiste. Aussi avec quel charme exquis elle rend l'allégresse des jardins efflorescents!

La fraicheur de sa vision la prédisposait à l'emploi de la technique impressionniste, seule susceptible de rendre la ténuité de ses sensations et la complexité des couleurs naturelles dans la lumière. Surtout, ce mode d'expression sincère, immédiat, était plus apte que tous autres à laisser transparaitre ce délicat tempérament de femme qu'aucune influence corruptrice n'altéra.

Mme Morisot s'est en effet gardée de se créer, comme tant d'autres artistes de son sexe, une nature artificielle, une vision d'homme. Les plus appréciables qualités féminines caractérisent son art les coquetteries chatoyantes, le charme gracieux et surtout l'émotion tendre, il ignore les mièvreries et les chlorotiques joliesses auxquelles vise le talent doucereux de la plupart des femmes peintres. >>

(1) Durand-Ruel, éditeur.

PETITE CHRONIQUE

Une double exposition, des plus intéressantes, s'ouvrira par invitations demain lundi, à 2 heures, à la Maison d'Art de la Toison d Or. D'une part, le peintre GUILLAUME VAN STRYDONCK initiera le public par un choix de tableaux et d'études tout fraîchement rapportés du pays des Rajahs, à la vie, aux mœurs et aux sites des Indes anglaises où il a fait un long séjour.

D'autre part, MM TIFFANY, de New-York, exposeront, pour la première fois en Belgique, une admirable série de verres, de vitraux et de mosaïques d'une richesse de coloration et d'une élégance rares.

L'exposition sera accessible au public à partir du lendemain, mardi, tous les jours, de 40 à 6 heures, jusqu'au 15 avril. Prix d'entrée : 1 franc; le dimanche, 50 centimes.

L'entrée restera libre dans les galeries de la Toison d'or, à l'exception des salles spécialement affectées à l'exposition.

Notre confrère Henry Maubel, l'écrivain délicat des Ames de couleur, de Quelqu'un d'aujourd'hui, etc., fera mardi prochain, àt 2 h. 1/2 précises, une conférence au Salon de la Libre Esthéti

que. Titre: « Psychologie musicale. »

C'est jeudi prochain 14 mars, à 2 h. 1/2 précises, qu'aura lieu, au Salon de la Libre Esthétique, le premier concert donné par MM. A. Marchot, L. Van Hout, J. Jacob et Th. Ysaye. MM. Zimmer, Zinnen et Danneels prêteront leur concours à cette intéressante séance, dont le programme porte le 2e Quatuor à cordes de Glazounow (première audition), la Sonate pour piano et violon de S. Lazzari (première audition) et le Septuor de Saint-Saëns pour trompette, piano et instruments à cordes (demandé) Prix d'entrée : 5 francs (places réservées) et 3 francs. Abonnement aux quatre concerts 20 francs (place numérotée), chez MM. Breitkopf et Härtel, 45, Montagne de la Cour.

Le Roi a visité hier le Salon de la Libre Esthétique, accompagné de M. de Burlet, ministre des Beaux-Arts, chef du cabinet, et du comte du Châtel, officier d'ordonnance. S. M. s'est fait présenter tous les exposants présents. parmi lesquels MM. Constantin Meunier, Emile Claus, Charles Van der Stappen, Paul Du Bois, Henry De Groux, Guillaume Charlier, Charles Doudelet, James Ensor, Jean Gaspar, Omer Coppens, Léon Frédéric, Arthur Craco, avec lesquels le Roi s'est entretenu en particulier.

Le Gouvernement vient d'acquérir la grande toile de M. Émile Claus Le Givre et le tableau de Mile Anna Boch En Juin, exposés tous deux au Salon de la Libre Esthétique et qui ont été unanimement appréciés. Il est en pourparlers au sujet de l'achat d'une toile de Vogels: Un canal en Hollande.

D'autre part, la Commission du Musée a acquis le Lampiste de James Ensor, jadis exposé aux XX. Voilà de bonnes acquisitions, qui rompent ouvertement avec les routines.

Mais quand donc cimaisera-t-on au Musée de Bruxelles quelques panneaux de Mellery? Meunier s'y affirme par une série de sculptures, tandis que le nom de Mellery n'y est même pas inscrit.

La Commission de la section des Industries d'art moderne du Musée des Arts décoratifs s'est réunie jeudi dernier au Salon de la Libre Esthétique et a fait choix d'une série d'œuvres dont elle soumettra la liste à l'approbation du ministre des Beaux-Arts. Elle a spécialement désigné à l'attention du Gouvernement des étains de M. Paul Du Bois, Alexandre Charpentier et Morren, des grès flammés de Delaherche, des céramiques de Virginal, des poteries de MM. Bigot, Dammouse et Coppens, des verres de MM. Daum et J. Powell, des reliures artistiques de J.-M. Dent, la bague or et argent de Jean Dampt, ete.

Voici, d'autre part, la deuxième liste des aequisitions faites au Salon par des particuliers

H.-E. CROSS. La Ferme; le soir.

G. VOGELS. Le Chenal de Nieuport; marée basse. Fleurs.

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