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la France et la Prusse, les deux puissances les plus intéressées à maintenir l'indépendance de la Turquie, étaient aux mains, devenait le moment favorable pour assujettir cette puissance. Les événemens d'un mois ont déconcerté ces calculs, et la Porte leur devra sa conservation.

Le grand-duc de Berg est malade de la fièvre. Il va mieux.

Le temps est doux comme à Paris au mois d'octobre, et humide, ce qui rend les chemins difficiles. On est parvenu à se procurer une assez grande quantité de vin pour soutenir la force du soldat."

Le palais des rois de Pologne est beau et bien meublé. Il y a à Warsovie un grand nombre de beaux palais et de belles maisons. Nos hôpitaux y sont bien établis; ce qui n'est pas un petit avantage dans' ce pays. L'ennemi paraît avoir beaucoup de malades; il a aussi beaucoup de déserteurs. On ne parle pas des Prussiens; car même des corps entiers ont déserté pour ne pas être sous les Russes obligés de dévorer de continuels affronts.

QUARANTE-CINQUIÈME BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE.

Paluky, le 27 décembre 1806.

Le général russe Benigsen commandait une armée que l'on évaluait à 60,000 hommes. Il avait le projet de couvrir Warsovie; mais la renommée des évenemens qui s'étaient passés en Prusse lui porta conseil, et il prit le parti de se retirer sur la frontière russe. Sans presque aucun engagement, les armées françaises entrèrent dans Warsovie, passèrent la Vistule et occupèrent Prag. Sur ces entrefaites, le feldmaréchal Kaminskog arriva à l'armée russe au moment même où la jonction du corps de Benigsen avec celui de Buxhowden s'opérait. Il s'indignait de la marche rétrograde des Russes. Il crut qu'elle compromettait l'honneur des armes de sa nation, et il marcha en avant. La Prusse faisait instances sur instances, se plaignant qu'on l'abandonnât après lui avoir promis de la soutenir, et disant que le chemin de

Berlin n'était ni par Grodno, ni par Olita, ni par Brezsc; que ses sujets se désaffectionnaient; que l'habitude de voir le trône de Berlin occupé par des Français était dangereuse pour elle et favorable à l'ennemi. Non-seulement le mouvement rétrograde des Russes cessa, mais ils se reportèrent en avant. Le 5 décembre, le général Benigsen rétablit son quartier-général à Pultusk. Les ordres étaient d'empêcher les Français de passer la Narew, de reprendre Prág, et d'occuper la Vistule jusqu'au moment où l'on pourrait effectuer des opérations offensives d'une plus grande impor

tance.

La réunion des généraux Kaminskog, Buxhowden et Benigsen fut célébrée au château de Sierok par des réjouissances et des illuminations, qui furent aperçues du haut des tours de Warsovie.

Cependant, au moment même où l'ennemi s'encourageait par des fètes, la Narew se passait. Huit cents Français jelés de l'autre côté de cette rivière à l'embouchure de la Wrka, s'y retranchèrent cette même nuit, et lorsque l'ennemi se présenta le matin pour les rejeter dans la rivière, il n'était plus temps, ils se trouvaient à l'abri de tout événement.

Instruit de ce changement survenu dans les opérations de l'ennemi, l'Empereur partit de Posen le 16. Au même moment, il avait mis en mouvement son armée. Tout ce qui revenait des discours des Russes, faisait comprendre qu'ils voulaient reprendre l'offensive.

Le maréchal Ney était depuis plusieurs jours maître de Thorn. Il réunit tout son corps d'armée à Gallup. Le maréchal Bessières, avec le 2e corps de la cavalerie de réserve, composé des divisions de dragons Sahuc et Grouchy, et de la division des cuirassiers d'Hautpoul, partit de Thorn pour se porter sur Biezun. Le maréchal prince de Ponte-Corvo partit avec son corps d'armée pour le soutenir. Le maréchal Soult passait la Vistule vis-à-vis de Plock; le maréchal Augereau la passait vis-à-vis Zakroczim, où l'on travaillait à force à établir un pont. Celui de la Narew se poussait aussi vivement.

Le 22, le pont de la Narew fut terminé. Toute la réserve

de cavalerie passa sur-le-champ la Vistule à Prag pour se rendre sur la Narew. Le maréchal Davoust y réunit tout son corps. Le 23 à une heure du matin, l'Empereur partit de Warsovie et passa la Narew à neuf heures. Après avoir reconnu l'Wrka et les retranchemens considérables qu'avait élevés l'ennemi, il fit jeter un pont au confluent de la Narew et de l'Wrka. Ce pont fut jeté en deux heures par les soins du général d'artillerie.

Combat de nuit de Czarnowo.

La division Morand passa sur-le-champ pour aller s'emparer des retranchemens de l'ennemi près du village de Czarnowo. Le général de brigade Marulaz la soutenait avec sa cavalerie légère. La division de dragons du général Beaumont passa immédiatement après. Le maréchal Davoust fit passer le général Petit avec le 12° de ligne pour enlever les redoutes du pont. La nuit vint, on dut achever toutes les opérations au clair de lune, et à deux heures du matin l'objet que se proposait l'Empereur fut rempli. Toutes les batteries du village de Czarnowo furent enlevées; celles du pont furent prises; 15,000 hommes qui les défendaient furent mis en déroute, malgré leur vive résistance. Quelques prisonniers et six pièces de canon restèrent en notre pouvoir. Plusieurs généraux ennemis furent blessés. De notre côté, le général de brigade Boussard a été légèrement blessé. Nous avons eu peu de morts, mais près de 200 blessés. Dans le même temps, à l'autre extrémité de la ligne d'opérations, le maréchal Ney culbutait les restes de l'armée prussienne, et les jetait dans les bois de Lauterburg en leur faisant éprouver une perte notable. Le maréchal Bessières avait une brillante affaire de cavalerie, cernait trois escadrons de hussards qu'il faisait prisonniers, et enlevait plusieurs pièces de canon,

Combat de Nasielsk.

Le 24, la réserve de cavalerie et le corps du maréchal Davoust se dirigèrent sur Nasielsk. L'Empereur donna le commandement de l'avant-garde au général Rapp. Arrivé

à une lieue de Nasielsk, on rencontra l'avant-garde ennemie.

Le général Lemarrois partit avec deux régimens de dragons, pour tourner un grand bois et cerner cette avantgarde. Ce mouvement fut exécuté avec promptitude. Mais l'avant-garde ennemie voyant l'armée française ne faire aucun mouvement pour avancer, soupçonna quelque projet et ne tint pas. Cependant il se fit quelques charges, dans l'une desquelles fut pris le major Qurvarow, aide-de-camp de l'Empereur de Russie, Immédiatement après, un détachement arriva sur la petite ville de Nasielsk, La canonnade devint vive. La position de l'ennemi était bonne : il était retranché par des marais et des bois. Le maréchal Kaminskog commandait lui-même. Il croyait pouvoir passer la nuit dans cette position, en attendant que d'autres colonnes vinssent le joindre. Vain calcul; il en fut chassé, et mené battant pendant plusieurs lieues. Quelques généraux russes furent blessés, plusieurs colonels faits prisonniers, et plusieurs pièces de canon prises. Le colonel Bekler, du 8o régiment de dragons, brave officier, a été blessé mortellement.

Passage de Wrka:

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Au même moment, la général Nansouty, avec la division Klein et une brigade de cavalerie légère, culbutait, en avant de Kursomb, les cosaques et la cavalerie ennemie qui avait passé l'Wrka sur ce point, et traversait là cette rivière. Le septième corps d'armée, que commande le maréchal Augereau, effectuait son passage de l'Wrka à Kursomb, et culbutait les 15,000 hommes qui la défendaient. Le passage du pont fut brillant. Le 14 de ligne l'exécuta en colonnes serrées, pendant que le 16° d'infanterie légère établissait une vive fusillade sur la rive droite. A peine le 14° eût-il débouché du pont, qu'il essuya une charge de cava-lerie, qu'il soutint avec l'intrépidité ordinaire à l'infanterie française; mais un malheureux lancier pénétra jusqu'à la tête du régiment, et vint percer d'un coup de lance le colonel, qui tomba roide mort. C'était un brave soldat; il était digue de commander un si brave corps. Le feu à bout

portant qu'exécuta son régiment, et qui mit la cavalerie ennemie dans le plus grand désordre, fut le premier des honneurs rendus à sa mémoire.

Le 25, le troisième corps, que commande le maréchal Davoust, se porta à Tykoczyn (1), où s'était retiré l'ennemi. Le cinquième corps, commandé par le maréchal Lannes, se dirigeait sur Pullusk, avec la division de dragons Beker.

L'Empereur se porta avec la plus grande partie de la cavalerie de réserve à Ciechanow (2).

Passage de la Sonna.

Le général Gardannes, que l'Empereur avait envoyé avec 30 hommes de sa garde pour reconnaître les mouvemens de l'ennemi, rapporta qu'il passait la rivière de Sonna à Lopaczin, et se dirigeait sur Tykoczyn.

Le grand-duc de Berg, qui était resté malade à Warsovie, n'avait pu résister à l'impatience de prendre part aux événemens qui se préparaient. Il partit de Warsovie et vint rejoindre l'Empereur. Il prit deux escadrons des chasseurs de la garde pour observer les mouvemens de la colonne ennemie. Les brigades de cavalerie légère de la réserve, et les divisions Klein et Nansouty pressèrent le pas pour le joindre. Arrivés au pont de Lopaczin, il trouva un régiment de hussards russes qui le gardait. Ce régiment fut aussitôt chargé par les chasseurs de la garde, et culbuté dans la rivière, sans autre perte de la part des chasseurs qu'un maréchal-des-logis blessé.

Cependant la moitié de cette colonne n'avait pas encore passé, elle passait plus haut. Le grand-duc de Berg la fit charger par le colonel Dalhmann, à la tête des chasseurs. de la garde, qui lui prit trois pièces de canon, après avoir mis plusieurs escadrons en déroute.

(1) Tykoczyn, petite ville de la Pologne prussienne, département de Bialystock, sur la Narew.

(2) Ciechanow, petite ville de la Pologne prussienne, à 70 m. de Plosk, et 58 de Warsovie.

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