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au ministère, qui a proposé la loi de tendance, c'est-à-dire qui a mis la répression des délits de la presse dans les mains des cours royales. Je me suis reporté à l'époque de la discussion de cette loi; alors on n'a pas manqué de nous signaler le danger qui pouvait résulter de la suprématie politique dans les corps judiciaires. Qu'a répondu M. de Villèle dans cette discussion mémorable? le voici : « La loi de tendance, dit-on, transporte la politique dans le domaine des tribunaux; mais cette terreur qu'on a manifestée n'est qu'un vain fantôme qui ne peut avoir aucune réalité. Est-il possible, lorsque le pouvoir législatif réside dans les deux Chambres, que la société soit exposée aux eavahissemens du pouvoir judiciaire? Mais le pouvoir législatif changerait la loi qui amènerait un tel résultat. Ainsi, de cette faculté de changer la loi dérive l'impossibilité de l'abus qu'on signale. Vous voyez, messieurs, que c'est là répondre d'une manière péremptoire à l'objection qui se rattache aux inconvéniens de laisser la politique s'introduire dans les cours royales. Cependant M. le ministre, lorsqu'il s'agit de combattre l'amendement, lui oppose un argument contraire. Qui faut-il donc croire du ministre de 1822 ou du ministre d'hier?

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• D'où vient, ajontait en substance M. Casimir Périer, puisque la loi de tendance ne peut servir, que l'on n'a pas proposé de la rapporter ? d'où vient que le ministère, qui avait d'abord montré tant de coufiance dans la magistrature, témoigne aujourd'hui tant d'éloignement pour elle ? C'est qu'elle rend des arrêts au nom des lois, et non pas des services au nom de l'intérêt ministériel; ce n'est plus dès lors l'appui de la magistrature que le ministère demande, mais le soutien de la police. En effet, la formalité du dépôt ne signifie rien sous le rapport de l'action des tribunaux; mais l'action qu'elle donne à la police est immense.

Le dépôt, combiné avec les vingt-deux articles du projet, complète la combinaison la plus machiavélique, la plus infernale qu'on puisse imaginer. »

D'un autre côté de la Chambre, M. de Kergariou soutenait que la prévention et la restriction, étant des mesures de droit commun, devaient être appliquées à la législation de la presse dans l'intérêt de la sûreté publique ; et il demandait que, pour atteindre plus sûrement ce but, on étendît à dix jours le délai déterminé dans l'article 1er; mais en résultat le sous-amendement ne fut pas appuyé, et l'amendement de M. de Saint-Chamans mis aux voix fut rejeté à une nombreuse majorité.

Celui de M. de Bouville, proposé dans un esprit différent, était ainsi conçu :

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Un imprimeur ne pourra mettre en vente ou publier un écrit, de quelque manière que ce soit, avant d'en avoir déposé un exemplaire au parquet du procurenr du Roi du tribuna! dans le ressort duquel est située son imprimerie, sans préjudice du dépôt prescrit par l'art. 14 de la loi du 21 octobre 1814, et sous les mêmes peines prononcées par l'art. 16 de la même loi. »

Cet amendement, motivé sur la nécessité d'accélérer la poursuite des ouvrages condamnables, et appuyé par divers orateurs des

deux côtés de la Chambre (MM. de Charencey, Ricard (du Gard), Agier, Méchin, de Cambon, etc.), annulait nécessairement l'article 1er du projet. C'est à ce titre que le rapporteur de la commission (M. Bonnet) le combattit, ainsi que le commissaire du Roi (M. Jacquinot de Pampelune). Ce dernier donna des renseignemens à la Chambre sur la manière dont se faisait jusqu'à ce jour le service de la direction générale de la librairie dans ses rapports avec le procureur du Roi; service tellement régulier que l'amendement proposé serait tout-à-fait superflu. Mais l'expérience avait démontré l'inefficacité des mesures; la plupart des écrits poursuivis en vertu des lois précédentes avaient échappé à la saisie; la prolongation du dépôt avait donc paru nécessaire, et ce dépôt n'était autre chose, disait M. le commissaire du Roi, « que le droit donné à la justice de faire cesser le scandale en s'emparant des exemplaires « jusqu'à ce que le procès ait été jugé. »

Aucun des amendemens proposés par divers membres n'étant adopté, on arriva à ceux de la commission et à l'art. 1er, dont la discussion donna occasion à plusieurs orateurs, qui n'avaient pu se faire entendre dans la discussion générale, d'attaquer de nouveau le système de la loi (MM. Humann, Boulard, Méchin, Devaux, etc.) Mais en résultat l'article fut adopté (22 février), avec les retranchemens proposés par la commission, à une forte majorité.

L'art. 2, concernant les exceptions à faire aux dispositions du précédent, occasionna diverses réclamations. La commission avait proposé d'y mentionner les publications consistoriales; M. Ricard du Gard, d'y comprendre les mémoires signés ou par un avocat stagiaire, ou par un avoué autorisé à plaider ou à écrire : la Chambre admit ces exceptions.

Un autre amendement l'arrêta quelque temps: la commission avait proposé d'ajouter au paragraphe qui exceptait les écrits publiés sur les objets en discussion devant les Chambres, une réserve conçue en ces termes : Lorsque ces écrits seront publiés dans l'intervalle qui s'écoule entre la présentation de ces projets et la délibération définitive des Chambres.

En opposition à cet amendement, le ministre de l'intérieur faisait

observer qu'il anéantissait la première disposition du projet; il prenait pour exemple la loi du budget, presque toujours la première apportée à la Chambre, et la dernière qui en sorte; et comme le budget renferme autant de chapitres que de ministères, il s'ensuivrait, selon Son Exc., que l'on pourrait écrire sur toutes les matières pendant toute la durée de la session.

M. Dudon, qui prit ensuite la parole, insistait sur la proposition de la commission. Il lui paraissait important que les écrivains pussent publier leurs observations aussitôt que les projets de lois étaient connus; autrement la discussion pourrait être terminée avant l'expiration du délai de dépôt; d'ailleurs les tribunaux étaient là pour la poursuite des délits.

M. le président du conseil, venant alors à l'appui de son collègue, représenta que le dépôt n'entraînait qu'un retard qui n'ôtait rien à la facilité de publier; tandis qu'en dispensant les écrivains de cette formalité on s'exposait à une foule d'abus; car, pour se soustraire à l'examen du ministère public pendant les sessions, on ne manquerait pas de rattacher les écrits à quelque projet de loi présenté, et surtout au budget.

M. de Berbis tirait de cette insistance des ministres des raisons nouvelles contre le système de l'article du Gouvernement, qui ne permettrait pas de discuter librement les actes soumis aux Chambres, et d'éclairer celles-ci par les opinions du dehors. Parlant comme membre de la commission, il déclarait que son intention n'avait jamais pu être de restreindre la liberté de la presse au point d'empêcher la discussion publique des projets de loi; car sans cela il ne faudrait pas prétendre avoir de gouvernement représentatif; déclaration qui fut accueillie par les bravos de l'opposition.

Enfin cet amendement fort important, et que la commission paraît avoir admis à l'unanimité, moins une seule voix, reçut aussi l'assentiment de la Chambre; ce qui parut étonner le ministère, frappé d'un échec assez grave pour inspirer quelques doutes sur l'adoption de l'ensemble du projet.

Plusieurs autres exceptions à l'article 1er furent encore ajoutées en faveur des thèses ou dissertations faites pour les concours

des Facultés (proposition de M. Pardessus), et des écrits relatifs à des intérêts privés et non destinés à être mis en vente ( amendement de la commission).

Un paragraphe additionnel, proposé par M. le général Sébastiani, avait pour but d'étendre l'exception :

Aux écrits relatifs aux élections de la Chambre des députés, publiés dans le cas d'une ordonnance de dissolution, ou dans celui de l'expiration légale de ses fonetions, depuis cette ordonnance ou depuis cette expiration jusqu'à la clôture des colléges électoraux; et, en cas d'élection partielle, aux écrits publiés dans le département où l'élection aura lieu, depuis l'ordonnance de convocation du collège électoral jusqu'à sa clôture. »

Cette exception était, dans l'opinion de l'honorable député, une conséquence nécessaire du principe que la Chambre venait d'adopter relativement aux écrits qui concernent les projets de loi, et qui sont publiés entre la présentation de ces projets et la délibération des Chambres. Pour obtenir une Chambre élective qui fût l'expression de l'opinion, il était indispensable que la nation jouît, au moment de l'élection, de la liberté la plus étendue et d'une publicité sans bornes.

La nécessité pour les candidats de répondre aux calomnies dont ils pourraient être l'objet, calomnies répandues la veille, le jour même de l'ouverture des colléges, ajoutait à l'importance de l'amendement. On avait dit que dans ce cas les réponses à ces calomnies seraient rangées dans la catégorie des écrits relatifs à des intérêts privés; mais n'était-il pas possible qu'un imprimeur, dans la crainte de se compromettre, se refusât à publier sans dépôt un pareil écrit ?

Tout en rendant justice aux intentions de l'honorable auteur de l'amendement, M. de Vaublanc observait qu'il irait contre le but que l'on se proposait d'atteindre, qui était d'empêcher la publication rapide d'écrits séditieux et calomnieux propres à porter le trouble dans la société et dans les familles; car y a-t-il un moment plus favorable pour ceux qui ont de mauvaises intentions que celui des élections, où la fermentation des opinions est inévitable, et que les hommes qui veulent agiter les esprits ne manquent pas de saisir pour répandre le venin de la séduction? Comment, si l'on re

fuse le privilége en question aux écrits publiés sur la littérature, l'accorderait-on à des écrits qui par leur nature peuvent entraîner des inconvéniens si graves?

M. Benjamin Constant, pour appuyer l'amendement, rappelait de quelle manière s'étaient faites les dernières élections; que non seulement les listes électorales avaient été bouleversées, les électeurs rayés de ces listes, de faux électeurs inscrits et forcés de voter sous peine de destitution, mais que des libelles avaient été répandus contre les candidats au moment où l'on jugeait que ces libelles devaient produire un effet irréparable.

« Je vous parle dans vos intérêts, continuait l'honorable député en s'adressant à ses collègues des départemens; c'est votre cause que je défends bien plus que la nôtre. Députés de Paris, vieillis dans la lutte électorale, appuyés sur des électeurs qui ont l'expérience des tourniquets et autres ruses ministėrielles, nous avons peu de chose à craindre de ces ruses et des libelles... Mais par la loi des postes, les journaux de département sont anéantis. Par l'article que nous voulons amender, tout autre moyen de publication vous sera enlevé. Je vous parle dans vos intérêts, parce que dans cette occasion vos intérêts se trouvent être ceux de la France. Vous devez vouloir que les élections ne soient pas dominées par les ministres; car vous êtes d'avance exclus par ces ministres, vous tous qui, après les avoir secondés quand vous partagiez leurs opinions, refusez aujourd'hui d'abdiquer votre conscience. Rappelez-vous que les services antérieurs ne comptent pour rien; que le dévouement qui s'arrête paraît une révolte; que M. Delalot a été banni de cette Chambre par le ministère qui lui devait tout; et qu'aux élections prochaines les ministres, après vous avoir ôté la publicité qui serait votre défense, ordonneront à leurs agens et à leurs écrivains d'empêcher à tout prix que les électeurs ne nomment tel ou tel député qui fut leur ami.» ( Allusion à une expression de M. le garde des sceaux en parlant de M. Gauthier.)

Après quelques observations de M. de Vaublanc, sur ce que les candidats calomniés pourraient profiter pour leur défense du dernier paragraphe qui permet de publier des écrits concernant des intérêts privés, et qui ne sont pas destinés à être mis en vente; après avoir entendu M. Dudon, qui combattit l'amendement, et M. Rouillé de Fontaine, qui en proposait l'adoption, la Chambre l'a rejeté, et l'art. 2 amendé par la commission, sauf les modifications dont il vient d'être rendu compte, a été mis aux voix et adopté.

(24 février.) On passa légèrement sur l'art. 3, où M. Pardessus fit insérer les mots : « Sans préjudice des excédans des ouvrages connus dans l'imprimerie sous le nom de passes ou défaits; » et sur

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