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des droits du trône et de l'aristocratie; et la Chambre élective, frappée d'un discrédit moral à son origine, s'était successivement affaiblie de la puissance et de la considération que la première acquérait dans l'opinion publique... L'opposition, fortifiée des appuis qu'elle trouvait dans la haute Chambre et dans la magistrature, se grossissait de jour en jour. Les inquiétudes graves, les inimitiés puissantes que le ministère avait soulevées par divers actes dont l'histoire n'a pu recueillir que les principaux, se répandaient surtout dans la classe moyenne, éclairée, qui constitue vraiment les nations modernes chaque jour la presse périodique harcelait, attaquait, poursuivait à outrance le système et le personnel du ministère, et les journaux qu'il avait acquis ne trouvaient presque plus de lecteurs. Enfin les ministres, et particulièrement le président du Conseil, étaient au point de se voir forcés de quitter le timon des affaires, ou d'imposer silence à leurs ennemis, et de restreindre les libertés à l'aide desquelles ils étaient eux-mêmes arrivés au pou– voir: ils prirent ce dernier parti. C'est dans ce but que, entre plusieurs projets de lois d'intérêt de localités, de finances, ou destinés à remplir des lacunes dans la législation (1) (projets sur lesquels nous reviendrons dans l'ordre de leur importance), il avait été présenté le 29 décembre, à la Chambre des députés, une loi nouvelle sur la police de la presse,

Objet d'une attention inquiète avant d'être connu, ce projet devint, aussitôt son apparition; le but des critiques les plus amères, et des attaques les plus vives.. Aux préventions de parti se jeiguaient dans cette circonstance des intérêts matériels qui se virent menacés. D'un côté, l'imprimerie, la librairie et toutes les branches d'industrie qui s'y rattachent; de l'autre, les gens de lettres, les journalistes surtout, dont la loi compromettait l'existence, formaient une masse d'opinions contraires d'autant plus redoutable

(1) 1o Doare projets concernant des impositions extraordinaires; 2° un projet de Code forestier; 3° loi sur le tarif des postes; 4° sur la réduction du droit de circulation des cidres, etc.; 5° sur l'acquisition du bâtiment des BonsHommes: 6o sur la dispense de caution du trésor royal dans les cas de surcacbere.

qu'elle réunissait la puissance du talent à l'autorité du grand nombre. Mais ce ne fut pas seulement dans le public que l'opposition se manifesta, et dans la Chambre elle-même le projet fut très diversement accueilli. Si quelques esprits, préoccupés des écarts récens et scandaleux reprochés à des écrivains obscurs, accusèrent la nouvelle loi d'être trop indulgente, d'autres la considérèrent comme vexatoire et uniquement destinée à protéger le ministère contre des attaques sous lesquelles il appréhendait de succomber. Plusieurs y virent l'effet d'une condescendance funeste aux exigences d'un parti, dominateur secret des actes du gouvernement: l'opinion libérale surtout en fut vivement alarmée; aussi les murmures de l'opposition de gauche s'élevèrent-ils avee force au milieu de l'agitation produite dans l'assemblée par la lecture que fit M. le garde des sceaux de l'exposé des motifs, dont on offrira le développement avec l'ensemble de cette grande discussion.

Un autre objet partageait alors l'attention et l'inquiétude publique c'était la pétition adressée dans le même temps à la Chambre haute, par.M. le comte de Montlosier, contre l'existence avouée des congrégations et des jésuites, à l'influence desquels les journaux de l'opposition attribuaient les restrictions qu'on voulait imposer à la presse. Ainsi se touchent les deux grandes questions de l'époque, la presse et les jésuites, inépuisables sujets des débats politiques qui ne furent jamais plus passionnés et plus violens.

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La pétition de M..de Montlosier avait pour objet de dénoncer à la Chambre un vaste système tendant à renverser la religion et le trône, « système mis en évidence, 1o par une multitude de congré gations religieuses et politiques répandues dans toute la France; * 2° par divers établissemens de la société des jésuites; 3° par ⚫ profession patente ou plus ou moins dissimulée de l'ultramonta*nisme; 4° par un esprit fâcheux d'envahissement d'une partie du clergé, des empiétemens continus sur l'autorité civile, ainsi « qu'une multitude d'actes arbitraires exercés sur les fidèles.» Avant de recourir à l'autorité de la Chambre, le noble pétitionnaire avait épuisé les moyens de réparation établis par nos formes

judiciaires. Il s'était entouré des lumières du barreau de Paris ct des provinces, et se prévalant du considérant de l'arrêt célèbre rendu par la cour royale de Paris (voir l'Ann. hist. pour 1826, page 260), il s'était adressé au ministre de l'intérieur, comme chargé spécialement de la haute police du royaume. Cette démarche n'avait amené aucun résultat.

Il ne demandait pas à la Chambre l'investigation des faits aujourd'hui généralement avoués.

« Ce n'est plus, disait-il, que sur leur caractère qu'il se trouve du dissentiment les uns regardant comme un service ce que les autres regardent comme une trahison; les uns attachant les honneurs de la fidélité à ce que les autres entachent des hontes de la félonie: ce qui découvre une singulière situation sociale, puisque d'un côté la France se trouve sans législation, ou du moins sous une législation impuissante, et par conséquent monstrueuse; législation qui, d'un autre côté, se trouve sans moralité; car la France se montre divisée en deux parties notables, l'une proclamant comme une calamité ce que l'autre proclame comme un avantage; l'une, apercevant le mal, déclare qu'elle est sans puissance pour le réprimer; l'autre, qui a la puissance et qui fait le mal, déclare qu'elle y veut persévérer. »

Le pétitionnaire craignant de ne pas montrer assez de confiance dans la noble Chambre, en entrant dans des développemens plus étendus, espérait que LL. SS. apprécieraient le danger de cette puissance cachée si long-temps, et qui osait aujourd'hui se mettre en évidence. « Qui peut dire où se porteraient ses prétentions? Les juntes apostoliques d'Espagne, de concert avec leurs affiliés en France et en Italie, avaient osé engager dans la guerre leur souverain qui voulait la paix. Qui sait ce que bientôt elles pourraient tenter en France?»

D'après ces motifs, M. de Montlosier concluait à ce que la Chambre voulût bien se déterminer:

1° A prendre en considération l'état de délit flagrant où se trouvent en France les divers établissemens de congrégatious et de jésuites, et à aviser aux mesures les plus promptes pour opérer leur dissolution;

« 2o A prendre les mesures nécessaires pour faire reconnaître de la manière la plus solennelle, et dans toute son intégrité, la déclaration du clergé de 1682, et en assurer, sous la plus grave responsabilité, l'enseignement dans toutes les écoles et séminaires du royaume ;

30 A nommer dans le sein de la Chambre une commission qui, indépendamment des mesures provisoires que la sagesse de LL. SS. pourrait leur sug

gérer, serait chargée de rechercher les anciennes lois et l'ancienne jurispru dence du royaume, en tant qu'elles assuraient la liberté de la religion contre les entreprises et les procédés abusifs de ses ministres;

• 4° Enfin à proposer tels amendemens à la législation existante qui seraient jugés nécessaires, dans le but de soumettre à l'action des tribunaux ordinaires ces sortes d'infractions à la paix publique. »

Le choix de M. le comte Portalis, comme rapporteur de la commission d'examen, en même temps qu'il offrait à toutes les opinious les plus solides garanties sous le rapport du talent et de l'impartialité, rassurait les partisans des libertés gallicanes, et faisait espérer des conclusions équitables et sages sur une question si importante pour la tranquillité des esprits. Il faut s'y arrêter.

(18 janvier.) Le noble rapporteur commençait par rappeler la dénonciation portée à la cour royale, par M. de Montlosier, l'arrêt qui était intervenu et les démarches ultérieures du pétitionnaire auprès du ministre ; démarches restées sans succès.

Passant à l'examen des quatre chefs de conclusions, il en est trois que S.S. considérait comme se résolvant en propositions de lois. Or, suivant la définition du droit de pétition, toute demande tendant à introduire quelque changement dans la législation ne peut être réputée pétition proprement dite, attendu que l'initiative des lois appartient à la couronne d'où il suit que la chambre n'est point obligée de délibérer sur de semblables propositions.

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Toutefois, comme celles dont il s'agit touchaient à de grands intérêts, à de hautes questions, il avait paru à la commission nécessaire de justifier son avis, en ajoutant à ce motif péremptoire d'autres motifs tirés de l'état actuel de la législation du royaume.

Le noble rapporteur établissait donc que la commission, dont le pétitionnaire demandait la création, ne pourrait rien faire qui n'eût déja été fait; que tous les cas, en matière d'abus, ont été prévus d'une manière générale par l'article 6 de la loi du 8 avril 1802, que le gouvernement du roi a solennellement reconnue. Il citait à ce sujet ce qui a été dit par le ministre de l'intérieur à la Chambre des députés, le 22 novembre 1817, lors de la présentation de la loi relative au concordat. Il rappelait aussi les opinions du chancelier Séguier et du président Lamoignon, sur le danger

de limiter les appels comme d'abus à certains cas définis, et il en concluait que la puissance politique est suffisamment armée parmi nous pour réprimer les abus qui peuvent être commis par toute personne ecclésiastique.

En point de droit, la proposition d'attribuer la connaissance des abus aux tribunaux ordinaires paraissait à la commission présenter de grandes difficultés dans l'état actuel de notre droit public.

Il existe, dit M. le comte Portalis, une différence immense entre les anciens parlemens et nos cours royales.

<< Les parlemens, associés en quelque sorte au pouvoir législatif, et dépositaires d'une partie importante de la puissance exécutive, ne constituaient pas seulement les corps judiciaires, mais une magistrature politique. Gardiens et interprètes des lois et des maximes du droit public du royaume, surveillans de la haute police en même temps que juges, les arrêts qu'ils prononçaient étaient presque aussi souvent des actes de législation ou de haute administration que des jugemens. Toujours ils suppléaient au silence des lois; quelquefois ils en complétaient le système par des dispositions réglementaires.

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Nos cours royales, au contraire, exclusivement établies pour appliquer les lois qu'il leur est même défendu d'interpréter, totalement étrangères à l'autorité administrative dont il leur est sévèrement prohibé d'apprécier les actes, sont de pures institutions judiciaires. Si par de nouvelles attributions on étendait sans restriction et sans précaution leur compétence hors de ses limites actuelles, il serait à craindre qu'on ne dénaturât leur institution. Une telle innovation introduirait peut-être dans l'État un nouveau corps politique, et il pourrait en résulter de graves perturbations dans l'équilibre et la distribution des pouvoirs publics.

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Tontefois, si cette question se présentait pour la première fois, vos seigneuries pourraient examiner s'il ne serait pas convenable, à cause de sa gravité, de renvoyer au bureau des renseignemens cette partie de la pétition qui s'y rapporte; mais votre commission a pensé que le gouvernement du roi ayant déja lui-même fait, en d'autres circonstances, une proposition analogue, la pétition qui nous occupe en ce moment ne pouvait rien ajouter d'utile aux documens officiels distribués à la Chambre, et qui appellent incessamment sur ce sujet les méditations de tous les hommes d'état.

Le chef de conclusion tendant à ce qu'une disposition législative assure l'enseignement des quatre articles de 1682 ne paraît pas à la commission juspar une nécessité réelle. »

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Ici le noble rapporteur, entrant dans les détails historiques qui se rattachent à la célèbre déclaration du clergé de France, rappelait que jusqu'à la révolution, le roi, le clergé, le conseil du roi, ont unanimement reconnu que l'édit du mois de mars 1682, qui prescrivait l'enseignement des quatre articles, et dont un arrêt du conseil du 27 avril 1766 renouvela les dispositions, n'avait pas.

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