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Gouvernement se préoccupa de la situation de nos prisons, qui alors était déplorable. Une affreuse promiscuité rapprochait entre elles les diverses classes de détenus; le mélange des âges et quelquefois des sexes étendait à tous la lèpre de la corruption.

Si la morale publique s'affligeait de cette situation, l'humanité n'en souffrait pas moins.

Le plus souvent les détenus étaient renfermés pêlemêle dans des cachots humides et privés d'air. Couchés sur une paille qui, rarement renouvelée, ajoutait à l'infection de cette atmosphère; couverts de vêtements qui, presque toujours insuffisants pour les garantir du froid, tombaient en lambeaux; recevant une nourriture rare et parcimonieuse, que dans beaucoup de lieux ils ne tenaient en grande partie que de la charité publique, ces malheureux ne tardaient pas à être en proie aux maladies les plus graves, et la mortalité dans les prisons était arrivée à un chiffre vraiment attristant.

Cet état de choses n'était pas propre à un seul pays, il régnait dans toute l'Europe.

des prisons.

La Restauration, disions-nous, s'en préoccupa. Société royale Une ordonnance royale, rendue en 1819, institua une Société royale des prisons, que dirigeait un conseil général de vingt-quatre membres choisis par le roi, sur la proposition du ministre de l'intérieur. Ce conseil reçut mission d'indiquer les changements qu'il lui paraîtrait utile d'introduire dans le régime des prisons; de dresser des règlements sur lesquels devait être assise la constitution intérieure de ces établissements, et de recueillir tous les renseignements

Les réformes sont plus matérielles que morales.

propres à assurer de toutes parts l'uniforme application des mêmes principes.

Cette société rendit de grands services: elle déchira le voile qui couvrait la plus hideuse de nos plaies; elle signala des abus que le Gouvernement ignorait lui-même. Ce fut principalement sur la situation matérielle de nos lieux de répression qu'elle appela l'attention, et les maisons centrales, qui étaient plus directement sous la main de l'administration, ressentirent les premiers effets de ses investigations. Elles furent assainies; l'air, l'espace, furent donnés aux prisonniers, le travail fut organisé, la nourriture devint saine et abondante.

Quant aux prisons départementales sur lesquelles le Gouvernement avait moins d'action, ce ne fut que lentement et dans la mesure de l'attention qu'y apportaient les conseils généraux, qu'elles participèrent aux mêmes avantages.

Cependant, les attributions du conseil général des prisons étant mal définies, la marche de l'administration s'en trouva gênée; on cessa de le réunir, et à la fin de 1829, après dix années d'existence, la Société se trouva dissoute de fait.

On ne peut méconnaître que la Société royale des prisons ne fît beaucoup de bien; mais elle s'occupa plus du bien-être des prisonniers que de leur transformation, et si l'humanité eut à s'applaudir des résultats obtenus, ce bien-être s'accrut au point d'enlever à la répression une grande partie de son efficacité. La facilité en outre qu'avait le détenu de dépenser à la cantine la part qui lui était donnée

dans le produit de son travail rendait plus frappant encore le contraste que nous avons déjà eu occasion de faire ressortir, de cette position si douce à tous égards, avec celle de l'ouvrier honnête et laborieux, lequel ne se procure qu'avec peine, et s'il est chargé de famille, qu'au prix des privations les plus rudes, la satisfaction des premières nécessités de la vie.

S III.

PRISONS SOUS LE GOUVERNEMENT DE
JUILLET.

On ne tarda pas à reconnaître qu'il y avait là abus et péril.

Sous l'administration de M. le comte de Gasparin, la discipline des maisons centrales devint plus sévère; on supprima la cantine, cette occasion de désordres de toute nature; la règle du silence fut imposée, et sauf la substitution de cellules séparées au dortoir commun, le régime de ces maisons fut en tout semblable à celui d'Auburn, qui, comme on le sait, consiste dans l'isolement cellulaire pendant la nuit, et dans le travail en commun pendant le jour, avec observation du silence.

On s'occupe

des

maisons

centrales.

Mais dans les prisons départementales, une disci- On ne fait rien pline sans force ne reçut pas même l'appui, quelque faible qu'il fût, de cette prescription nouvelle.

Telles furent les améliorations, bien imparfaites, apportées sous le gouvernement de Louis-Philippe, dans le régime de nos prisons.

Cet état de chose dure encore.

pour les prisons départementales.

Le mode

de répression actuel ne remplit pas

son but.

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Le mode d'administration des maisons centrales est tout ce qu'il peut être. Nous avons nous-même rendu hommage à l'ordre qui règne dans ces lieux de répression, à la parfaite régularité des exercices, à la manière utile et productive avec laquelle le travail est organisé, surtout depuis que, dans certaines de ces prisons, le système de régie a été substitué à celui de l'entreprise. Et cependant, la preuve irrécusable que ce régime est mauvais et qu'il renferme un vice qu'on tenterait vainement de pallier, résulte de l'augmentation toujours croissante des récidives, des crimes et des délits.

La forme de la répression employée jusqu'ici ne remplit donc nullement la condition principale que le législateur doit avoir en vue, l'amendement du condamné. Cette forme met en lumière une vérité devenue désormais hors de toute constestation, à savoir: que l'emprisonnement collectif, nonobstant tous les efforts qui peuvent être tentés pour en corriger les inconvénients, oppose, par sa nature même, à toute réforme réelle te sérieuse, un obstacle insurmontable.

Comment en esrait-il autrement, quand, au milieu de cette atmosphère de corruption, il suffit en quelque sorte de l'air qu'on y respire, pour étouffer dans les uns la secrète résistance des bons instincts, pour exalter chez les autres cette perversité qui s'accroît en se communiquant?

Il n'est pas de si sage mesure qu'elle ne devienne,

par suite du contact des condamnés entre eux, une occasion de désordre.

Ainsi, la loi du silence, dont nous avons parlé, non moins fâcheuse dans ses effets que vaine dans ses exigences, irrite, par le stimulant d'une difficulté à vaincre, ce désir si naturel à des hommes réunis dans le même lieu, soumis à la même discipline, frappés de la même réprobation, d'échanger entre eux leurs sentiments et leurs pensées, désir tôt ou tard satisfait à l'aide des moyens ingénieux que crée la nécessité, et dont l'emploi ajoute à cette mystérieuse intelligence une force qui en resserre le lien, et en augmente le danger.

Des libérés des maisons centrales nous ont avoué qu'au moyen de signes convenus entre eux, les détenus se communiquaient bientôt leurs noms, le lieu de leur naissance, la cause de leur condamnation, l'époque de leur sortie, le pays où ils se proposaient de se rendre après leur libération. Tous ne tardaient pas à se connaître, et en procédant avec une certaine patience, il parvenaient à se faire part de leurs projets respectifs, et à préparer, pour ce moment si impatiemment attendu, de perverses associations, des plans nouveaux, tout un avenir de désordre et de crime.

La loi du silence n'est donc qu'un vain palliatif apporté au mal qu'engendre la vie commune.

Ce n'est pas tout corrupteur dans le présent, l'emprisonnement collectif a pour résultat inévitable de consolider le mal qu'il a fait, en l'étendant au delà des limites dans lesquelles il se reproduit.

Loi du silence insuffisante.

Vices

de l'emprisonne

ment collectif.

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