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où ce seraient des généraux en chef, des généraux de division et de brigade, ou des officiers supérieurs, qui devraient rendre compte de leur conduite devant la justice : c'est ce que fit la loi du 4 fructidor, même année. Pour le jugement d'un général en chef, le conseil doit être composé d'un général ayant commandé les armées également en chef, de trois généraux de division, de trois généraux de brigade, d'un commissaire ordonnateur, faisant fonction de commissaire du Gouvernement, et d'un rapporteur pris parmi les généraux de brigade.

Pour le jugement des généraux de division ou généraux de brigade, le lieutenant, le sous-lieutenant et le sous-officier sont remplacés par trois officiers généraux, du grade du prévenu. Les fonctions de rapporteur sont remplies par un chef de bataillon ou d'escadron.

Enfin, pour le jugement des officiers d'un grade inférieur aux précédents, mais en descendant jusques et compris les chefs de bataillon et d'escadron, le sous-lieutenant et le lieutenant sont remplacés par deux officiers supérieurs du grade du prévenu.

Des dispositions analogues étaient prises pour les commissaires ordonnateurs ou ordinaires, aujourd'hui intendants ou sous-intendants des armées.

L'âge que doivent avoir les juges appelés à siéger dans les conseils de guerre permanents a varié ; il est aujourd'hui fixé à vingt-cinq ans.

Quant au mode de procéder, il devait être simple, prompt, et cependant offrir toutes les garanties désirables. Lorsqu'un officier supérieur commandant le

Mode de procéder.

État de siége.

lieu où un délit a été commis en est informé, il ordonne au capitaine rapporteur d'interroger le prévenu et de procéder à l'instruction. Ces préalables accomplis, le prévenu choisit un défenseur; il peut faire ce choix parmi toutes les classes de citoyens ; à son défaut, le rapporteur le fait pour lui. Aussitôt, il est donné connaissance au défenseur du procès-verbal d'information, de l'interrogatoire subi par le prévenu, et de toutes les pièces tant à charge qu'à décharge; puis, l'officier commandant convoque le conseil de guerre, qui juge sans désemparer. Les séances sont publiques; mais le nombre des spectateurs ne peut excéder le triple de celui des juges. Les membres du conseil opinent à huit clos, en présence du commissaire du Gouvernement qui doit être un capitaine. Si trois des juges déclarent l'accusé non coupable, il est mis sur-le-champ en liberté et rendu à ses fonctions. Si le conseil déclare, à la majorité de cinq voix, que l'accusé est coupable, l'officier, commissaire du Gouvernement, requiert l'application de la peine prononcée par la loi. Dans le cas de dissidence sur cette application, l'avis le plus doux est adopté : alors l'audience redevient publique. Le président prononce la décision du conseil, hors la présence de l'accusé ; c'est dans la prison, devant la garde assemblée, que le rapporteur fait à celui-ci lecture du jugement.

Les conseils de guerre permanents, institués pour juger les crimes et les délits commis par les militaires, reçoivent de la loi, dans des circonstances exceptionnelles, une autre mission très-redoutable. Tel est le cas de l'état de siége. Cet état existait, d'après la loi

du 10 juillet 1791, dès l'instant qu'une place de guerre ou un poste militaire était investi par l'ennemi, de manière à intercepter les communications du dehors au dedans, ou du dedans au dehors. La loi du 10 fructidor an v étendit l'état de siége aux communes de l'intérieur aussitôt que, par l'effet de leur investissement par des troupes ennemies ou rebelles, les communications étaient interrompues. Le Directoire pouvait déclarer cet état, en suite d'une autorisation du Corps législatif. Par la loi du 24 décembre 1811, l'état de siége fut déterminé ou par un simple décret de l'Empereur, ou par l'investissement, ou par une attaque de vive force, ou par une surprise, ou par une sédition intérieure, ou enfin par des rassemblements formés dans le rayon d'investissement, sans l'autorisation des magistrats.

Lorsqu'un département, une ville ou une commune était mise en état de siége, l'autorité militaire se saisissait de tous les pouvoirs administratifs pour le maintien de l'ordre et de la police, et les tribunaux ordinaires étaient remplacés par les tribunaux militaires, dont tous les citoyens, qu'ils appartinssent ou non à l'armée, devenaient les justiciables.

Mais la charte de 1830 ayant disposé dans ses articles 53 et 54, d'une manière plus explicite encore que celle de 1814, d'une part, que nul ne pourrait être distrait de ses juges naturels; d'autre part, qu'il ne pourrait être créé de commissions et de tribunaux extraordinaires, à quelque titre et sous quelque dénomination que ce pût être, les citoyens non militaires n'ont plus pu, sous quelque prétexte que ce soit, être

État de siége lors

du

20 juin 1832.

enlevés à leur juges naturels, pour être soumis au jugement des conseils de guerre.

D'après la charte de 1830 cependant, le Gouvernement n'était pas désarmé du pouvoir de mettre les villes, les communes et les départements en état de siége: les lois qui l'investissaient de ce pouvoir continuaient à subsister, mais les tribunaux militaires, dont la juridiction était la conséquence nécessaire de cet état, ne pouvaient juger que les individus appartenant à l'armée.

L'insurrection de juin 1832 se présentait avec un de l'insurrection caractère si formidable que le Gouvernement s'était vu obligé de déclarer Paris en état de siége. Aussitôt, le conseil de guerre de la première division militaire fut saisi. Parmi les individus arrêtés, il s'en trouvait quelques-uns qui, accusés de rébellion à main armée, d'attentat contre l'autorité royale et d'excitation à la guerre civile, n'étaient pas militaires. Quoiqu'ils eussent décliné la compétence du conseil de guerre, ce conseil ne s'arrêta pas à cette exception, regarda sa compétence comme suffisamment établie, ordonna qu'il serait passé outre aux débats, déclara ces individus coupables, et par plusieurs jugements les condamna à la peine de mort. Mais, sur leur pourvoi, la cour de cassation, gardienne des droits et des garanties que la loi accorde aux citoyens, jugea que si les conseils de guerre sont des tribunaux ordinaires pour le jugement des crimes et des délits commis par des militaires ou par des individus que la loi leur assimile, ils deviennent des tribunaux extraordinaires, inconstitutionnels, lorsqu'ils étendent leur compétence

à des crimes et à des délits commis par des citoyens non militaires en conséquence, elle rendit le mémorable arrêt du 29 juin 1832, bientôt suivi de plusieurs autres, par lequel elle déclara que le conseil de guerre avait commis un excès de pouvoir et violé les règles de sa compétence, ainsi que les art. 53 et 54 de la charte constitutionnelle, et elle renvoya les individus condamnés devant la justice ordinaire, pour y être procédé conformément à la loi.

Les tribunaux militaires et le Gouvernement luimême rendirent hommage à cette interprétation donnée à la charte de 1830 par la cour régulatrice, et s'y conformèrent entièrement.

Il y avait d'ailleurs cette autre restriction apportée à la juridiction des conseils de guerre, restriction qui témoignait du respect de la législation pour les droits des citoyens, que, lorsque parmi plusieurs individus complices et accusés du même fait, il s'en trouvait qui fussent militaires, et d'autres qui ne le fussent pas, le conseil de guerre était dessaisi à l'égard de tous. Dans ce cas, les accusés appartenant à l'ordre civil attiraient avec eux leurs complices militaires devant la juridiction ordinaire.

Une circonstance mémorable fit ressortir tout ce qu'il y avait de libérales garanties dans cette manière de procéder. Nous voulons parler du verdict rendu, en 1837, par le jury de Strasbourg : militaires et simples citoyens étaient compris dans la même accusation; tous, après vingt-deux minutes de délibération, avaient été acquittés. Le ministère s'en émut; il crut voir dans ce fait un symptôme alarmant pour

Verdict du jury

de Strasbourg. Projet de loi de disjonction.

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