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n'a eu qu'un objet en vue, celui de les rompre, d'éluder par tous les moyens du mensonge et de la mauvaise foi la responsabilité de la rupture, et de redonner à la guerre plus d'étendue, dans l'espérance qu'une nouvelle coalition serait plus plus fatale à la France, ou que du moins les nouveaux dangers de l'Angleterre se détourneraient sur ses alliés.

PIÈCES.

No. I.

Downing Street, le 20 février 1806.

MONSIEUR le ministre,

Je crois de mon devoir, en qualité d'honnête homme, de vous faire part le plus tôt possible, d'une circonstance assez étrange qui est venue à ma connaissance. Le plus court sera de vous narrer tout simplement le fait comme il est arrivé.

Il y a quelques jours qu'un quidam m'annonça qu'il venait de débarquer à Gravesend sans passeports, et qu'il me pria de lui en envoyer un parce qu'il venait récemment de Paris, et qu'il avait des choses à m'apprendre qui me feraient plaisir. Je l'entrelins tout seul dans mon cabinet, où après quelques discours peu importans, ce scélérat eut l'audace de me dire, que pour tranquilliser toutes les couronnes, il fallait faire mourir le chef des Français, et que pour cet objet, on avait loué une maison à Passy, d'où l'on pouvait à coup sûr et sans risque exécuter ce projet détestable. Je n'ai pas bien entendu si ce devait être par le moyen des fusils en usage ou bien par des armes à feu d'une construction nouvelle. Je n'ai pas honte de vous avouer, à vous Monsieur le ministre, qui me connaissez, que ma confusion était extrême, de me trouver dans le cas de converser avec un assassin déclaré. Par une suite de cette confusion, je lui ordonnai de me quitter instamment, donnant en même temps des instructions à l'officier de

police qui le gardait, de le faire sortir du royaume au plus tôt. Après avoir réfléchi plus mûrement sur ce que je venais de faire, je reconnus la faute que j'avais faite en le laissant partir avant que vous en fussiez informé, et je le fis retenir.

Il y a apparence que tout ceci n'est rien, et que ce misérable n'a eu autre chose en vue que de faire le fanfaron, en promettant des choses qui, d'après sa façon de penser, me feraient plaisir.

En tout cas, j'ai cru qu'il fallait vous avertir de ce qui s'est passé, avant que je le renvoyasse. Nos lois ne nous permettent pas de le détenir long-temps, mais il ne partira qu'après que vous aurez eu tout le temps de vous mettre en garde contre ses attentats, supposé qu'il ait encore de mauvais desseins, et lorsqu'il partira, j'aurai soin qu'il ne débarque que dans quelque port le plus éloigné possible de la France. Il s'est appelé ici Guillet de la Gevrilliere, mais je pense que c'est un faux nom. Il n'avait pas un chiffon de papier à me montrer et à son premier abord, je lui fis l'honneur de le croire espion.

J'ai l'honneur d'être avec le plus parfait attachement,
Monsieur le ministre,

Votre très-obéissant serviteur,

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J'ai mis la lettre de V. Exc. sous les yeux de S. M. Son premier mot, après en avoir achevé la lecture, a été : « Je reconnais là les principes d'honneur et de vertu qui » ont toujours animé M. Fox. » Elle a ajouté: » Remerciez»le de ma part, et dites-lui que soit que la politique de » son souverain nous fasse rester encore long-temps en » guerre, soit qu'une querelle aussi inutile pour l'humani» té ait un terme aussi rappoché que les deux nations doi» vent le desirer, je me réjouis du nouveau caractère

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» que, par cette démarche, la guerre a déjà pris, et qui est le présage de ce qu'on peut attendre d'un cabinet » dont je me plais à apprécier les principes, d'après ceux » de M. Fox, un des hommes les plus faits pour sentir >> en toutes choses ce qui est beau, ce qui est vraiment » grand.

>>

Je ne me permettrai pas, Monsieur, d'ajouter rien aux propres expressions de S. M. I. et R. Je vous prie seulement d'agréer l'assurance de ma plus haute considération.

Signé, CH. MAUR. TALLEY RAND, prince de Bénévent.

Monsieur,

N°. III.

Downing Street. 26 mars 1806.

L'avis que votre Excellence m'a donné des dispositions pacifiques de votre gouvernement, m'a induit à fixer particulièrement l'attention du roi sur cette partie de la lettre de votre Excellence.

Sa Majesté a déclaré plus d'une fois à son parlement son desir sincère d'embrasser la première occasion de rétablir la paix sur des bases solides, qui pourront se concilier avec les intérêts et la sûreté permanente de son peuple.

Ses dispositions sont toujours pacifiques; mais c'est à une paix sûre et durable que S. M. vise; non à une trève incertaine et par-là même inquiétante, tant pour les parties contractantes que pour le reste de l'Europe.

Quant aux stipulations du traité d'Amiens qui pourraient être proposées comme bases de la négociation, on a remarqué que cette phrase peut être interprétée de trois ou quatre différentes manières, et que par conséquent des explications ultérieures seraient nécessaires, ce qui ne manquerait pas de causer un grand délai, quand même il n'y aurait pas d'autres objections.

La veritable base d'une telle négociation entre deux grandes puissances qui dédaignent également toute idée

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de chicane, devrait être une reconnaissance réciproque de part et d'autre du principe suivant, savoir que les deux parties auraient pour objet que la paix soit honorable pour toutes les deux et leurs alliés respectifs, et en même temps de nature à assurer, autant qu'il est en leur pouvoir, le repos futur de l'Europe.

L'Angleterre ne peut négliger les intérêts d'aucun de ses alliés, et elle se trouve unie à la Russie par des liens si étroits qu'elle ne voudrait rien traiter, bien moins conclure, que de concert avec l'Empereur Alexandre; mais en attendant l'intervention actuelle d'un plénipotentiaire russe, on pourrait toujours discuter et même arranger provisoirement quelques-uns des points principaux.

Il pourrait sembler que la Russie, à cause de sa position éloignée, ait moins d'intérêts immédiats que les autres puissances à discuter avec la France; mais cette cour, à tous égards si respectable, s'intéresse comme l'Angleterre, vivement à tout ce qui regarde le sort plus ou meins indépendant des différens princes et Etats de l'Europe.

Vous voyez, Monsieur, comme on est disposé ici d'applanir toutes les difficultés qui pourront retarder la discusion dont il s'agit. Ce n'est, pas assurément qu'avec les ressources que nous avons, nous ayions à craindre, pour ce qui nous regarde, la continuation de la guerre. La nation anglaise est de toute l'Europe celle qui souffre le moins de sa durée, mais nous n'en plaignons pas moins les maux d'autrui.

Faisons donc ce que nous pouvons pour les finir, et tàchons, s'il se peut, de concilier les intérêts respectifs et la gloire des deux pays avec la tranquillite de Europe et la félicité du genre humain.

J'ai l'honneur d'être avec la plus haute considération,

Monsieur,

de Votre Excellence,

le très-humble et très-obéissant serviteur,

Signé C. T. Fox.

N°. IV.

Premier avril 1806.

MONSIEUR,

A l'heure même où j'ai reçu votre lettre du 26 mars, je me suis rendu auprès de S. M., et je me trouve heureux de vous informer qu'elle m'a autorisé à vous faire sans delai la réponse suivante :

L'Empereur n'a rien à desirer de ce que possède l'Angleterre. La paix avec la France est possible et peut être perpétuelle, quand on ne s'immiscera pas dans ses affaires intérieures, et qu'on ne voudra ni la contraindre dans la législation de ses douanes, et dans les droits de son commerce, ni faire supporter aucune insulte à son pavillon.

Ce n'est pas vous, Monsieur, qui avez montré dans un grand nombre de discussions publiques une connaissance exacte des affaires générales de l'Europe et de celles de la France, qu'il faut convaincre que la France n'a rien à desirer que du repos, et une situation qui lui permette de se livrer sans aucun obstacle aux travaux de son industrie.

L'Empereur ne pense pas que tel ou tel article du traité d'Amiens ait été la cause de la guerre. Il est convaincu que la véritable cause a été le refus de faire un traité de commerce nécessairement nuisible aux manufactures et à l'industrie de ses sujets.

Vos prédécesseurs nous accusaient de vouloir tout envahir. En France, on accuse aussi l'Angleterre. Eh bien! nous ne demandons que l'égalité. Nous ne vous demanderons jamais compte de ce que vous ferez chez vous, pourvu qu'à votre tour vous ne nous demandiez jamais compte de ce que nous ferons chez nous. Ce principe est d'une ré-, ciprocité juste, raisonnable, et respectivement avantageuse.

Vous exprimez le desir que la négociation n'aboutisse pas à une paix sans durée. La France est plus intéressée qu'aucune autre puissance à ce que la paix soit stable. Ce n'est point une trève qu'elle a intérêt de faire, car une trèvs

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