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une inconcevable crédulité, eussent inspiré au cabinet prussien de vaines alarmes, V. M., qui avait tout fait pour les prévenir, avait aussi tout fait pour les dissiper.

De quels dangers la Prusse voulait-elle se garantir? La France, loin de la menacer, ne lui avait jamais donné que les preuves les plus signalées de son amitié; à quels sacrifices voulait-elle se soustraire? V. M. ne lui a rien demandé; de quel déni de justice avait-elle à se plaindre? Tout ce qu'elle eût demandé de juste, V. M. était disposée à le lui accorder; mais elle n'a fait aucune demande, parce qu'elle n'en avait point à faire.

Est-ce l'existence de la confédération du Rhin? sont-ce les arrangemens qui ont eu lieu dans le midi de l'Allemagne, qui ont porté la Prusse à prendre les armes? On ne peut pas même le supposer. La cour de Berlin a déclaré qu'elle n'avait rien à objecter contre ces arrangemens. Elle a reconnu la confédération; elle s'est occupée à réunir avec elle, dans une confédération semblable, les Etats qui l'avoisinent.

V. M. a déclaré, il est vrai, que les villes anséatiques devaient rester indépendantes et isolées de toute confédération. Elle a déclaré encore que les autres Etats du nord de l'Allemagne devaient être libres de ne consulter que leur politique et leurs convenances: mais ces déclarations, fondées et sur la justice, et sur l'intérêt général de l'Europe, n'ont pu fournir à la Prusse un motif de guerre, ni même un prétexte qu'elle puisse avouer.

La guerre de la part de la Prusse est donc sans aucun motif réel.

Cependant les armées prussiennes ont dépassé leurs limites; elles ont envahi la Saxe; elles menacent le territoire de la confédération du Rhin, de l'inviolabité duquel V. M. est garante. Les troupes mêmes de V. M. sont menacées; à peine arrivées devant nos avant-postes, les troupes prussiennes ont fait le service de guerre. Elles ont refusé aux officiers français l'entrée de la Saxe, et la guerre s'est trouvée commencée, sans que la cour de Berlin ait fait connaître quels sujets de mécontentement elle prétendait avoir, sans qu'elle ait tenté les moyens de

conciliation, sans qu'elle ait rien fait pour éviter une rupture.

Un silence si obstiné, si peu naturel, si incompréhensible d'une part; de l'autre, une précipitation non moins inconcevable, prouvent assez qu'il ne faut point chercher de motif même apparent, à ce qui n'est que le résultat d'une déplorable intrigue.

Deux partis, dont l'un veut la guerre, l'autre la paix, divisent depuis long-temps la Prusse. Le premier dont les tentatives avaient été constamment déjouées, sentant qu'il ne pouvait réussir que par l'artifice, n'a eu qu'une pensée qu'un dessein, qu'un but; c'était d'exciter des défiances, de présenter comme nécessaires des mesures qui devaient forcer la France à en prendre de semblables; d'écarter ensuite toute explication, d'empêcher que les deux gouvernemens ne puissent s'entendre, et de les placer dans une situation telle, que la guerre en devînt une conséquence inévitable: projet malheureux exécuté avec un succès que ses auteurs eux-mêmes pourront être un jour forcés de nommer funeste.

Non, la guerre présente n'a point d'autre cause. Il n'en existe point d'autre que ces passions aveugles qui ont égaré tant de cabinets, dont la Prusse s'était long-temps préservée, mais dont il semble que la Providence l'ait condamnée à être aussi victime, en la livrant aux conseils de ceux qui comptent pour rien les calamités de la guerre, parce qu'ils ne doivent point en partager les dangers, et sont toujours prêts à sacrifier à leur ambibition, à leurs craintes, à leurs préjugés, à leurs faiblesses, le repos et le bonheur des peuples.

Si toutefois ces passions ne sont pas l'unique mobile du cabinet de Berlin, et si quelque motif d'intérêt personnel lui a fait prendre les armes, c'est incontestablement et uniquement le desir d'asservir la Saxe et les villes anséatiques, et d'écarter ou de surmonter les obstacles que les déclarations de Votre Majesté lui ont fait craindre de rencontrer dans l'exécution d'un tel dessein. La guerre alors, quels que soient les regrets que Votre Majesté éprouve de n'avoir pu la prévenir, lui offrira du moins

une perspective digne d'elle, puisqu'en défendant les droits et les intérêts de ses peuples, elle préservera d'une injuste domination des Etats dont indépendance importe non-seulement à la France et à ses allies, mais encore à toute l'Europe.

Signé, CH. MAUR. TALLEYRAND, prince de Bénévent
Mayence, le 5 octobre 1806.

COPIE de la première note adressée à S. Exc. M. le général de Knobelsdorff, par S. A. S. le prince de Bénévent, ministre des relations extérieures, en date du 11 septembre 1806.

Le soussigné, ministre des relations extérieures, est chargé, par ordre exprès de S. M. l'EMPEREUR et Rot, de faire connaître à S. Exc. M. de Knobelsdorff, que de nouveaux renseignemens, venus de Berlin sous la date des premiers jours de septembre, ont appris que la garnison de cette ville en était sortie pour se rendre aux frontières, que tous les armemens paraissaient avoir redoublé d'activité, et que publiquement on les présentait, à Berlin même, comme dirigés contre la France.

Les dispositions de la cour de Berlin ont d'autant plus vivement surpris S. M., qu'elle était plus éloignée de les présager d'après la mission de M. de Knobelsdorff, et la lettre de S. M. le Roi de Prusse, dont il était porteur.

S. M. l'Empereur et Roi a ordonné l'envoi de nouveaux renforts à son armée: la prudence lui commandait de se mettre en mesure contre un projet d'aggression aussi inattendu qu'il serait injuste. Mais ce ne serait jamais que malgré lui et contre son vœu le plus cher qu'il se verrait forcé de réunir les forces de son Empire, contre une puissance que la nature même à destinée à être l'amie de la France, puisqu'elle avait lié les deux Etats par une communauté d'intérêts avant qu'ils fussent unis par des traités. Il plaint l'inconsidération des agens qui ont concouru à faire adopter, comme utiles et comme nécessaires, les mesures prises par la cour de Berlin. Mais ses sentimens

pour S. M. le Roi de Prusse n'en ont été ni changés ni affaiblis, et ne le seront point aussi long-temps que S. M. ne sera point forcée à penser que les armemens de la Prusse sont le résultat d'un systême d'aggression combiné avec la Russie contre la France; et lorsque l'intrigue, qui paraît s'être agitée de tant de manières et sous tant de formes, pour inspirer au cabinet de Berlin des préven→ tions contre son meilleur et son plus fidèle allié, aura cessé, lorsqu'on ne menacera plus par des préparatifs une nation que jusqu'à cette heure il n'a pas paru facile d'intimider, S. M. l'Empereur regardera ce moment comme le plus heureux pour lui-même et pour S. M. le Roi de Prusse. Il sera le premier à contremander les mouvemens de troupes qu'il a dû ordonner, à interrompre des armemens ruineux pour son trésor, et les relations entre les deux Etats seront rétablies dans toute leur intimité.

C'est sans doute une chose satisfaisante pour le cœur de S. M. de n'avoir donné, ni directement ni indirectement, lieu à la mésintelligence qui paraît prête à éclater entre les deux Etats, et de ne pouvoir jamais être responsable des résultats de cette singulière et étrange lutte, puisqu'elle n'a cessé de faire constamment, par l'organe de son envoyé extraordinaire et par l'organe du soussigné, toutes les déclarations propres à déjouer les intrigues, qui, malgré ses soins, ont prévalu à Berlin; mais c'est en même temps pour S. M. I. un grand sujet de réflexion et de douleur que de songer que lorsque l'alliance de la Prusse semblait devoir lui permettre de diminuer le nombre de ses troupes, et de diriger toutes ses forces contre l'ennemi commun, qui est aussi celui du Continent, c'est contre son allié même qu'elle a des précautions à prendre.

Les dernières nouvelles de Berlin, diminuant beaucoup l'espoir que l'Empereur avait fondé sur la mission de M. de Knobelsdorff, et sur la lettre de S. M. le Roi de Prusse, et semblant confirmer l'opinion de ceux qui pensent que l'armement de la Prusse, sans aucune explication préalable, n'est que la conséquence et le premier développement d'un systême combiné avec les ennemis de la France, S. M. se voit obligée de donner à ses préparatifs un caractère géné

ral, public et national. Toutefois elle a voulu que le soussigné déclarât que même après la publicité des mesures extraordinaires auxquelles S. M. a dû recourir, elle n'en est pas moins disposée à croire que l'armement de la cour de Berlin n'est que l'effet d'un mal-entendu, produit lui-même par des rapports mensongers, et à se replacer, lorsque cet armement aura cessé, dans le même systême de bonne intelligence, d'alliance et d'amitié qui unissait les deux Etats.

Le soussigné, etc.

Signé, CH. MAUR. TALLEYRAND, prince de Bénévent.

COPIE de la Note de M. de Knobelsdorff au ministre des relations extérieures, en date du 12 septembre 1806.

Le soussigné sentant combien il est de la plus haute importance de répondre tout de suite à la note que S. Exc. le prince de Bénévent, ministre des relations extérieures, lui a fait l'honneur de lui adresser ce soir, se voit forcé de sẹ borner à représenter les observations suivantes. Les motifs qui ont engagé le Roi mon maître à faire des armemens, ont été l'effet d'une trame des ennemis de la France et de la Prusse, qui, jaloux de l'intimité qui règne entre ces deux puissances, ont fait l'impossible pour, alarmer par de faux rapports venus à-la-fois de tous côtés. Mais sur-toul, ce qui prouve l'esprit de cette mesure, c'est que S. M. ne l'a concertée avec qui que ce soit, et que la nouvelle en est venue plutôt à Paris qu'à Vienne, Pétersbourg et Londres. Mais le Roi mon maître a fait faire à l'envoyé de S. M. l'Empereur des Français, Roi d'Italie, une comɔnunication amicale au sujet de ces mesures. Ce ministre n'avait point encore donné de réponse sur cette communication. La relation des intéressans entretiens que S. M. I. a daigné avoir avec le soussigné et le marquis de Lucchesini ne pouvait encore être arrivée à Berlin.

D'après cet exposé, le soussigné ne peut que témoigner à S. Exc. le ministre des relations extérieures le vœu le plus

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