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tère de la justice, séjournent chaque année plus ou moins longtemps dans nos prisons, et en ajoutant à ce nombre les 56,304 détenus par mesure administrative, ainsi que le constate la statistique du ministère de l'intérieur, ce qui fait un total de 221,570, n'eston pas effrayé de voir une aussi grande masse d'individus non corrigés, et qui n'ont pu l'être, rentrer périodiquement, c'est-à-dire presque chaque année aussi, dans la société, y apporter, avec leurs vices propres, tous ceux qu'ils ont acquis par leur contact avec les autres prisonniers, corrompre à leur tour nos populations saines, et par leurs fatales dispositions menacer constamment la sécurité de tous?

A quelle cause faut-il attribuer

l'augmentation des crimes

et des délits ?

CHAPITRE IV.

Causes de l'augmentation des crimes et des

délits.

Si, parmi les crimes contre les personnes, il en est dont le nombre depuis 1826 a doublé et même triplé; si les délits ont plus que quadruplé, à quelle cause y a-t-il lieu d'attribuer cette augmentation? Peut-on dire qu'elle a suivi le mouvement de la population? Mais celle-ci, depuis 1826, ne s'est guère accrue que de 4 millions ou d'un neuvième environ. Doit-on chercher cette cause dans le mouvement ascendant de la richesse privée qui, en créant des besoins nouveaux, a multiplié aussi les moyens illicitement employés pour les satisfaire? Ces causes réunies n'auraient pu, à elles seules, produire ou motiver une

progression aussi considérable et aussi rapide dans la marche de la criminalité.

Il faut donc chercher une autre origine à ce mal qui se propage d'une façon si alarmante.

Or cette origine n'est-elle pas, en grande partie du moins, celle qui a été signalée si souvent par M. le garde des sceaux, à savoir, l'insuffisance du mode d'infliction de la répression pénale?

SI. PEINES INFLIGÉES PAR NOTRE LÉGISLATION.

-

On a vu que, dans l'état actuel de notre législation, on peut réduire à trois les peines appliquées à ceux qui se rendent coupables de crimes ou de délits :

L'emprisonnement et la réclusion;
Les travaux forcés;

La mort.

Nous confondons à dessein l'emprisonnement et la réclusion, parce que celle-ci n'est que l'emprisonnement à un degré plus élevé.

Les travaux forcés, avant que la suppression des bagnes eût été décrétée, et qu'ils eussent été transformés en transportation, étaient réellement aussi une sorte de détention; seulement, elle était réalisée dans un plus grand espace, avec emploi de travaux en plein air, et jouissance d'une liberté moins restreinte.

Occupons-nous avant tout de l'emprisonnement, qui, par le vice de son application, nous semble avoir contribué beaucoup à accroître le mal.

Trois

sortes de peines infligées par notre législation.

Peine

de l'emprisonnement.

Elle est inflictive.

Divisible.

Exemplaire.

Simple.

Réparable.

Elle doit

être

Cette peine, nous l'avons dit ailleurs (1), réunit, si elle est convenablement infligée, toutes les conditions d'une répression efficace :

Elle est inflictive à un haut degré; car la perte de la liberté est un supplice de toutes les heures;

Elle est divisible, par la facilité d'en étendre la durée, ou d'en augmenter l'intensité;

Elle est exemplaire, et si l'impression extérieure qu'elle produit est moins forte et moins solennelle que la vue de l'échafaud, cette impression ne s'efface pas et n'est pas combattue par un sentiment de commisération pareil à celui qui s'attache toujours à une fin sanglante;

Elle est simple, et conséquemment bien comprise, car elle est à la portée de toutes les intelligences et peut s'appliquer à tous les âges;

Elle est enfin réparable, avantage qu'on ne saurait trouver dans aucun des châtiments corporels.

La peine de l'emprisonnement, réunissant tous ces caractères, ne peut donc être comparée à aucune

autre.

Mais il ne suffit pas qu'elle soit inflictive à un haut réformatrice. degré, il faut encore, sans quoi elle manquerait son effet et n'atteindrait pas le but qu'on se propose, il faut qu'elle soit réformatrice.

Longtemps nos législateurs ont négligé de l'envisager sous ce dernier point de vue.

Le code de 1791 décréta les fers ou travaux for

(1) Rapport à la Chambre des pairs en 1847.

cés, la gêne, la détention : ces divers modes constituaient en réalité une peine unique, diversement appliquée. C'était l'emprisonnement à plusieurs degrés dans des maisons de force, dans des ports, ou dans des maisons d'un ordre secondaire.

Les codes de l'an IV et de l'an X n'apportèrent au code de 1791 que des modifications relatives à des conditions de durée et de gravité, mais qui ne changèrent notablement ni le principe ni la nature de cette peine; la privation de la liberté, diversifiée sous les noms de travaux forcés, de réclusion et d'emprisonnement, continua d'être le principe élémentaire de notre système répressif.

Mais dans l'application, ces variétés de la même peine étaient loin de répondre à la variété des faits qu'on avait l'intention de punir d'une manière spéciale et distincte.

Les travaux forcés subis dans nos bagnes, bien qu'ils constituassent le mode d'incarcération qu'on supposait le plus rigoureux, étaient devenus, par la douceur du régime, par la faculté du travail en plein air, et même par les communications avec l'extérieur, un objet de préférence et d'envie pour ceux qui avaient encouru des peines inférieures, à ce point qu'on avait vu, ainsi que nous l'avons rappelé plus haut, des condamnés à la réclusion commettre de nouveaux crimes dans la maison centrale où ils subissaient leur peine, afin d'encourir une nouvelle condamnation par suite de laquelle ils seraient envoyés au bagne.

D'un autre côté, les condamnés à la réclusion et

Confusion dans

l'application des peines.

les condamnés à l'emprisonnement étaient renfermés le plus ordinairement dans les mêmes lieux, sans qu'on se préoccupât de conserver entre eux les distinctions que nos codes avaient spécifiées; de telle sorte que l'échelle de la pénalité était renversée à l'égard des uns, le niveau d'un traitement commun étendu sur tous les autres, et que le caractère le plus appréciable de ce genre d'expiation, la divisibilité par l'intensité, s'effaçait complétement, pour ne plus laisser subsister d'autre différence que celle qui résultait de la durée.

C'est ce qui existe encore aujourd'hui. Nos maisons centrales ne renferment pas seulement les condamnés à la réclusion, elles renferment en bien plus grand nombre des condamnés à l'emprisonnement. Sur les 19,720 détenus des deux sexes qui se trouvaient dans nos maisons centrales au 31 décembre 1852, il y avait 13,777 condamnés correctionnels à plus d'un an d'emprisonnement, 4,568 condamnés à la réclusion seulement, et 1,375 condamnés aux travaux forcés, dont les femmes formaient le plus grand nombre.

Quant aux prisons départementales, elles renferment tout à la fois les condamnés correctionnels à moins d'un an d'emprisonnement, les condamnés pour simples contraventions, les prévenus et les accusés; elles renferment aussi les enfants.

S II.

-

ÉTAT DES PRISONS SOUS LA RESTAURATION.

Dès les commencements de la Restauration, le

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