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forte. Soit qu'envahie par les autres classes, elle soit amenée par la toute-puissance des mœurs et de l'opinion à se confondre avec elles, soit que sa vitalité se soit affaiblie à la longue par l'abus des avantages qu'elle avait en propre, il est de fait que les grandes familles laissent peu d'héritiers de leur nom.

En Angleterre, celui de tous les pays où elle est En Angleterre. peut-être la plus vivace, sur cette terre du privilége le droit d'aînesse et les substitutions, elle n'a pu se soustraire à l'empire des causes qui la minent incessamment.

maintenu par

En 1688, on y comptait, au rapport de Gregory King, 27,000 individus nobles; en 1811, il n'en restait plus que 12,500; cent vingt-trois ans avaient suffi pour en détruire plus de la moitié!

En France, où le privilége ne soutient plus les grands noms, cette décroissance est bien plus grande encore; un fait va le prouver. Le roi Louis XVIII nomma, en 1814, cent quarante-neuf pairs dont la plupart portaient des noms historiques, et formaient la haute aristocratie de l'ancienne France. Lorsqu'en 1830 la nouvelle dynastie remplaça l'ancienne, cinquante-deux de ces pairs étaient morts sans avoir laissé d'héritiers mâles; ainsi, en quinze ans, plus du tiers de ceux qui portaient ces grands noms s'étaient éteints.

Il n'est pas jusqu'à nos villes de province qui ne voient disparaître successivement les familles qui appartenaient ou à la noblesse ou seulement à la haute bourgeoisie; nous pourrions citer l'une d'elles, qui nous est plus particulièrement connue, et où, depuis

En France.

Dans les villes

de province.

moins de cinquante ans, sur une population de 18,000 à 20,000 habitants, plus de cent de ces familles se sont évanouies et ont été remplacées par d'autres d'origine différente, qui forment aujourd'hui cette bourgeoisie riche par le travail, éclairée par l'éducation, en possession de toutes les professions libérales, de tous les emplois de la cité, de toutes les hautes positions du commerce et de l'industrie, qui se recrute à son tour et sans cesse dans les couches inférieures d'où, à une heure ou à une autre, elle est sortie elle-même.

Ses rangs se grossissent de tout citoyen qui a fait un heureux emploi de son intelligence ou de son activité, de tout artisan qui s'est créé, par une aptitude spéciale, cette notoriété qui enrichit en même temps qu'elle honore, de tout agriculteur dont une exploitation habile a fait fructifier les sueurs.

Ainsi se substitue une société nouvelle à celle qui s'en va. C'est à peine si, dans la ville à laquelle nous faisons allusion, il subsiste encore six ou huit de ces familles qui formaient la bourgeoisie d'autrefois, et on nous assure qu'il en est de même dans la plupart de nos villes de province.

Ce facile accès à toutes les positions dans l'ordre politique et civil, ce tableau offert à nos regards, d'hommes que la conscience de leur valeur, secondée par une volonté ferme, a aidés à parvenir aux plus hauts grades de l'armée, à occuper les siéges les plus élevés de la magistrature, à s'asseoir dans les conseils de la Couronne: est-ce là un ordre de choses qui donne raison aux détracteurs systématiques de nos institu

tions sociales, et ne sent-on pas, en examinant de près ce qu'il y a au fond de ces déclamations passionnées, s'accroître son indignation contre ces sophistes de mauvaise foi, qui attristent par le découragement la destinée des petits et des pauvres, au lieu de l'adoucir par la résignation ou de la relever par l'espérance?

CHAPITRE II.

Tableau de la société, eu égard aux crimes ordinaires.

Après avoir présenté ce tableau de notre situation. sociale, au point de vue des crimes politiques, lesquels forment une catégorie à part, nous avons à exposer le même tableau au point de vue des crimes ordinaires.

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RÉPARTITION DE LA POPULATION FRANÇAISE
QUANT A SA CRIMINALITÉ.

Tâchons d'abord de classer la population française, en tenant compte, soit des lieux sur lesquels elle est disséminée, soit des moyens d'existence assurés à chaque habitant, ou qu'il peut se procurer par son travail, soit des professions diverses qui sont exercées toutes circonstances qui doivent avoir action sur la moralité et par suite sur la criminalité, objet de nos recherches.

La population française se compose de races d'o- Selon les races. rigines différentes. Quelques économistes ont eu la

pensée que le nombre et la nature des crimes et des délits pouvaient se trouver en rapport avec ces origines, et que, par exemple, il pouvait y avoir à cet égard des distinctions à faire entre les départements du Haut et du Bas-Rhin, dont les habitants sont de race germanique, et les départements du Morbihan, du Finistère, des Côtes-du-Nord, où la race celtique domine; entre les départements du Var, des Hautes et Basses-Alpes d'origine italique, et les départements des Hautes et des Basses-Pyrénées qui ont pour souche la race ibère; enfin, entre les habitants de race flamande, tels que ceux des départements du Nord et du Pas-de-Calais, et les habitants d'origine normande, tels que ceux du Calvados.

Nous n'avons rien trouvé dans nos statistiques qui pût servir à justifier ces distinctions. Les nombreux siècles qui se sont écoulés depuis la fusion des races, ont fait disparaître, sinon tout à fait les types originaux, du moins les différences notables qui, dans l'origine, pouvaient exister entre elles. Régis par les mêmes institutions, soumis au même Gouvernement, vainqueurs et vaincus n'ont plus formé, avec le temps, qu'un seul peuple, mettant en commun ses notions du bien et du mal, sous le niveau de ces lois générales de l'humanité qui imposent à chaque nation, comme à chaque individu, sa part d'infirmités morales.

Nous laisserons donc de côté les différences d'origine, pour ne nous attacher qu'à celles que nos statistiques nous permettront de saisir avec plus de certitude.

La population de la France est répandue inégalement dans les villes et les campagnes; en la portant à 36 millions d'habitants, les économistes les plus accrédités et notamment notre savant confrère, M. Moreau de Jonnès, qui a bien voulu nous communiquer à cet égard le résultat de ses laborieuses recherches, ont divisé cette population ainsi : 24 millions d'habitants seraient employés aux travaux agricoles; 2,500,000 dans les manufactures; 3,800,000 aux arts et métiers, et 5,700,000 composeraient les autres classes de la société; mais comme sur les 9 millions et demi d'habitants dont se forment ces dernières classes, il en est plus d'un million qui, résidant dans les villages et les bourgs, se livrent temporairement aux travaux d'agriculture et d'horticulture, on peut porter à 25 millions le nombre de ceux qui constituent, en France, la population proprement dite agricole, ce qui fait un peu plus des deux tiers de la population totale.

Répartition de la population en France.

Proportion des crimes entre les villes

et

La proportion entre les habitants des villes et ceux des campagnes étant donc de 1 à 3, il devrait se commettre deux fois plus de crimes dans les campa- les campagnes. gnes que dans les villes. Or, c'est presque le contraire qui arrive. En 1851 et 1852, sur 7,071 accusés pour la première de ces deux années, et sur 7,096 pour la seconde, il y a eu 2,673 accusés dans l'une, et 2,605 dans l'autre, parmi les habitants des campagnes; tandis que si le nombre de ces accusés eût été réparti également, les populations des campagnes auraient dû en fournir beaucoup plus.

Si on consulte d'ailleurs les dernières statistiques

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