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poursuivra pas d'une façon exagérée la hausse d'un titre qu'il peut être tenu à lever.

Mais, si reprenant l'hypothèse que nous avons envisagée, nous supposons que les directeurs ou administrateurs d'une société se substituent, de mauvaise foi, à des acheteurs insolvables, pour leur assurer les avantages du report, ceux-ci ne reculeront jamais, pour poursuivre une hausse à outrance, de façon à permettre à leurs complices, les directeurs et administrateurs de la société, de réaliser la vente de leurs titres dans les conditions les plus avantageuses. Le délit d'escroquerie sera encore ici caractérisé parce que nous serons en présence d'une intervention de tiers, d'une manœuvre concertée entre plusieurs personnes en vue d'amener une hausse exagérée de valeurs, indiquant contrairement à la vérité une situation excellente de la société, et enfin d'une remise de fonds.

Pour ne pas nous répéter, nous serons très bref sur les ventes à prime des actions d'une société, opérées par ses propres représentants. En principe, rien ne s'oppose à ce qu'une société vende ses actions, à prime, mais si ces ventes n'ont été conclues que pour amener une hausse factice des titres et assurer le succès d'une vente au comptant pour le compte de ses représentants, nul doute que l'article 405 ne puisse être appliqué à l'égard des auteurs de cette manœuvre.

Des arrêts, très nets, de la Cour de cassation, vont

Grandjean

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nous fournir sur tous ces points des indications précieuses.

Jurisprudence. - A la suite de la faillite de la société anonyme de la Banque de Lyon et de la Loire, des poursuites correctionnelles ont été engagées contre les directeurs, sous-directeurs et membres du Conseil d'administration de cette société, devant le tribunal correctionnel de Lyon. Le ministère public avait relevé à l'égard des inculpés plusieurs chefs de prévention. Emission d'actions d'une société constituée contrairement aux prescriptions de l'article 1 de la loi du 24 juillet 1867, négociation d'actions pour lesquelles le versement du quart n'avait pas été effectué; simulation de souscriptions et de versements, distribution de dividendes fictifs; hausse des actions par des voies et moyens illicites. La plupart des prévenus furent condamnés par le tribunal de 1 instance, puis par la Cour d'appel. On trouvera ces deux décisions judiciaires au Sirey, 1886. 2. 245. L'arrêt de la Cour de Lyon a été ensuite, sur le pourvoi de plusieurs des prévenus, cassé pour vice de forme, et l'affaire a été renvoyée devant la Cour de Grenoble. Devant cette Cour, le ministère public releva pour la première fois le délit d'escroquerie, comme résultant de l'ensemble des faits retenus contre les prévenus. La Cour rendit une décision intéressante dans laquelle nous relevons les considérants suivants :

<< La Cour: Attendu que les manoeuvres frauduleuses, sur les

quelles le ministère public entend baser la prévention d'escroquerie n'étaient point celles que visaient, surtout en ce qui concernait les faits relatifs à l'agiotage, et l'ordonnance de renvoi et les citations ; que les unes, ces dernières, avaient pour objectif, la hausse ou la baisse, tandis que les autres tendraient à persuader un pouvoir imaginaire ; et à faire croire à un succès chimérique, pour arriver à escroquer la fortune d'autrui : qu'elles ont donc un caractère absolument différent, touchant à un ordre de questions absolument distinct, avec des conséquences particulières et des responsabilités spéciales; qu'il faut certainement. ajouter aux manoeuvres primitives et visées, pour les rendre applicables aux dispositions de l'article 405 du Code pénal; qu'il s'ensuit que les réquisitions du ministère public tendent à une prévention nouvelle, etc.

«Que dès lors et sans qu'il y ait lieu d'examiner le point de savoir si, en retenant contre les prévenus, un délit plus grave que celui pour lequel ils étaient poursuivis et condamnés, ce ne serait pas aggraver leur situation, et faire que la cassation qui a été prononcée dans leur intérêt, leur nuise, on doit reconnaître que la prévention d'escroquerie, relevée aujourd'hui par le ministère public, n'est pas recevable. »

La Cour relaxait ensuite les prévenus du chef d'agiotage, pour le motif que les actions des sociétés, effets privés, ne sauraient être, au sens de l'article 419, considérés comme des denrées ou marchandises, papiers ou effets publics, et retenait, comme caractérisées, la distribution des dividendes fictifs, l'émission de la négociation d'actions d'une société constituée irrégulièrement.

La décision de la Cour de Grenoble fut déférée à

la Cour de cassation. Un arrêt très important (Sirey 1888.1.185), a été rendu par la Cour suprême, le 28 mai 1887, sur ce pourvoi, et cet arrêt est précédé d'un rapport magistral présenté par M. le conseiller Poux Franklin. L'éminent magistrat, après avoir fait remarquer que les délits prévus par l'article 419 du Code pénal n'étaient pas seuls en cause dans le procès actuel, et que la prévention relevait, en outre, des infractions à la loi de 1865, établit, en s'appuyant sur toute la jurisprudence, que l'arrêt entrepris aurait dû rechercher si les faits spécialement prévus par la loi de 1867, soit par le but que poursuivaient les prévenus, soit en s'unissant aux manoeuvres mentionnées par l'article 419, ne donnaient pas naissance, par la combinaison de leurs divers éléments, au délit d'escroquerie, ce qui était une des données capitales du problème qui s'offrait à la Cour l'émission et la négociation d'une action supposant en effet la remise d'une contre-valeur, c'est-à-dire, la délivrance d'une somme d'argent, circonstance constitutive de l'escroquerie. Et concluant sur ce point, M. Poux Franklin déclare : « Qu'il faut reconnaître à un point de vue général, que, si le juge n'a le droit de statuer que sur les faits qui lui sont déférés, il lui est dûment loisible de faire état des circonstances accessoires qui s'y rattachent nécessairement, parce que, dans ce cas, d'une part, il est certain que le ministère public a voulu les comprendre dans la poursuite, et, que de l'autre, le prévenu n'a pu ignorer qu'il aurait à en répondre, bien qu'elles n'aient pas été taxativement

mentionnées dans l'ordonnance de renvoi ou la citation. A cette théorie ajoute M. le conseiller Poux Franklin, on objecte deux principaux arguments : Le ministère public aura toujours la faculté de modifier la qualification première à l'audience, de sorte qu'il y aurait alors deux articles dans le Code, pour punir de peines différentes des faits semblables, ce qui serait au moins anormal. 2o La prévention du ministère public de faire prévaloir, dans la cause, la qualification d'escroquerie ne rencontrera-t-elle pas un obstacle invincible dans la règle qui interdit d'aggraver la situation des prévenus, sur leur seul pourvoi. Sur le premier point, le conseiller rapporteur fait observer qu'un fait délictueux, composé d'éléments juridiques multiples, est susceptible d'admettre plusieurs incriminations et que, dans cette situation, il appartient au juge de le qualifier d'après le caractère dominant que lui impriment les circonstances spéciales à chaque espèce. C'est ainsi que la Cour d'appel de Paris, a pu voir, dans les faits qui constituent des infractions spéciales à la loi du 24 juillet 1867, des manœuvres frauduleuses prévues par l'article 405 du Code pénal et ayant concouru à la consommation du délit d'escroquerie. En ce qui touche la faculté de rétablir le titre légal de la prévention, lorsqu'il a été méconnu par les juges du premier degré, M. le conseiller déclare qu'elle peut d'autant moins leur être contestée que, même devant la juridiction d'appel, où l'avis du Conseil d'Etat du 12 novembre 1806, s'applique rigoureusement, la Cour suprême a

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