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par la hache, peine qui, comme nous l'avons dit, n'entachait pas, fût substituée au supplice de la roue. Y eut-il un malentendu ? le régent ne s'expliqua-til pas clairement? promit-il ? il y a doute à cet égard; mais l'assistance se retira avec la confiance que la faveur sollicitée dans l'intérêt et pour l'honneur des familles qu'elle représentait était accordée, que des lettres de commutation seraient expédiées au procureur général le lendemain matin, qu'un échafaud serait dressé dans le cloître de la Conciergerie, et que le comte y serait décapité dans la matinée du même jour, immédiatement après avoir reçu l'absolution.

Quelle ne fut pas la surprise des personnages illustres qui avaient fait la démarche, lorsque, le lendemain 26 mars, ils apprirent que le comte de Horn était exposé sur la roue en place de Grève, depuis six heures et demie du matin, sur le même échafaud que le Piémontais condamné avec lui, et qu'il avait été soumis à la torture avant d'être supplicié!

Y eut-il dans cette circonstance duplicité de la part du régent? On l'ignore; mais, toute réserve faite à cet égard, la fermeté qu'il montra dans cette circonstance fut, dit un historien (1), louée à la fois par les hommes d'État, par les philosophes, par le peuple, et ne fut blâmée que des courtisans. Ceux-ci prétendirent que l'honneur des grandes familles avait été sacrifié à la crainte de mécontenter les agioteurs. Cependant, ajoute le même historien, ce coup hardi

(1) Lacretelle.

porté à un préjugé immoral et funeste ne nuisit nullement dans l'opinion à ces grands noms qu'il semblait compromettre. Effectivement, soit que l'inexorable rigueur du duc d'Orléans eût, au fond et en la forme, révolté la haute aristocratie européenne, soit que l'opinion publique, d'abord favorable, eût fini par le blâmer, la famille du supplicié n'en souffrit ni dans son honneur ni dans sa considération; les filles de son frère épousèrent des princes de l'Empire, et toutes les fois que les quartiers de Horn se présentèrent pour les grands chapitres, et même pour les bénéfices électoraux, tels que les archevêchés de Mayence, de Cologne et de Trèves, personne ne s'avisa de leur opposer qu'ils pussent être notés d'infamie.

Nous nous sommes arrêté sur ce souvenir historique pour montrer quelle était dans notre ancienne France l'inégalité dans l'application des peines; inégalité, ou plutôt privilége, qui existait même devant la mort, et qui ne tendait à rien moins qu'à confondre toutes les notions de la justice. Car, s'il y a une égalité sur la terre, c'est assurément celle qui soumet à son inflexible niveau les faits criminels du même ordre et ceux qui, au même degré, s'en rendent coupables; et dans le cas où on admettrait une différence dans l'appréciation des uns et dans la punition des autres, ne devrait-elle pas être toute à la charge des hommes que l'éducation, le rang, les obligations spéciales attachées à leur nom, semblent protéger plus efficacement contre l'entraînement des passions et l'oubli d'eux-mêmes.

L'Assemblée constituante, lorsqu'elle s'occupa de la rédaction d'un nouveau code pénal, dut faire cesser cette choquante inégalité: proclamant le principe, resté acquis depuis elle à notre droit public, que tous les Français sont égaux devant la loi, elle les soumit tous indistinctement aux mêmes prescriptions civiles et pénales.

C'est pour cela qu'un mode uniforme d'infliction de la peine de mort fut déclaré applicable à tous les condamnés sans distinction.

C'est pour cela aussi que la mort par décapitation fut substituée aux autres châtiments; on se fonda, pour l'adopter, sur ce que, dans l'opinion des Français, ce genre de supplice n'était point infamant pour les parents du condamné. Ainsi la préférence qui lui fut donnée prenait sa source dans une pensée d'égalité tout à la fois, et de respect pour l'honneur des familles.

Le savant médecin qui, membre de l'Assemblée nationale, proposa à cette Assemblée l'instrument de mort actuellement en usage, n'en fut point l'inventeur, ainsi qu'on l'a cru assez généralement ; le modèle en existait déjà en Italie, sous le nom de Mannaia, mais il subit différentes modifications, d'après les avis du célèbre Louis, secrétaire de l'Académie de chirurgie, ce qui fit que dans les premiers temps on lui donna le nom de Petite Louison; il ne reçut que plus tard le nom de celui qui en avait proposé l'adoption, ce qui fut pour ce dernier le sujet d'une peine profonde et donna lieu à des préventions d'autant plus injustes à son égard, que ses mœurs étaient

Égalité des supplices proclamée par l'Assemblée constituante.

Savants

médecins, Guillotin,

Louis.

Exécution des parricides.

Confiscation des

biens abolis.

douces et pures, et que c'était dans l'intérêt de l'humanité qu'il avait cherché à abréger les souffrances de l'homme atteint par la vindicte publique. Ces préventions influèrent sur le repos de sa vie; plus d'une fois il se reprocha le sentiment de pitié dont il avait été animé, et lui-même persécuté, emprisonné pendant la Terreur, eût péri par le même supplice auquel son nom était attaché, si l'événement du 9 thermidor ne l'eût rendu à la liberté.

Une aggravation fut introduite plus tard dans l'application de la peine capitale au cas de parricide. Le Code de 1810 avait voulu que le condamné fût conduit sur le lieu de l'exécution, en chemise, nu-pieds et la tête couverte d'un voile noir: il voulait encore qu'il fût exposé sur l'échafaud pendant qu'un huissier ferait au peuple lecture de l'arrêt de condamnation, et qu'immédiatement avant d'être mis à mort il eût le poing droit coupé. On a vu qu'à la grande satisfaction des amis de l'humanité, cette mutilation avait été supprimée par la loi d'avril 1832: toutes les autres prescriptions relatives aux parricides furent

conservées.

D'après le même Code de 1810, lorsque la peine de mort était prononcée pour crimes contre la paix extérieure ou intérieure du pays, pour fausse monnaie ou pour contrefaçon des sceaux de l'État, elle était suivie de la confiscation des biens des condamnés. Mais cette autre aggravation, aussi immorale qu'injuste en ce qu'elle punissait les enfants des fautes de leurs pères, fut, ainsi que nous l'avons dit, supprimée par la Charte de 1814. La confiscation fut abolie

aux applaudissements de toute la France; et cette abolition confirmée par la Charte de 1830, résultat heureux de l'adoucissement des mœurs publiques, est dès lors entrée dans nos institutions comme l'une des garanties les plus inviolables de notre droit public.

Un pas de plus dans cette voie de mansuétude et d'humanité où nous a conduits la marche progressive des idées, et nous verrons se réaliser une amélioration profitable aux intérêts de l'ordre le plus élevé, par la suppression des formes dans lesquelles s'exerce ce terrible droit du glaive, dernière expression de la justice sociale. Puisse venir un jour, et ce jour n'être pas loin, où on pourra dire que la moralité publique, au lieu de germer et de croître dans le sang versé au nom des lois, s'en trouve entachée et flétrie! où nous ne verrons plus se repaître de dangereuses impressions, cette curiosité sauvage qui inonde la place où se dresse l'instrument du supplice, associe à son impatience fébrile la plus tendre enfance, épie les angoisses du condamné, s'attache, pour ainsi parler, aux palpitations de son agonie, et, de retour sous le toit domestique, n'y rapporte que l'endurcissement de cœur, produit par la satiété des émotions.

Nous avons parlé de l'enfance: ne voit-on pas en effet des mères conduire elles-mêmes les êtres qui leur doivent le jour à ces affreux spectacles, pour, disent-elles, graver fortement dans leur mémoire la solennelle leçon du châtiment réservé aux malfaiteurs? Les insensées ne s'aperçoivent pas qu'elles préparent ainsi l'endurcissement de jeunes cœurs qu'il faudrait au contraire former aux affections dou

Spectacle du supplice dangereux pour

les enfants.

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