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Arriva sur ces entrefaites la nouvelle qu'une révolution venait de s'opérer au Pérou par suite du soulèvement d'une division colombienne qui avait destitué ses officiers supérieurs, sous prétexte qu'ils étaient les instrumens d'un parti qui voulait renverser la constitution de leur pays (voy. ci-après, pag. 597 ); que le Pérou avait aboli la constitution Bolivienne, et que la division colombienne, embarquée pour Guayaquil, avait renversé le gouvernement établi par Bolivar, Cette nouvelle dut profondément blesser le libérateur au moment où il voulait donner à la Colombie la constitution que le Pérou rejetait. Elle déconcertait tous ses projets; mais elle fut reçue à Bogota avec des transports de joie populaires universels: on tira des fusées, on sonna les cloches, et la ville retentit d'acclamations répétées : A la constitution! aux lois ! au congrès! au vice-président de la république! et aux braves guerriers (Bustamente, etc.) qui venaient de se déclarer pour la liberté de leur pays!

Le nom de Bolivar n'était point prononcé; les chefs de parti dissimulaient encore à cet égard leurs craintes, leurs espérances, leurs inimitiés et leurs vues en attendant la réunion du congrès national, toujours différée par la difficulté de réunir le nombre de sénateurs requis par la constitution. Il n'en fallait qu'un seul, et pour parvenir à l'union désirée, les représentans et les sénateurs arrivés à Bogota résolurent de se rendre à Tunja, où résidait le sénateur Uscategin, qui y était retenu par une maladie. Le viceprésident rendit un décret (10 avril) qui autorisait la translation du Gouvernement dans cette ville; mais le congrès y était à peine réuni (le 2 mai), qu'il retourna dans la capitale, où il ouvrit le 12 mai ses travaux.

Le vice-président Santander, dans le message d'ouverture qu'il avait à lui faire, débutait par lui rendre compte des motifs du délai mis à sa réunion, du message qu'il avait préparé le 2 janvier, des raisons qu'il avait eues de se maintenir au pouvoir au delà do terme assigné par la loi, et du soin qu'il avait eu d'assurer la tranquillité publique, de maintenir l'exécution des lois, de seconder les mesures adoptées par le libérateur pour le rétablissement de

l'ordre, et de hâter la réunion du congrès actuel. Il exposait ensuite « l'état des relations extérieures, puis les troubles de l'intérieur, la soumission des rebelles au libérateur dont l'influence avait éteint les flammes de la guerre civile, rendu aux lois leur autorité et la paix à la Colombie. »

Venant aux objets dont le congrès aurait à s'occuper, le viceprésident insistait sur la nécessité de revoir la loi organique des écoles... Il appelait son attention la plus sérieuse sur l'état des finances; il annonçait que le produit du revenu public commençant au 1er juillet 1825, et finissant au 30 juin 1826, avait surpassé celui de l'année précédente, et que l'estimation des dépenses était fort inférieure aux recettes; mais il ajoutait qu'il existait maintenant un tel désordre et une telle confusion dans les finances de la nation, qu'il était impossible de pourvoir aux dépenses de l'administration et aux obligations de la république.

Le vice-président ne parlait des événemens de Lima ( 26 janvier) que sous le rapport du mouvement insurrectionnel de la division auxiliaire et saus le blâmer, ajoutant que les troupes, en prêtant de nouveau serment à la constitution, avaient donné une nouvelle garantie de leur dévouement à la république, et que d'ailleurs le secrétaire d'État de la guerre mettrait sous les yeux du congrès tous les documens relatifs à cette affaire. Il terminait par un paragraphe qui fait sentir la gravité des circonstances où se trouvait la république.

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Être ou ne pas être, dit-il, voilà pour la Colombie le résultat de vos délibérations. L'Europe et l'Amérique vous contemplent, et la postérité vous attend pour bénir ou maudire votre mémoire. Quant à moi, premier magistrat de son gouvernement actuel, vieux soldat dans la cause de la liberté, et sujet soumis à ses lois, je ne veux ni ne pourrai jamais contempler l'anarchie succédant dans mon pays à la gloire et à la liberté. »

L'exposé des finances, préparé pour l'époque ordinaire de la session législative ( 2 janvier), avait souffert depuis quelques altérations. En résultat, il établissait les dépenses de l'année financière finissant au 30 juin 1826 à 15,487,719. p. 3, et il réduisait celles

de 1827 à 8,495,822 p. o(1), en sorte qu'il devait s'opérer d'une année sur l'autre une réduction de 6,991,897 p. 3.

Mais il faisait observer que cette réduction était fondée sur celle de l'effectif de l'année, et que s'il était jugé nécessaire d'armer tous les bâtimens de guerre, la dépense devrait être augmentée de 2,260,422 p. 6 réaux.

Quant aux recettes, elles avaient été en 1826 à 12,156,372 (2), y compris les fonds provenant des emprunts étranger et domestique, montant à plus de 2,100,000 p.; en sorte, que d'après ces estimations, on pouvait espérer pour 1827 un surplus de 12 à 15,000,000 p.; espérance illusoire comme toutes les évaluations précédentes.

On remarque dans le rapport fait à l'ouverture de la session par le secrétaire d'État de l'intérieur, des progrès dans diverses branches de l'administration publique.

<< La population, augmentée depuis 1821, est évaluée à 2,800,000 habitans, dont 103,892 sont esclaves, sans y compter environ 203,835 Indiens qui vivent dans les forêts et les montagnes, dans

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Monnaies.

Monopole du tabac,

Total.

8,495,822 0 172

(2) Voici la récapitulation générale des produits des diverses branches :

Douanes

5,688,019 p. 2

256

142,151

800,518

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l'indépendance des lois de la république, qu'on a en vain tenté de civiliser.

« Les universités, les colléges, les académies et les écoles, que la guerre avait ou détruits ou fait négliger, sont déja rétablis en grande partie. On a établi un grand nombre d'écoles primaires, où l'on compte 19,709 enfans dont le huitième environ suit la méthode nouvelle. Il existe actuellement dans la république trois universités et vingt colléges.

« A très peu d'exceptions près le clergé s'était montré favorable au nouvel ordre de choses (1).

«L'agriculture et le commerce, qui avaient été ruinés par la guerre, reprenaient leurs travaux; mais les manufactures avaient beaucoup souffert par les importations, et le ministre les recommandait à toute la sollicitude du congrès.

« Les derniers vestiges des institutions espagnoles avaient été détruits en 1826; mais il en était résulté des lacunes importantes à remplir dans le système et l'organisation judiciaire. »

Tel était le sommaire de ce rapport, que le secrétaire d'État de l'intérieur termina iten annonçant qu'au milieu des derniers événemens qui avaient troublé la tranquillité publique dans quelques parties de la Colombie, il ne s'était élevé aucune voix contre la liberté, ni en faveur de l'ancienne domination monarchique.

De tous les objets discutés dans cette session, aucun ne mérite l'attention de l'histoire générale autant que la démission que les deux premiers personnages de la république venaient de renouveler, par la gravité des conséquences qu'elle pouvait avoir et des questions qu'elle soulevait.

On a vu les motifs assignés par Bolivar; ceux de Santander, modifiés par les circonstances, étaient exprimés dans des termes plus modestes.

(1) Le rapport du ministre porte le nombre des ecclésiastiques qui composent le clergé séculier à 1,694; mais il y a en ontre 51 monastères d'hommes, contenant 945 moines et 432 novices; et 33 couvens de femmes ayant 750 religieuses et 1,436 novices.

Je renonce à la place de vice-président, disait-il dans sa lettre au congrès, parce que je veux la voir remplir par quelqu'un capable de réparer les erreurs de mon administration pour l'avantage du pays. J'y renonce, parce que je dois détraire l'idée qu'on s'est récemment formée d'une rivalité entre moi et le libérateur, et de la perfidie dont je paye son amitié; j'y renonce, parce que je dois, en bon patriote, prendre soin qu'on ne fasse pas encore de ma continuation dans cette place un prétexte pour troubler notre tranquillité intérieure et miner le pacte social; j'y renonce, parce que je veux jouir de la vie privée, justifier ma conduite et confondre mes calomniatears; enfin, parce que ma santé a été détériorée par les travaux du gouvernement. Tant de motifs de justice, de politique et de convenance doivent déterminer le congrès à exercer le pou voir qui lui est donné par la loi, et à accepter ma démission...... Né Colombien, je mourrai Colombien. Les doctrines républicaines ont pris racine dans mon cœur, et je ne serai jamais autre chose que républicain. La reconnaissance envers ma patrie et ses représentans animera toujours mon cœur, La liberté de la Colombie sera, tant que je vivrai, l'objet de mon culte politique, de mon dévouement et de mes sacrifices. Bolivar sera toujours l'objet de mon affection et de mon admiration. »

Les deux démissions soumises au sénat à l'ouverture de la session y avaient d'abord excité de violens débats; un sénateur (Soto) voulant laisser le tems aux partis de se calmer demanda l'ajournement de la question au 6 juin, et l'assemblée adopta la proposition à une majorité de 4 voix (37 contre 33), au grand étonnement des partisans de Bolivar', qui s'attendaient à un vote d'enthousiasme, pour le supplier de reprendre, ou plutôt de garder les rênes du gouvernement.

Le jour fixé pour les débats, plusieurs des députés de la NouvelleGrenade, malgré les menaces qui circulaient et le danger d'une insurrection nouvelle dans les provinces où Bolivar commandait encore en maître, se prononcèrent ouvertement sur la nécessité de renoncer aux services du libérateur pour assurer la liberté de la république. D'autres, s'élevant contre cette opinion comme l'expression d'une lâche ingratitude, reprochaient à ceux qui l'avaient émise de faire mal à propos les Brutus et les Catons, et d'attirer sur leur pays toutes les calamités dont il était menacé par la retraite du libérateur.

Un de ces discours a fait sensation par la franchise violente avec laquelle il expose l'état de la querelle engagée : il faut en citer quelques traits.

Il ne faut pas,

dit le sénateur Miguel Uribe, être un Brutus ni un Calon pour

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