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TITRE XII

Sociétés de façade

Après les développements que nous avons consacrés aux diverses modalités que revêt l'escroquerie dans la société par actions, nous n'aurons que peu de chose à dire relativement au cas où un groupe d'individus, synthétisant en quelque sorte toutes les variétés de fraude précédemment analysées, ont accompli toutes les formalités requises pour la constitution d'une société, dans le but exclusif d'écouler dans le public des actions dont la valeur est illusoire.

Ce cas est extrêmement fréquent, et il est facile de fournir un exemple de ce nouveau genre d'escroquerie. Un spéculateur crée, de concert, avec six ou sept individus de paille, sous une dénomination quelconque, une société. La société est créée à un capital d'un ou de plusieurs millions représentés par des actions. Elle est constituée par la propriété d'une mine hypothétique, ou sans valeur aucune. En fait, les apports sont nuls ou sont grossièrement exagérés; aucun versement n'a été effectué sur les actions,

bien qu'elles soient censées libérées intégralement ; les souscripteurs sont fictifs; tout est simulé.

La société est vouée à une ruine immédiate et irrémédiable. Grâce à cette publicité tapageuse que nous avons précédemment qualifiée, et aux mille formes que revêt le Protée réclame, les actions sont vendues au public, puis la société disparaît avec ses fondateurs.

Ce fait constitue, sans aucun doute, la manœuvre frauduleuse constitutive de l'escroquerie.

<< La constitution d'un établissement financier qui, dit un arrêt de la Cour de cassation du 28 janvier 1887, sous des apparences régulières, ne possède en réalité que des ressources fictives, et dont le but est d'écouler dans le public, des actions dont la valeur est illusoire, réunit toutes les conditions qui caractérisent les manœuvres frauduleuses spécifiées par l'article 405 du Code pénal, puisqu'elle a pour objet d'abuser de la crédulité des souscripteurs en leur persuadant l'existence d'une fausse entreprise, et en leur suggérant l'espérance chimérique d'obtenir par leurs capitaux un placement solide; que l'arrêt attaqué déclare qu'un certain nombre des actions de la société ont été placées et que les acquéreurs, en échange des sommes par eux versées, ont reçu, non des parts certaines d'un capital déjà réalisé, mais des parts d'intérêt dans le capital en voie de formation; que dans ces circonstances, en appliquant aux faits de la cause la qualification d'une escroquerie, il en a fait une saine appréciation. » Dans deux

autres arrêts des 9 mai et 26 juin 1885, la Cour suprême avait consacré le même principe juridique, en décidant que le fait d'obtenir des fonds au moyen de la constitution d'une société qui n'est pas sérieuse et qui n'avait été organisée que pour servir d'appât au public, réunit tous les éléments constitutifs de l'escroquerie.

Nous venons d'étudier un certain nombre de fraudes qui peuvent se manifester au début de la société et pendant sa durée, et nous pensons avoir démontré que l'article 405 du Code pénal, dans la société en marche, comme dans la société naissante, est susceptible, sinon de prévenir toutes les atteintes à la fortune d'autrui, du moins d'atteindre d'une sanction pénale suffisante, ainsi que l'exigent les principes supérieurs de justice, de moralité et d'ordre, les actes illicites de ceux qui, pour assurer le succès d'émis sions de titres sans valeur, font luire aux yeux des souscripteurs des apparences vaines pour les dépouiller plus facilement. Il nous reste, et bien que cette étude ne rentre pas rigoureusement dans les termes du programme que nous nous sommes assigné, à consacrer quelques lignes aux sociétés en participation et mutuelles dont le nombre augmente de jour en jour, dans des proportions des plus inquiétantes et dont les conséquences ne tarderont pas à se faire sentir sur le public épargnant, à brève échéance, puisque beaucoup d'entre elles ne présentent aucune garantie sérieuse.

TITRE XIV

Sociétés en participation

La société en participation, qui se rattache intimement à la société de personnes, est réglementée par les articles 47 à 51 du Code de commerce. Ces associations sont relatives à une ou plusieurs opétions de commerce (art. 48), elles ont lieu pour les objets, dans les formes, avec les proportions d'intérêt et aux conditions convenues entre les participants. Elles peuvent être constatées par la représentation des livres de la correspondance ou par la preuve testimoniale; elles ne sont pas sujettes aux formalités prescrites pour les autres sociétés. Sans entrer dans de grands détails que ne comporte pas notre étude, on peut dire que le caractère distinctif de la participation est d'être occulte. Le gérant opère en son nom et sans révéler les noms de ses participants. Comme le dit excellemment M. Thaller dans son Traité élémentaire de droit commercial « l'association en participation se réduit à un rapport intérieur de comptes, forme un contrat, non une personne, et ne prend pas jour sur le dehors, elle

n'occupe pas la scène, nul ne la voit, ni ne doit la voir, le gérant ne doit donc jamais démasquer ses co-participants sous peine de tomber dans la société en nom collectif. »

Les avantages qu'offre la constitution d'une société de ce genre, n'ont pas manqué de frapper certains financiers. Reculant devant la création d'une société en nom collectif dont un des inconvénients est de déterminer une solidarité au payement des dettes, détournés de la société anonyme ou en commandite par actions par les inconvénients de la vérification de leurs apports et par l'accomplissement des formalités prescrites par la loi de 1867, ils ont songé à demander à la société en participation tous les droits que confèrent les autres sociétés par actions, et notamment celui de créer et d'émettre sous cette forme des parts bénéficiaires qui sont de véritables actions.

Prenons un exemple; plusieurs personnes se sont réunies pour exploiter un brevet, elles forment entre elles une société en participation et nomment un gérant. Manquant de capitaux, elles conviennent que le gérant pourvoira aux besoins de l'entreprise, au moyen de la vente de parts bénéficiaires. Ces parts sont aliénées au profit de l'association, au fur et à mesure de ses besoins.

La question revient à savoir si une association de ce genre est valable; si, en d'autres termes, l'association en participation malgré son signe distinctif d'association occulte, peut se constituer par

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