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reviendrons, car c'est un modèle sur lequel on ne saurait trop appeler l'attention des Gouvernements. Cet établissement pénitentiaire, visité par l'honorable M. Ducpétiaux, inspecteur général des prisons du royaume de Belgique, d'après les ordres de son Gouvernement, a été l'objet d'une notice récemment publiée dans laquelle ce savant distingué a consigné ses intéressantes observations.

« La prison cellulaire de Bruchsal fut projetée et commencée, dit-il, en 1841 et ouverte le 10 octobre 1848; elle est destinée aux hommes condamnés pour crimes à la peine de l'emprisonnement pour un terme indéfini.

« Une loi du 6 mars 1845 règla le régime de l'établissement. Ce régime est celui de la séparation de jour et de nuit, combinée avec le travail, l'instruction, les visites, etc. L'isolement ne peut excéder une période de six ans, à moins que les détenus eux-mêmes n'en demandent la prolongation. Passé ce terme, ils sont réunis par petites divisions pour le travail en commun. La peine est réduite d'un tiers pendant l'encellulement, c'est-à-dire que deux mois de cellule sont considérés comme l'équivalent de trois mois passés en réunion. Chaque détenu doit être visité dans sa cellule au moins six fois par jour, et jouit au moins d'une demi-heure d'exercice en plein air. Parmi ces visites, sont comptées celles du directeur et du directeur adjoint, du médecin, des instituteurs, des employés aux travaux, et des membres du comité chargé de l'inspection de la prison.

« Il y a dans l'établissement un aumônier catho

lique et un protestant; chacun d'eux visite journellement le tiers au moins des prisonniers confiés à ses soins, ainsi que tous ceux placés dans les cellules d'infirmerie ou de punition. La durée de chaque visite individuelle doit varier de 3 à 10 minutes, de manière à ce que cette tâche occupe de 6 à 7 heures par jour. Les aumôniers tiennent un journal dans lequel ils inscrivent, jour par jour, toutes les observations que peuvent leur suggérer leurs visites et ils en rendent compte au directeur. Un extrait de leur journal est transmis tous les trois mois au ministère de la justice, en y joignant les remarques et les propositions qu'ils jugent à propos de faire dans l'intérêt du service qui leur est confié.

« Ces aumoniers tiennent en outre une comptabilité morale des détenus où chacun de ceux-ci a son compte ouvert qui résume les renseignements recueillis sur son caractère, ses antécédents, son degré d'intelligence, ses aptitudes, son état moral et ses progrès dans la voie de l'amendement. Cette comptabilité est également utilisée pour les correspondances entamées par les aumôniers avec les ministres du culte dans les communes où les libérés fixent leur résidence, de manière à assurer à ceux-ci le bénéfice d'un patronage bienveillant.

« La prison est distribuée pour contenir une population de 400 détenus. Les cellules sont spacieuses et bien aérées, elles mesurent 13 pieds de long sur 8 de large, et ont 9 pieds 7 pouces de hauteur. Leur cube est d'environ 1,000 pieds tandis que la capacité des prisons de Pentonville n'est que de 820 pieds.

En donnant ainsi plus d'étendue aux cellules, M. Ducpétiaux fait observer qu'on augmente leur salubrité. et qu'on facilite l'exercice des divers métiers introduits dans l'établissement.

« Le mouvement de la population de la prison a été, en 1852, de 566 détenus condamnés, savoir : 82 pour offenses contre le personnel; 345 pour atten tats contre les propriétés; 76 pour crimes politiques, haute trahison, révolte, etc., et 63 pour délits communs militaires.

« Ainsi la prison de Bruchsal reçoit les condamnés de toutes les catégories, quels que soient les offenses, la durée des peines, l'état de récidive, l'âge et le culte professé. Le régime de la séparation est appliqué à tous sans distinction, avec la seule limite assignée à la durée, telle qu'on l'a indiquée.

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Les punitions infligées varient d'après une échelle trop compliquée peut-être, depuis la simple réprimande jusqu'à la mise aux fers. Dans l'année 1853, 157 punitions ont été prononcées; 463 détenus n'en ont encouru aucune. Ce fait témoigne assurément, dit M. Ducpétiaux, en faveur de l'ordre qui règne dans l'établissement, comme de la justice et de la modération qui président à la gestion.

Après avoir passé en revue tous les détails qui se rapportent à l'organisation et à la marche de la prison de Bruchsal, M. Ducpétiaux rend compte des effets généraux du système et de l'impression qui lui est restée de sa visite. Nous rapporterons encore ses paroles : « Le régime cellulaire, dit-il, fonctionne à << Bruchsal d'une manière parfaitement régulière.

Le problème de l'emploi utile des détenus en cellule a été résolu de la manière la plus satisfaisante. Les métiers auxquels on les applique sont généralement choisis de manière à leur procurer des moyens d'existence après leur sortie, et les profits que l'administration retire de leur travail sont plus élevés que dans la plupart des prisons où les détenus sont occupés dans des ateliers communs. Les exercices du culte et l'enseignement scolaire sont l'objet d'un soin tout particulier. Dans aucun autre établissement on ne s'applique avec plus de zèle et de succès, à relever le condamné, à lui inculquer de bons principes, à cultiver son intelligence et à le prémunir, par suite, contre le danger d'une rechute. M. Ducpétiaux s'est entretenu avec plusieurs prisonniers choisis au hasard, il a trouvé chez presque tous une tranquille résignation, même un certain contentement, et surtout la conviction raisonnée du bien opéré sur eux par leur séparation des autres dé

tenus.

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Enfin, ajoute M. Ducpétiaux, l'état sanitaire n'est pas moins remarquable. Il suffit, pour s'en convaincre de comparer le chiffre des cas de maladie et des décès à Bruchsal avec ce même chiffre dans toute autre prison où le système de réunion est encore en vigueur. »>

La conclusion de M. Ducpétiaux, si bon juge en pareille matière, est que la prison de Bruchsal résout ainsi, de la manière la plus victorieuse, le problème de l'application de l'emprisonnement séparé aux condamnés à long terme : « L'exemple de la prison de

Pentonville, dit-il, et des autres prisons cellulaires d'Angleterre où la durée de la séparation est limitée à dix-huit ou même à douze mois, pouvait faire supposer qu'au delà de cette période, il y avait danger à prolonger l'isolement du condamné. Ce danger n'existe pas plus à Bruchsal qu'au pénitencier de Philadelphie où la séparation est même parfois étendue jusqu'à 12 ans sans que l'on en ait éprouvé d'inconvénient. En la limitant à 6 ans, le législateur du grand-duché de Bade a fait preuve sans doute d'une sage prudence, mais lorsque l'on voit que plusieurs détenus, à l'expiration de leurs six années de cellule, sollicitent, à Bruchsal, comme une faveur, la prolongation de ce régime, au lieu du passage dans les ateliers communs, on ne doit pas reculer devant l'extension de cette limite, sauf à prendre d'ailleurs toutes les précautions et à autoriser tous les ménagements susceptibles d'adoucir la rigueur de la séparation, sans en violer le principe.

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Telle est la prison de Bruchsal. Si la question de l'isolement avait pu être douteuse, ce doute ne serait-il pas dissipé maintenant (1)?

L'efficacité de ce mode d'emprisonnement est donc

(1) Depuis que ces lignes sont écrites, le roi de Wurtemberg a présenté aux Chambres un projet de loi, pour établir dans les prisons de ses Etats le régime de l'isolement. M. Weber, conseiller supérieur de justice, nommé rapporteur de la commission chargée de l'examen de ce projet, a visité plusieurs fois la prison de Bruchsal; trente-deux membres des Chambres l'ont visitée de leur coté, chacun séparément; tous sont demeurés convaincus de la bonté du système, et la loi sera votée sans aucun doute.

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