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toujours reconnu aux Cours le droit d'écarter, sur le recours unique du prévenu la qualification donnée aux faits par le tribunal même pour leur en appliquer une plus grave. La décision qui intervient donne aux intérêts de l'inculpé une satisfaction suffisante, en n'élevant pas la peine prononcée contre lui par les premiers juges. Et dans un arrêt très fortement motivé, qu'on trouvera au Sirey, 1888.1.185, la Cour de Cassation décide en substance que la Cour de renvoi, saisie d'une prévention relative au délit d'agiotage et à des infractions à la loi de 1867, ne saurait déclarer le ministère public non recevable à écarter cette incrimination et à y substituer celle d'escroquerie. Dans ce cas la négociation des actions supposait, de la part de l'acquéreur, l'acquittement du prix des titres cédés, et cette circonstance, jointe aux manœuvres énumérées par l'article 419, avait pour effet de compléter les éléments matériels de l'escroquerie. L'incrimination d'escroquerie était donc justifiée par l'ensemble des faits compris dans la cause. L'arrêt ajoute enfin qu'on doit considérer comme ayant le caractère des manœuvres constitutives de l'escroquerie :

Le fait, dans le but de provoquer la hausse des actions de la société et d'empêcher leur dépréciation, de recourir à des coalitions, à des reports sur les actions, à l'achat des titres et au concours de divers journaux dont la rémunération s'est élevée à plusieurs millions.

L'affaire a été renvoyée devant la Cour d'appel de Bourges.

Nous détachons de cette décision judiciaire, insérée au Dalloz, 1889.2.51, les considérants suivants. Sur les achats à terme :

<< Attendu que si les achats fermes des actions d'une société, même lorsqu'elles ont pour effet de produire une hausse sensible sur les cours de ces valeurs, ne peuvent être considérés comme des manoeuvres frauduleuses quand ils sont suivis du payement, il en est autrement, lorsque, comme dans l'espèce, l'achat a été suggéré à un tiers incapable de remplir ses engagements et que le marché n'a pu être réalisé que grâce à la complaisance de l'établissement financier dont le prévenu était directeur.

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Que dans ces conditions les promoteurs des achats n'encouraient aucun risque, que l'acheteur lui-même n'était pas exposé à exécuter le marché qui excédait ses ressources et que le seul fait de la hausse subsistait, destinée à favoriser la vente d'actions du prévenu.

<< Attendu que les voies et moyens des prévenus constituent des manœuvres frauduleuses puisqu'elles étaient de nature à faire naître l'espoir, assurément chimérique, d'un placement sûr et avantageux dans l'esprit de ceux qui achetaient des actions de la Banque de Lyon au-dessus de leur véritable valeur. »

Sur les reports:

« Attendu qu'à partir du 21 septembre 1887, les opérations de Bourse ont été dirigées par un comité constitué à cet effet.

«< Attendu qu'à la liquidation qui a suivi la création de ce comité, la Banque a reporté 30.720 de ses propres actions et que, jusqu'au 19 décembre suivant, elle a renouvelé successive

ment ses reports, dans des proportions presque identiques, etc. « Attendu qu'en achetant à chaque liquidation, sans exiger de garantie, un nombre considérable de titres qui n'étaient pas levés, la Banque de Lyon livrait le marché à toutes les témérités d'une spéculation sans solvabilité ; qu'elle provoquait elle-même la hausse incessante de ses actions puisqu'elle les achetait au comptant à des cours dépassant notablement leur valeur et qu'elle les vendait à terme, sans justification préalable de la solvabilité de ses acheteurs, assurés de trouver en elle un reporteur facile à la liquidation suivante.

« Attendu que la responsabilité des agents de change était elle-même illusoire; qu'ils n'ignoraient pas, en effet, que la banque était obligée de renouveler ses reports sous peine de déterminer la dépréciation de ses actions, et que cette situation périlleuse se prolongea aussi longtemps que la banque et les ressources nécessaires pour soutenir les acheteurs de titres. »

Et la Cour ajoute, avec raison, que les procédés analysés, étant de nature à tromper le public sur la véritable cause de la hausse de ces valeurs qui n'était due qu'aux manoeuvres de spéculation, on y rencontrait tous les éléments constitutifs de la manœuvre frauduleuse constitutive de l'escroquerie.

TITRE X

Du rôle de la Presse dans les émissions

de valeur mobilière

CHAPITRE PREMIER

L'art de faire fructifier ou simplement de gérer sa fortune est devenu, aujourd'hui, un des arts les plus difficiles qui soient. Pour assurer la conservation d'un patrimoine mobilier, on a préconisé la division et la distribution géographique des placements, mais même cette manière de procéder n'est pas sans présenter des périls, puisque les valeurs les plus sûres, celles qui constituent, d'après l'opinion générale, des placements de père de famille, sont sujettes à des oscillations subites et à des dépréciations importantes, comme le prouvent les événements journaliers. La surveillance d'un portefeuille devient d'ailleurs un véritable labeur avec la division infinie des valeurs qui le constituent. Il faut encore ajouter qu'un rentier est généralement dépourvu de connaissances techniques et de renseignements susceptibles de guider son choix. A qui s'a

dressera-t-il pour les renseignements d'ordre général qui lui sont indispensables? Les administrateurs des sociétés, lorsqu'ils sont sérieux ne renseignent pas; s'ils ne le sont pas, leurs renseignements sont des pièges tendus à la crédulité. Les indications confidentielles, dénommées, dans le langage des Courses et de la Bourse « tuyaux », n'ont souvent aucune valeur, parce qu'elles émanent ou de gens intéressés à les donner trop bonnes ou de gens sans qualité pour les fournir.

Par la force même des choses, le rentier et le capitaliste sont donc amenés à réserver leur confiance à un journal financier qu'ils croiront désintéressé et indépendant. Sans avoir aucune arrière-pensée de méfiance vis-à-vis de la presse financière dont certains organes sont restés loyaux, il faut bien déclarer que la presse n'est pas exclusivement un sacerdoce et que le journal est souvent une exploitation industrielle ou commerciale, quelquefois même fructueuse. Malheureusement, beaucoup de ces organes ne sont que des instruments destinés à rançonner le public et sont la propriété de banques où se pratique chaque jour la mise en coupe réglée de l'épargne française. La vilité de leur prix d'abonnement, leur service gratuit fait à domicile, gratuité que ne sauraient expliquer le dévouement et le désin téressement, mots vides de sens en matière financière, devraient faire repousser leurs conseils et cependant l'expérience de chaque jour nous révèle

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