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Les peuples anciens, comme les peuples modernes, reconnurent la nécessité de ces institutions. Le tribunal des amphictyons, l'ancien sénat de Rome, l'antique cour des pairs de France, et celle créée par les chartes de 1814 et 1830, ne parurent pas placés à une trop grande hauteur, pour recevoir la mission de juger les crimes d'État.

Ainsi, en suivant chez nous l'ordre des temps, on voit la constitution de 1791, qui n'admit qu'une seule chambre élective, instituer une haute cour nationale qu'elle forma de quatre grands juges tirés au sort parmi les membres de la cour de cassation, dont le plus âgé était le président, de vingt-quatre hauts jurés et de six suppléants, également tirés au sort, sur une liste formée par les colléges électoraux, à raison de deux par département. La haute cour était saisie par un décret d'accusation que rendait le Corps législatif, et qui tenait lieu de décret de prise de corps. L'Assemblée désignait le lieu où la haute cour devait se réunir. Ce lieu devait être éloigné de trente mille toises au moins de celui où elle siégeait elle-même. Les grands procurateurs de la nation avaient la faculté d'exercer des récusations, mais ils ne pouvaient les proposer qu'en donnant des motifs, lesquels étaient appréciés par les grands juges. De leur côté, les accusés avaient le droit d'exercer, sans en donner de motifs, le double des récusations accordées par le décret sur la procédure par jurés. Enfin, le commissaire du roi, placé auprès du tribunal de district et dans le territoire duquel la haute cour nationale s'assemblait, remplissait, auprès de cette cour, les

Haute

cour nationale

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mêmes fonctions, relativement à l'instruction et aut jugement, que celles qu'il exerçait auprès du tribunal criminel ordinaire.

La Convention qui, dans ses mauvais jours, ne cherchait, dans les formes judiciaires, que les voies les plus promptes pour arriver aux fins des accusations, ne pouvait s'accommoder d'un mode de jugement aussi solennel et qui offrait de telles garanties; aussi le supprima-t-elle par son décret des 25 et 26 septembre 1792. Mais lorsqu'elle eut recouvré son indépendance, elle le rétablit par la constitution du 5 fructidor an III, sous le nom de haute cour de justice. Cette nouvelle cour fut composée de cinq juges et de deux accusateurs nationaux pris, comme précédemment, dans le sein de la cour de cassation, et de hauts jurés nommés comme précédemment aussi, par les assemblées électorales de département.

Elle fut instituée pour juger les accusations portées par le Corps législatif, soit contre ses propres membres, soit contre ceux du Directoire exécutif.

Elle ne se constituait qu'en vertu d'une proclamation rédigée et publiée par le conseil des CinqCents; elle tenait ses séances dans le lieu désigné par ce conseil : ce lieu ne pouvait être plus près de douze myriamètres de celui où il siégeait lui-même.

Lorsque le Corps législatif avait proclamé la formation de la haute cour de justice, la cour de cassation, réunie en séance publique, tirait au sort quinze de ses membres, et puis nommait, parmi ces quinze, les cinq juges de la haute cour: ceux-ci choisissaient entre eux leur président. Dans la même

séance, la cour de cassation nommait aussi, parmi ses membres, deux magistrats pour remplir, auprès de la haute cour de justice, les fonctions d'accusateurs nationaux.

La constitution consulaire du 22 frimaire an vIII établit à son tour une haute cour pour prononcer sur le sort des ministres mis en jugement par un décret du Corps législatif; elle était encore choisie par le tribunal de cassation et dans son sein; les jurés devaient être pris dans la liste renfermant les citoyens du département éligibles aux fonctions publiques nationales, le tout suivant les formes que la loi devait déterminer, et il est à remarquer que cette loi ne fut jamais rendue.

Enfin, le sénatus-consulte organique du 28 floréal an XII ayant constitué l'empire, la haute cour, qui prit le titre d'impériale, reçut une organisation nouvelle. Elle se composa des princes, des grands dignitaires et grands officiers de l'Empire, du ministre de la justice, de soixante sénateurs, de six présidents des sections du conseil d'État, et de vingt membres de la cour de cassation, tous appelés par ordre d'ancienneté. Les fonctions du ministère public devaient être remplies par un procureur général que l'Empereur nommait à vie, assisté de trois tribuns désignés chaque année par le Corps législatif, sur une liste de neuf candidats présentés par le Tribunat, et enfin de trois magistrats que l'Empereur nommait aussi chaque année parmi ceux des cours d'appel et des cours de justice criminelle.

La haute cour devait être présidée par l'archi

Haute cour d'après

la Constitution

de l'an vii.

Haute cour impériale d'après le sénatusconsulte

de floréal an XII.

Cour des pairs d'après

les Chartres

chancelier ses attributions étaient fort étendues; elle avait à connaître des délits personnels commis par les membres de la famille impériale, par les titulaires des grandes dignités de l'Empire, par les ministres, les sénateurs, les conseillers d'État ; elle était t;

appelée à prononcer sur les crimes, attentats et complots contre la sûreté de l'État, contre la personne de l'Empereur, et sur tous les délits de responsabilité d'office, tels que ceux commis par les ministres, les capitaines généraux des colonies, les préfets coloniaux, les généraux de terre et de mer, etc., etc. Tous pouvaient être dénoncés par le Corps législatif, ou poursuivis par le ministère public.

Mais cette cour ne fut jamais constituée, elle n'eut pas occasion de se réunir; on n'a donc pu juger ce qu'aurait produit une institution formée d'éléments si divers.

Le régime représentatif et parlementaire ayant été établi avec la Restauration, et continué après la réde 1814 et 1830. volution de juillet, la chambre des pairs, constituée en cour de justice, fut chargée de connaître des crimes de haute trahison et des attentats à la sûreté de l'État, qui seraient définis par la loi. Cette attribution se trouve répétée de la même manière dans les deux chartes de 1814 et de 1830; cependant jamais il n'a été rendu de loi pour définir ces attentats. Chaque fois que la chambre des pairs s'est constituée en tribunal, elle a été saisie par une ordonnance du roi; sa procédure n'a eu d'autre règle que ses précédents, qui, recueillis avec soin, ont formé un corps de doctrine; elle ne put appliquer d'autres

peines que celles qui sont édictées par le Code pénal ordinaire, mais elle eut la faculté de les modérer et de suivre en cela uniquement les inspirations de sa conscience et les règles de l'équité.

Ce grand corps politique, dans lequel toutes les hautes notabilités du pays avaient leur place marquée, réunissait au plus haut degré, on ne peut le contester, les lumières, la fermeté, l'indépendance, le respect de tous les droits et toutes ces précieuses qualités qui, en honorant la justice, ajoutent à l'autorité de ses arrêts. Combien de fois sous le dernier Gouvernement n'eut-il pas à faire preuve d'impassible courage et de modération! Ne suffit-il pas de citer le jugement des ministres de Charles X, qui nous a déjà fourni l'occasion de rendre hommage à sa haute impartialité, au milieu d'une crise où le rôle des juges et celui des accusateurs n'étaient pas sans péril? Ne peut-on pas citer encore le grand procès de 1834, à l'égard duquel on put un moment douter si le nombre et l'audace des accusés ne triompheraient pas des lois et de tous les moyens mis à la disposition du Gouvernement pour assurer leur exécution.

On put admirer la longanimité, la sollicitude pour les immunités de la défense dont la cour fit preuve dans le jugement de ce procès, qui comprenait 442 accusés, dont 324 présents.

On admira la haute intelligence, la parfaite mesure avec lesquelles la cour, dans ces circonstances difficiles, comme dans toutes les autres, était présidée. On vit avec quel soin la grande illustration

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