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l'ordre public, et il le jugea assez grave pour appeler la plus sérieuse attention du Pouvoir législatif. Il n'alla cependant pas jusqu'à demander à ce pouvoir une loi qui, dans les cas semblables, autorisât le renvoi de tous les accusés, à quelque ordre qu'ils appartinssent, devant la juridiction militaire; il se borna à proposer la disjonction de la procédure, de manière à ce que les militaires fussent renvoyés devant le conseil de guerre, et les accusés civils devant la juridiction ordinaire. Il présenta donc un projet de loi sur cette base, espérant que cet expédient suffirait pour rendre la répression plus ferme.

Mais des voix puissantes se firent entendre; le président de la Chambre quitta son fauteuil, pour éclairer le Gouvernement et ses collègues sur la voie dans laquelle on cherchait à les entraîner; il démontra que le principe de l'indivisibilité des procédures était l'un des principes de notre droit public les plus constants; que, dans toutes les dérogations au droit des juridictions ordinaires, faites dans les temps de révolution ou de despotisme militaire, on ne trouvait pas une seule atteinte portée au principe d'indivisibilité, lequel avait pour but d'assurer une justice complète et de ne laisser aucun coupable impuni; tandis que la disjonction y substituait une jus- ' tice partielle, contraire tout à la fois à l'intérêt de l'accusation et à la défense des accusés. Elle livre en effet ceux-ci aux embarras d'une double juridiction, et, en nécessitant un double jugement, nuit à l'autorité de la chose jugée par la contradiction qui peut exister entre les deux décisions.

Ces considérations prévalurent, et le projet de loi fut rejeté.

Ainsi, jusqu'à la révolution de février 1848, les pouvoirs des conseils de guerre, soit que ces conseils fussent saisis dans les cas ordinaires, conformément aux lois qui réglaient leur compétence, soit qu'ils le fussent en vertu de la déclaration de l'état de siége, ne cessèrent pas d'être limités, quant à la juridiction, au jugement des individus militaires.

La révolution de 1848 ne changea d'abord rien à ces règles, et la constitution du 4 novembre de cette année, en maintenant les lois existantes, répéta textuellement les dispositions de la charte de 1830 portant interdiction de distraire les citoyens de leurs juges naturels, et de créer des commissions et des tribunaux extraordinaires, à quelque titre et sous quelque dénomination que ce fût.

Mais l'agitation du pays à cette désastreuse époque, les mouvements insurrectionnels qui surgirent dans plusieurs départements, déterminèrent l'Assemblée nationale à régler l'état de siége par des dispositions spéciales qui, quant aux personnes, modifièrent gravement la législation suivie jusque-là, en étendant la compétence des conseils de guerre.

Par la loi du 9 août 1849, cette assemblée se réserva le droit de déclarer seule l'état de siége, et de désigner les communes, les arrondissements ou les départements auxquels il devrait s'appliquer. Le président de la république n'était autorisé à recourir à cette mesure énergique qu'en l'absence du Corps législatif, et en demeurant d'ailleurs soumis à certaines prescriptions.

Augmentation de compétence des conseils de guerre.

Les effets de l'état de siége consistent depuis lors à faire passer, comme précédemment, à l'autorité militaire les pouvoirs dont l'autorité civile est habituellement investie pour le maintien de l'ordre et de la police, et dans ce cas, l'autorité civile ne continue à exercer que ceux de ces po uvoirs que l'autorité militaire ne s'est pas attribués. Quant à leur compétence, les tribunaux militaires peuvent être saisis de la connaissance des crimes et délits contre la sûreté de l'État, contre la constitution, contre la paix et l'ordre public. Mais, à la différence de la législation antérieure telle que la cour régulatrice en avait fixé le sens, cette compétence s'étend aux auteurs principaux, à leurs complices, quelle que soit leur qualité; de sorte que lorsqu'un département, un arrondissement ou une commune est déclarée en état de siége, tous les citoyens, sans distinction, sont justiciables des conseils de guerre.

L'autorité militaire d'ailleurs a le droit de faire des perquisitions de jour et de nuit dans le domicile des citoyens; d'éloigner les repris de justice et les individus qui n'ont pas leur domicile dans les lieux soumis à l'état de siége; d'ordonner la remise des armes et munitions, et de procéder à leur recherche et à leur enlèvement; d'interdire enfin les publications et les réunions qu'elle juge de nature à exciter ou à entretenir le désordre.

Tel est maintenant l'état de siége; car la constitution du 14 janvier, qui n'a pas été abrogée sur ce point par le sénatus-consulte du 7 novembre sui vant, lequel a rétabli l'empire et réglé l'ordre de

succession au trône, n'a apporté d'autre modification à la loi du 9 août 1849 que celle qui a consisté à conférer au président de la république, aujourd'hui l'Empereur, le droit de déclarer l'état de siége dans un ou plusieurs départements, sauf à en référer au Sénat dans le plus bref délai.

Depuis que cette dernière loi a été rendue, des troubles intérieurs, des tentatives d'insurrection, l'action incessante des sociétés secrètes, ont obligé de recourir à cette juridiction extraordinaire dans la 8e division militaire. De graves affaires, instruites et jugées par les conseils de guerre, ont pendant quelque temps tenu la France attentive, et ont permis d'apprécier tout ce qu'il y avait de prudence, de modération et d'impartialité dans la conduite des officiers qui composaient ces conseils, et particulièrement de ceux qui les présidaient. A l'honneur de notre armée, dans ces moments difficiles et malgré la rigidité d'une loi qui, contrairement aux principes de droit criminel précédemment consacrés, rendait les citoyens non militaires justiciables de ces tribunaux, on put admirer la mesure avec laquelle l'instruction des affaires était conduite et dirigée, les égards continuels dont les accusés étaient l'objet, et les soins pris pour que l'entière liberté de la défense leur fût assurée.

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La loi de brumaire an v n'admettait qu'un seul degré de juridiction. L'accusé était privé de la fa

État de siége

à Lyon.

culté de faire réviser par un tribunal plus élevé le jugement qui le frappait. Sous l'empire de cette loi, aussitôt après que le rapporteur avait donné lecture du jugement à l'accusé, il se rendait auprès de l'officier commandant, et le requérait, au nom du conseil, de donner sur-le-champ les ordres pour déterminer l'heure et le lieu de l'exécution.

On ne tarda pas à reconnaître les dangers qui pourraient résulter d'une telle précipitation et de l'absence de toute révision d'une décision qui pourrait ne pas avoir été rendue dans les formes prescrites, et avec toutes les garanties dues à l'accusé.

Il fut pourvu à cette lacune par la loi du 18 vendémiaire an vi, qui, ayant pour objet de faire participer les troupes aux bienfaits que la constitution d'alors accordait à tous les citoyens, établit un conseil de révision permanent dans chaque division d'armée et dans chaque division de troupes employées dans l'intérieur.

Ce nouveau conseil ne put connaître du fond de l'affaire ce n'était donc pas un tribunal d'appel, chargé de vérifier le bien ou le mal jugé du premier; ses attributions furent restreintes à l'annulation des jugements pour les cas suivants : 1° lorsque le conseil de guerre n'aurait pas été formé de la manière prescrite par la loi; 2° lorsqu'il aurait outrepassé sa compétence, soit à l'égard des prévenus, soit à l'égard des délits dont la loi lui attribuait la connaissance; 3o lorsqu'il se serait déclaré incompétent pour juger un prévenu soumis à sa juridiction; 4° lorsqu'une des formes prescrites par la loi n'aurait point

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