Page images
PDF
EPUB

un échange de ses pouvoirs avec ceux de S. Exc. le comte d'Yarmouth, qu'il a dû croire, ainsi que le portent les pleins-pouvoirs de S. E. autorisé à traiter, à conclure et à signer un traité définitif entre la France et le royaumeuni de la Grande-Bretagne et de l'Irlande.

De très-fréquentes conférences, la plupart de plusieurs heures, ont eu lieu depuis entre les deux plénipotentiaires, qui, de bonne foi de part et d'autre, s'appliquèrent à applanir les difficultés, et mirent de côté tout ce qui eût pu aigrir les esprits ou embarrasser et retarder inutilement la marche de la négociation.

Au lieu de se remettre de part et d'autre des notes plus ou moins adroites, mais qui éloignent plus qu'elles ne rapprochent du but qu'on veut atteindre; au lieu d'entamer de ces controverses écrites, non moins préjudiciables à l'humanité que les hostilités à main armée, et qui prolongent les malheurs des peuples; au lieu surtout de négocier la paix comme on fait la guerre, les plénipotentiaires eurent des conférences franches, dans lesquelles S. M. l'Empereur et Roi accorda tout ce qu'il put accorder sans perdre de vue la dignité de sa couronne, son amour pour ses peuples et l'intérêt de ses alliés.

Jamais on ne réduira S. M. à d'autres sacrifices.

La marche que prend S. Exc. le comte de Lauderdale, nouveau plénipotentiaire de S. M. Britannique ne semblet-elle pas annoncer qu'une multitude de notes ne suffira même pas pour que les deux gouvernemens s'entendent, et ne court-on pas évidemment le risque, en adoptant une telle marche, dont l'abus a été si manifeste de nos jours, de s'entendre encore moins qu'on n'a fait jusqu'ici? Si on ne veut au contraire que créer des pièces qu'on puisse ensuite présenter au parlement de la Grande-Bretagne, S. M. l'Empereur et Roi n'éprouve pas le même besoin. C'est la paix qu'il desire; cette paix également honorable pour la France, pour la Grande-Bretagne et pour leurs alliés, que le travail assidu et mutuel des plénipotentiaires respectifs avait rendu acceptable par les deux Gouvernemens.

Cependant pour faire paraître aux yeux de tous son

amour pour la justice et la sincérité de ses sentimens pacifiques, et pour qu'on connaisse véritablement à qui on doit attribuer tout empêchement à la marche de la négociation, S. M. l'Empereur et Roi a daigné permettre au soussigné de discuter ici la vaine question relative à la base de cette négociation déjà avancée, et sur le point d'être terminée.

Dans la lettre écrite à S. Exc. M. Fox, le 1er. avril, par S. Exc. le ministre français des relations extérieures, ce ministre annonça que S. M. l'Empereur et Roi adoptait entiérement le principe exposé dans la dépêche de S. Exc. M. Fox du 26 mars, et présenté comme base de la négociation, « que la paix proposée doit être honorable pour les deux cours et pour leurs alliés respectifs. »

Dans sa lettre du 2 juin à S. Exc. M. Fox, S. Exc. le ministre des relations extérieures alla plus loin. Il proposa, au nom de l'Empereur et Roi, d'établir pour bases deux principes fondamentaux, le premier tiré de la lettre de M. Fox, du 26 mars, savoir: « Que les deux Etats au>>ront pour objet que la paix soit honorable pour eux et » pour leurs alliés respectifs, en même-temps que cette paix serail de nature à assurer, autant qu'ils le pour»ront, le repos futur de l'Europe. » Le second principe était une reconnaissance en faveur de l'un et de » l'autre puissance de tout droit d'intervention et de ga» rantie pour les affaires continentales et pour les affaires

[ocr errors]

>> maritimes. »

Telles sont les bases adoptées par le gouvernement britannique et convenues avec lui. Jamais il n'a pu venir dans la pensée de S. M. l'Empereur et Roi, de prendre pour base de la négociation l'uti possidetis. Si telle eût été sa pensée, il eût gardé la Moravie, une partie de la Hongrie, la Styrie, la Carniole, la Croatie, toute l'Autriche, ainsi que sa capitale, Trieste et Fiume et le littoral environnant seraient encore en sa puissance, comme Gênes et Venise. Le Hanovre, Osnabruck et toutes les embouchures des grandes rivières du Nord de l'Allemagne seraient soumis à son Empire, et certes alors S. M. l'Empereur et Roi, aurait pu sans difficultés laisser le Cap,

Surinam, Tabago, Sainte-Lucie, Pondicheri, etc. au pouvoir de S. M. britannique.

Quant à la Sicile, dans cette hypothèse même, S. M. l'Empereur et Roi ne l'aurait pas laissée à ses ennemis; mais S. M. aurait pensé seulement que la conquête de cette ile aurait dû précéder l'ouverture des négociations, et lorsque la Prusse et la Russie ont ou garanti ou reconnu les changemens arrivés dans le royaume des Deux-Siciles, doit-on présumer que l'Angleterre eût pu empêcher la conquête de la Sicile, qui n'est séparée du Continent que par un canal de moins de deux mille toises?

Et en supposant même que le Cap et Surinam et autres possessions hollandaises eussent pu être détachées définitivement du royaume de Hollande, n'est-il pas certain que son incorporation avec l'Empire français eût été la suite nécessaire du refus qu'aurait fait l'Angleterre de lui restituer ses colonies? Quel serait en effet le moyen de maintenir une nation qui n'aurait que des dettes, et à laquelle l'absence absolue de tout commerce ôterait tout moyen de les payer? Quelque chose que puissent alléguer LL. EE. les plénipotentiaires de S. M. britannique, il est impossible qu'ils ne soient pas convaincus qu'il est extrêmement different pour la Grande-Bretagne de voir le Texel et l'embouchure du Rhin et de la Meuse soumis aux douanes françaises, ou de les voir soumis à celles des Hollandais. Ainsi donc, sans la restitution de ses colonies, la Hollande deviendra forcément une province de l'Empire français; car en acceptant la couronne de Hollande, le prince Louis a déclaré formellement son intention d'y renoncer, si les colonies hollandaises n'étaient restituées à la paix générale.

Que le Hanovre devienne en outre une province de France; que Trieste, Fiume et leurs territoires deviennent également des provinces du royaume d'Italie, et que la Grande-Bretagne garde en compensation le Cap, Surinam, Malthe, Pondichery, etc., la France y consentira, et le grand principe uti possidetis sera appliqué dans toute son étendue pour le présent et à l'avenir.

Que le nouveau ministre plénipotentiaire de S. M. bri

fannique trouve dans l'histoire du Monde une négociation terminée d'après l'uti possidetis, entre deux grands peuples? qu'il examine si l'uti possidetis n'appartient pas plutôt à un armistice qu'à une paix? Il est impossible de ne pas dire qu'en proposant à la France l'uti possidetis, sur-tout dans les circonstances actuelles, on a du s'être formé une étrange idée du caractère de l'Empereur Napoléon, et qu'il faut qu'on l'ait cru réduit à un singulier état d'abaissement et de détresse.

Mais en demandant l'uti possidetis, S. Exc. le comte de Lauderdale, plénipotentiaire de S. M. britannique, sans avoir égard au principe qu'il avance, veut cependant changer le destin d'un état continental tout entier, lequel fournissait vingt-cinq mille hommes à l'Angleterre, et lui a fourni une partie des moyens qu'elle montra dans la guerre de sept ans, et même dans la guerre de la révo lution française aux armées du Nord. Ainsi donc, on veut l'uti possidetis, pour ôter à la France tout son commerce, tous ses établissemens et ruiner ses alliés; mais on veut violer le principe de l'uti possidetis, pour obliger la France à renoncer à ses engagemens, à rompre ses traités, à dissoudre enfin tout son système continental. N'estce pas proposer une paix mille fois plus désastreuse que la plus longue guerre, et des conditions capables d'exciter l'indignation de tous les Français ? Quoi! la France aurait vaincu toutes les puissances soldées par l'Angleterre, pendant la durée des coalitions, pour se voir imposer des conditions aussi injustes que déshonorantes, malgré la modération et la générosité qu'elle a montrée.

S. E. monsieur Fox a proposé lui-même « que la paix » fût honorable pour les deux cours et pour leurs alliés res» pectifs. »

S. M. l'Empereur et Roi ne pourrait regarder la paix comme honorable, si par une de ces conditions il devait perdre un seul de ses sujets ; et quelque peu importante que puisse être la colonie de Tabago, il suffit qu'elle ait fait partie de l'Empire français au moment où S. M. a pris les rênes du Gouvernement, pour que S. M. ne signe jamais

un traité où l'aliénation de cette colonie ou de toute autre qui lui appartient de la même manière serait comprise. Aucun Anglais raisonnable n'a pu se flatter du contraire, et dans sa position, S. M. perdrait, si elle y consentait, l'estime de tout ce qu'il y a de braves et de généreux même chez ses ennemis.

Le soussigné est chargé de déclarer que S. M. l'Empereur et Roi estime à déshonneur la seule idée d'une négociation basée sur l'uti possidetis. Elle est d'autant plus contraire à ses principes, que S. M. a restitué ses conquêtes, et qu'elle régnerait sur une population double de celle qui lui est soumise, si lors des paix qu'elle a faites, à l'expiration des diverses coalitions, elle avait pris pour unique principe l'uti possidetis.

Le soussigné est également chargé de déclarer que les seules bases de négociation que S. M. l'Empereur et Roi veuille adopter, sont celles proposées en partie par S. E. monsieur Fox, et en partie contenues dans la lettre qui lui a été adressée le 2 juin par le ministre des relations extérieures, et rappelées dans le 12 paragraphe de sa présente

note.

S. M. l'Empereur et Roi n'exige de la Grande-Bretagne rien qui soit contraire aux intérêts de ses alliés; elle doit s'attendre qu'on n'exigera d'elle-même rien de contraire aux intérêts de ses propre alliés.

Le soussigné est chargé d'ajouter qu'il se réfère à tout ce qui avait été préparé par les effets mutuels de S. E. le comte d'Yarmouth et du soussigné.

Si la paix ne se retablit pas, ce n'est pas la France qui pourra être accusée d'avoir changé, mais l'Angleterre ; quoique la paix entre la France et la Russie, et d'autres événemens défavorables à la Grande-Bretagne aient eu lieu depuis que la négociation a été entamée et presque amenée à sa conclusion de concert avec S. E. le comte d'Yarmouth.

Le soussigné saisit cette occasion d'assurer leurs excellences les comtes de Lauderdale et d'Yarmouth de sa haute considération.

Signé, CLARKE.

« PreviousContinue »