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placée à sa tête s'étudiait à protéger les accusés contre leurs propres excès, et à les avertir, lorsque, entraînés par leurs passions, ils tenaient un langage compromettant pour eux. Un tel exemple, donné de si haut, avait une grande portée; il devait influer sur la conduite des magistrats qui, dans des occasions analogues, pouvaient être appelés à diriger des débats où de graves intérêts politiques se trouveraient engagés.

Après la révolution de 1848, la constitution qui inaugura le Gouvernement républicain, institua une haute cour de justice, composée de cinq juges et deux suppléants, pris toujours parmi la cour de cassation et élus par elle; ainsi que de trente-six jurés et quatre suppléants, tirés au sort parmi quatre-vingt-dix membres des conseils généraux, lesquels étaient eux-mêmes désignés par le sort parmi leurs collègues de chaque département. La haute cour nommait son président, qu'elle prenait dans son sein; le Gouvernement nommait de son côté le magistrat appelé à exercer les fonctions du ministère public.

La haute cour était saisie par un décret de l'assemblée nationale pour juger les attentats contre la sûreté de l'Etat; elle se saisissait elle-même dans certains cas déterminés.

Lorsque le nouvel Empire a été déclaré, la haute cour, aux termes de la constitution impériale, a été organisée sur d'autres bases; elle ne peut plus être saisie qu'en vertu d'un décret de l'Empereur; elle se compose d'une chambre des mises en accusation et d'une chambre de jugement, formées de conseillers pris parmi les membres de la cour de cassation.

Chaque chambre est composée de cinq juges et de deux suppléants, nommés tous les ans par l'Empereur; le décret qui saisit la haute cour désigne parmi les juges de chaque chambre celui qui doit la présider. L'Empereur désigne également pour chaque affaire le procureur général et les autres membres du ministère public, chargés de soutenir l'accusation. Le haut jury est formé de la même manière que par la précédente constitution. Sa déclaration portant que l'accusé est coupable, et celle qui admet en faveur de l'accusé des circonstances atténuantes, doivent être rendues à la majorité de plus de vingt voix. La haute cour n'est pas autorisée, comme l'était l'ancienne cour des pairs, à arbitrer les peines; elle est tenue de les appliquer conformément aux dispositions du Code pénal.

Différence

entre

l'organisation de la nouvelle

cour

de justice

On aperçoit tout de suite en quoi la constitution de la nouvelle cour diffère de celle qu'elle a remplacée : 1° sa division en deux chambres pourvoit à une lacune qui était regrettable; car pour la remplir, et la précédente. c'était précédemment la chambre d'accusation de la cour d'appel de la Seine qui intervenait; 2° au lieu de devoir leur nomination au choix de leurs collègues, les juges sont nommés chaque année directement par l'Empereur, qui nomme aussi, mais pour chaque affaire seulement, les présidents des deux chambres. Cette dernière modification a sans doute été motivée par le changement de forme du Gouvernement, et aussi par l'article de la constitution impériale qui attribue à l'Empereur seul la nomination à tous les emplois de magistrature.

Haute cour de Vendôme. Jugement de Babeuf

et

de ses complices.

Les hautes cours de justice, instituées à peu près sur le même plan, soit par la constitution de l'an ш, soit par les constitutions promulguées depuis 1848, ont été saisies et se sont réunies dans trois occasions mémorables.

La première de ces cours eut à juger les individus impliqués dans la conspiration de Babeuf; non que ce fût la nature de la conspiration qui la lui fit déférer, mais parce que parmi les accusés se trouvait Drouet, membre du Conseil des Cinq-Cents.

Cette circonstance donna lieu à une loi générale du 24 messidor an iv qui, consacrant le principe de l'indivisibilité des procédures, ainsi que l'avait fait pour les délits militaires la loi rendue deux jours auparavant (le 22 messidor ), renvoya tous les accusés, complices de Drouet, devant la haute cour de justice.

Quoi qu'il en soit, la haute cour se réunit à Vendôme. Le Gouvernement n'était pas rassuré sur les suites du procès. La conspiration avait des ramifications dans toute la France. C'était par le pillage et le massacre, c'était en soulevant les masses, les pauvres contre les riches, qu'elle prétendait établir son système d'égalité sociale. On craignait l'enlèvement des accusés dans leur translation de Paris à Vendôme. Ce fut donc avec un formidable appareil qu'ils furent conduits dans les prisons de cette ville. Toutes les gardes nationales, voisines des lieux qu'ils devaient parcourir, eurent ordre de prendre les armes et de faire la haie sur leur passage. De forts détachements de gendarmerie, des régiments de cavalerie, formaient

l'escorte, et on ne crut pas que ce fût trop d'un corps d'armée, stationnant autour de Vendôme, pour protéger la haute cour et empêcher un coup de main sur les prisonniers.

Ceux-ci, au nombre de quarante-sept, parmi lesquels se trouvaient trois femmes, arrivèrent à Vendôme dans la nuit du 11 au 12 fructidor an IV. Les membres de la haute cour s'y réunirent le lendemain 13, et immédiatement ils procédèrent à l'instruction. Ce ne fut que six mois après, et le 2 ventôse an v, que les débats s'ouvrirent; ils durèrent trois mois.

Les accusés, ainsi que leurs défenseurs, se livrèrent aux violences les plus inouïes, élevant incidents sur incidents, troublant l'audience par leurs clameurs, entonnant des chansons démagogiques pour en interrompre le cours, et espérant, à force d'excès, lasser la patience de la cour et rendre le jugement impossible. Mais la longanimité des juges ne se démentit pas. Aux irrévérences, aux violences des accusés, ils opposaient le calme, la dignité; et quoique blâmés par ceux qui, ne comprenant pas les véritables devoirs du magistrat, auraient voulu que les accusés fussent traités avec moins de ménagements, la justice finit par triompher, et ce triomphe fut obtenu sans que l'impartialité de ce haut tribunal pût être un seul instant mise en doute.

Les juridictions politiques, en effet, devant lesquelles tant de passions sont en feu, ne se font accepter, leurs décisions n'obtiennent la sanction du pays et l'approbation de l'histoire, qu'autant que les

Haute cour de Bourges. Attentat

du 15 mai.

juges, et surtout celui qui est appelé à l'honneur de diriger les débats, savent résister à l'influence trop souvent contagieuse que pourraient exercer sur eux, soit la véhémence de l'accusation, dont ils ne doivent pas être les auxiliaires, soit l'ardeur de la défense, dont leur devoir est de protéger les immunités ; qu'autant surtout qu'ils s'étudient à conserver, devant l'opinion, ce prestige qui fait repousser jusqu'à la pensée qu'ils puissent être l'instrument de la passion ou de la haine.

Le 7 prairial an v, les hauts jurés, après deux jours de délibération, rendirent leur verdict. Babeuf et Darthé furent seuls condamnés à mort. Cinq accusés, parmi lesquels était Buonarotti, le furent à la déportation; tous les autres furent acquittés; dixhuit contumaces le furent également.

Au moment où le président prononçait l'arrêt, les deux accusés qui avaient encouru la peine capitale tentèrent de se donner la mort; mais leur bras fut arrêté à temps, et la blessure qu'ils se firent fut légère. Le lendemain, ils furent exécutés.

Ce fut après la révolution de 1848 que, pour la deuxième fois, une haute cour, instituée, ainsi qu'on l'a vu, à peu près dans la même forme que celle de Vendôme, eut à se réunir. Les auteurs et complices de l'attentat du 15 mai 1848 lui furent déférés par un décret de l'Assemblée nationale du 22 janvier 1849. On sait ce que fut cet attentat; les souvenirs en sont trop récents pour avoir besoin d'être rappelés. La salle de l'Assemblée nationale envahie, les membres de cette Assemblée expulsés de leurs siéges,

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