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mises aux deux régimes, et qu'il avait pu comparer les résultats.

S III.

EXAMEN DE LA QUESTION DE L'EMPRISONNE

MENT CELLULAIRE.

Puisqu'on semble ne tenir aucun compte, ni des sérieuses études faites par ordre du Gouvernement depuis vingt ans, ni de l'opinion manifestée par les grands corps de l'État appelés plusieurs fois à en délibérer, ni de l'opinion des cours d'appel lorsqu'elles ont été consultées, on nous pardonnera d'examiner de nouveau une question qui paraissait cependant irrévocablement résolue. Pour cela, nous n'aurons qu'à retracer quelques-unes des considérations qui furent exposées dans le sein de la commission de la Chambre des pairs de 1847, et reproduites dans le rapport qui fut présenté au nom de cette commission.

Ce qui frappe tout d'abord dans l'application du système de l'isolement, c'est qu'il met un terme au double inconvénient que nous avons signalé tant de fois d'une part, école mutuelle de perversité, avenir commun engagé dans le crime; d'autre part, et par suite, affiliations toutes formées, complicité forcée de la faiblesse, impuissance du repentir!

Au point de vue philosophique, il est impossible de méconnaître combien est grande l'influence de la solitude sur le moral de l'homme.

Elle est déjà un grand bien pour le juste. En l'accoutumant à vivre de la vie intérieure, elle retrempe son énergie, élève et épure ses sentiments, lui donne

Effet de la solitude

au point de vue philosophique.

des choses de la terre une plus saine appréciation, et, à cette distance des imperfections comme des torts de l'humanité, le dispose, par l'indulgente mansuétude du cœur, aux nobles dévouements et aux grandes actions.

Si la solitude agit de la sorte sur l'homme de bien, de quel secours ne doit-elle pas être sur ceux qui ont failli?

Placé en présence de lui-même, à l'abri de toute excitation extérieure, le condamné se retrouve tout entier au milieu de ce silence qui le laisse à l'entière spontanéité de ses impressions, en pleine et libre possession de sa pensée, entendant de plus près, et forcé d'écouter mieux la voix de sa conscience. Le trouble qu'il éprouve, peut-être pour la première fois, lui révèle toute l'étendue et toute l'énormité de sa faute. Plus de fausse honte; il n'est pas sous le regard d'autrui! Plus de forfanterie, cette force factice du faible! A l'effroi succède l'abattement; à l'abattement, ce besoin secret de consolation que Dieu a mis au fond de l'âme de toute créature. Et à quelles consolations peut-il avoir recours, si ce n'est à celles qui viennent d'en haut et qui seules enlèvent au remords tout ce qu'il a de poignant et d'amer? Ainsi préparé à se décharger du poids qui l'oppresse, qu'une voix amie pénètre dans sa cellule, que de temps à autre elle fasse parvenir à son oreille des paroles de paix et d'espérance, et il se fera en lui une heureuse transformation qui, pour être durable, n'aura besoin que de l'emploi suffisamment prolongé des moyens qui l'auront produite.

Tel sera l'effet salutaire de la solitude.

A ce système si simple, si approprié à la nature de l'homme, on fait des objections.

On appréhende que la solitude n'influe d'une manière fâcheuse sur le détenu. Le désespoir, dit-on, s'emparera de lui, sa tête s'égarera, et il en résultera un certain trouble dans les facultés de l'esprit. En même temps, son corps étant privé de mouvement, y aurait lieu de craindre qu'il ne fût envahi par l'une de ces maladies lentes qui prennent leur source dans des habitudes trop sédentaires.

il

D'un autre côté, il serait difficile de procurer aux condamnés, étroitement renfermés dans leurs cellules, des occupations variées et de les soumettre à un travail productif; de sorte que l'enseignement professionnel deviendrait nul pour eux, par la difficulté de leur en assurer isolément le bienfait.

Enfin, il en serait de même de l'enseignement religieux et élémentaire; car comment l'introduire dans chaque cellule, sans augmenter outre mesure, avec un accroissement proportionné des dépenses, le nombre des ministres des cultes et celui des instituteurs?

L'expérience faite à l'étranger et en France a répondu à toutes ces objections.

D'abord, il faut bien établir que nulle part on ne propose que l'isolement soit absolu. S'il le fut dans les premiers temps à Philadelphie, au pénitencier de Cherry-Hill, où le détenu, d'abord privé de travail, ne recevant ses aliments que par un tour, était ense

Objections faites au système de l'emprisonne

ment individuel.

Réponse aux objections.

Communications.

Travail.

veli dans une sorte de tombeau, ce régime y a été singulièrement adouci.

On a reconnu que, pour obtenir l'amendement du condamné, il suffisait qu'il fût privé de communications avec les autres détenus; on s'est donc borné à le séparer d'eux, et on a favorisé toutes les autres communications qui étaient de nature à faire naître et à développer en lui les sentiments honnêtes.

C'est ce régime tempéré qui a été appliqué avec le plus grand succès aux États-Unis, en Angleterre, en Belgique, dans les Pays-Bas, en Danemark, en Suède et en Norwége, dans le duché de Toscane, dans le grand-duché de Bade, et enfin dans les 60 prisons cellulaires départementales qui existent en France.

L'emploi du travail dans la cellule ne présente aucune difficulté: on a fait l'énumération de quatrevingts industries diverses qui peuvent y être utilement exercées. Il est reconnu que l'ouvrier qui s'occupe seul et sans distraction est plus appliqué, plus attentif; que son intelligence se développe davantage, que son aptitude s'agrandit par la réflexion, qu'il acquiert ainsi plus promptement la perfection dans l'art manuel qu'on lui enseigne, et qu'enfin le travail qui le protége contre l'ennui, et dont la privation lui est seulement imposée comme punition, devient pour lui un besoin, qu'il s'y livre avec ardeur, et qu'il en prend le goût, de façon à lui faire porter dans la vie libre, lorsqu'il y sera rendu, les habitudes qu'il aura contractées dans le pénitencier; effet bien différent de celui qui a été constaté dans

les ateliers des prisons en commun, où le labeur quotidien, s'accomplissant sous la menace incessante du châtiment, ne s'obtient qu'avec répugnance de la part du détenu qui, plus tard, considérera comme un résultat heureux de sa libération, l'avantage d'en étre affranchi.

Le travail, et surtout le travail solitaire, a une grande puissance moralisatrice; les mouvements du corps se joignant à l'activité de l'esprit, il en résulte, pour les facultés de l'âme, une sorte d'équilibre. Avec le travail, naît l'amour de l'ordre, non pas seulement de cet ordre matériel qui consiste dans l'arrangement méthodique et uniforme des objets, mais de cet ordre moral qui met les actions d'accord avec les sentiments.

élémentaire.

L'enseignement élémentaire ne présente pas plus Enseignement de difficultés: une méthode nouvelle, due à l'ancien instituteur de la maison correctionnelle de la Roquette, aujourd'hui directeur de maison centrale, M. Poutignac de Villars, permet d'instruire à la fois, et avec un seul maître, toute la population d'un pénitencier cellulaire. Le mécanisme de cette méthode est aussi simple qu'ingénieux. Chaque détenu, placé devant une table, dans sa cellule, répète à voix basse, et copie les lettres et les mots écrits sur un tableau qu'il a sous les yeux, à mesure qu'ils sont prononcés à haute voix par un surveillant qui se trouve dans le corridor. Le détenu apprend ainsi à lire et à écrire à la fois. C'est aussi de la même manière que l'arithmétique lui est enseignée, et ses progrès sont d'autant plus rapides, que son attention, donnée tout entière

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