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bateurs. Le Roi ne voulut point troubler la joie de cette grande réunion; mais s'adressant à l'un de ceux qui s'étaient fait remarquer par leurs clameurs obstinées, Sa Majesté se contenta de lui dire avec une noble fermeté : « Je suis venu ici pour recevoir des ⚫ hommages, et non des leçons; » belles paroles que l'histoire doit recueillir, et auxquelles la légion où se passait cette scène répondit par un cri unanime de vive le Roi! mais qui n'empêchèrent point les cris réprobateurs de se renouveler, surtout au passage de la suite de Sa Majesté.

En général, l'aspect de cette revue offrait pourtant un grand et touchant spectacle aux yeux du souverain entouré d'un peuple immense, qui faisait retentir l'air des témoignages bruyans de sa joie et de son amour. Elle s'acheva sans accident, sans désordre; et le Roi, retournant à cheval aux Tuileries, trouva partout le même empressement, fut salué des mêmes acclamations. Enfin Sa Majesté paraissait contente de la journée, et le maréchal commandant en chef la garde nationale avait même, assure-t-on, à la rentrée aux Tuileries, reçu l'ordre ou l'autorisation de témoigner la satisfaction du monarque aux légions parisiennes, lorsque de nouveaux inci dens changèrent la face des choses. Des légions qui retournaient dans leurs quartiers respectifs, en passant par les rues de Rivoli et la place Vendôme, firent entendre sous les fenêtres du ministre des finances et du garde des sceaux les cris déja signalés, avec une violence et un acharnement que le parti offensé regarda comme des menaces ou des symptômes d'insurrection. Le conseil des ministres fut convoqué, et se prolongea fort avant dans la soirée : on y décida que la garde nationale serait licenciée. L'ordonnance du licenciement, rédigée sur-le-champ sans préambule, contre-signée par le ministre de l'intérieur chargé de son exécution, fut envoyée dans la nuit au commandant en chef de cette garde, et de six à sep! heures du matin tous les postes qu'elle occupait étaient relevés par les troupes de ligne, en même temps que l'ordonnance paraissait dans le Moniteur à la place de l'article qui devait rendre un compte plus heureux de la revue.

Divers bruits ont couru sur la tenue de ce conseil, sur l'ab

sence de M. le dauphin, sur l'opposition plus ou moins prononcée de plusieurs ministres (de M. le duc Doudeauville, de M. de Chabrol, et même de M. d'Hermopolis) à la mesure qui venait d'être prise; mais on ne peut donner que le résultat de ces délibérations secrètes de leur nature.

M. le duc de Doudeauville, ministre de la maison du Roi, déja en opposition avec ses collègues dans l'affaire des obsèques de son noble parent, présenta, le jour même où l'ordonnance de licenciement fut publiée, sa démission au Roi, qui l'accepta, et confia les fonctions dont il était chargé à M. de la Bouillerie, mais seulement avec le titre d'intendant général de la maison du Roi; en sorte que ce ministère, qu'on ne savait, suivant l'opposition, à qui donner ou faire accepter, demeura supprimé. (Ordonnance du 23 mai.)

Pour en revenir à la mesure du licenciement, elle augmenta, comme on devait s'y attendre, le nombre et l'irritation des ennemis du ministère. Suivant les uns, c'était un coup d'état sans exemple comme sans raison, frappé dans l'intérêt de l'ambition et de la vanité blessée de quelques ministres repoussés par la haine publique ; une vengeance odieuse contre une institution qui, dans deux circonstances mémorables, avait rendu des services immenses à l'État et à la royauté, et qui offrait la plus sûre garantie de l'ordre et de la tranquillité publique suivant les autres, la mesure était légale autant que nécessaire : la majesté royale venait d'être blessée, outragée par des cris qu'on pouvait regarder comme des pétitions séditieuses présentées à la pointe des baïonnettes: il était temps d'imposer silence à ces insolentes clameurs, qui rappelaient les scènes désastreuses de la révolution.

Il y avait du vrai dans l'une et l'autre opinion; mais c'était déja une calamité que d'avoir amené l'autorité royale à déployer cette rigueur contre un corps nombreux composé de l'élite des citoyens ; il était maladroit de laisser penser que le Gouvernement eût tant d'ennemis; et, en point de vue général, c'est un des plus fâcheux événemens de cette année féconde en fautes politiques.

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CHAPITRE VII.

Loi sur l'organisation du jury.

L'institution du jury demandait depuis long-temps une amélioration, et tous les bons esprits applaudissaient à l'intention annoncée par le Gouvernement de s'occuper d'un objet aussi important sous le rapport de la liberté individuelle. Toutefois le projet de loi présenté à la Chambre des pairs sur cette matière, le 29 décembre, avait paru susceptible de graves objections; on s'étonnait surtout de ce que ce projet n'admît que les seuls électeurs à remplir les fonctions de jurés, « parce qu'il fallait, selon l'exposé des motifs, pres<< crire des bornes certaines au droit de choisir, et parce que, entre << autres raisons, on ne devait pas séparer le droit de participer au « vote de l'impôt d'avec celui de participer aux jugemens criminels. >>

La commission nommée par la noble Chambre, pour l'examen de ce projet, avait choisi pour organe M. le comte Siméon, qui lui avait soumis, dans sa séance du 22 janvier, un rapport dont voici la substance:

« Les registres da jury étaient anciens et la plupart fautifs; on proposait de les remplacer par une liste générale qui serait publiée contradictoirement, et annuellement renouvelée.

« Les listes particulières pour chaque assise, au lieu d'être arrêtées an moment on besoin, le seraient long-temps avant que les assises ne soient ouvertes. «Le nombre de soixante jurés était trop restreint, on l'étendait de manière à donner au président qui choisit une plus grande latitude.

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Enfin, au lieu d'abandonner aux magistrats le choix parmi les jurés, qu'ils ne connaissent pas, on le confiait au sort.

« La liste générale pour l'organisation du jury devait nécessairement contenir tous les électeurs; on a conçu, disait le noble rapporteur, l'heureuse idée de s'en servir pour les colléges électoraux. Ainsi, comme on écarte le soupçon qu'il puisse être nommé désormais des jurés pour telle ou telle assise, on dissipe aussi la crainte que les listes électorales ne soient faites pour telle ou telle élection.

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Mais en reconnaissant les avantages qui devaient ressortir pour le jury et pour les colléges électoraux des dispositions générales du projet de loi, la commission avait jugé plusieurs de ses dispositions particulières susceptibles de modifications importantes.

L'article 1er, qui n'admet comme jurés que les seuls électeurs, avait été le principal objet des critiques de la commission. Aux motifs énoncés par le

garde des sceaux à l'appui de cette disposition, le noble rapporteur opposait : 1° Que le droit de choisir n'aurait pas moins de bornes certaines et légales lorsqu'on ne restreindrait pas celles qui ont été posées par l'art. 382 du Code d'instruction criminelle; que le champ n'est pas encore trop vaste, puisque nous n'avons pas cent mille électeurs répandus dans les quatre-vingt-six départemens; et quand les adjonctions de l'art. 382 donneraient, ce qu'elles ne donnent peut-être pas, vingt mille personnes de plus pour le jury, ce ne serait pas trop dans un royaume de trente millions d'habitans;

2° Que le droit de participer aux jugemens criminels et celui de voter les lois et les impôts ne dérivent pas de la même source. Le vote appartient à la propriété constatée par une somme de contribution directe: c'est un droit politique. Le droit de participer aux jugemens criminels est un droit civil; il n'appartient pas seulement à ceux qui paient un certain cens, mais à ceux aussi qui, avec une moindre fortune foncière, jouissent d'une richesse ou d'une aisance mobilière; à ceux qui ont par état des counaissances dont il ne faut pas priver le jury.

La commission faisait cette distinction que le cens donne exclusivement le droit de voter directement ou indirectement les lois et l'impôt, parce que les proprietaires fonciers y sont les plus intéressés, mais que c'est le droit de cité qui appelle an jury un plus grand nombre ayant, à l'égal des propriétaires fonciers, intérêt à ce que le crime soit puni et l'innocence protégée.

«Par ces considérations, le noble rapporteur concluait au rejet de l'art. 1o1 et à une rédaction nouvelle de l'art. 2, qui appellerait, outre les électeurs, une partie des capacités désignées par l'art. 382 du Code d'instruction criminelle, en excluant les fonctionnaires et employés de l'ordre administratif, jouissant d'un traitement de 4,000 fr. au moins; adhérant en ceci à ce qui a eté dit dans l'exposé des motifs du projet de loi, qu'il ne fallait pas conserver une disposition qui permit de composer un jury d'employés et de fonction

naires.

La publicité des listes sera une garantie de leur exactitude. S'il y a des omissions volontaires ou involontaires, elles pourront être réparées sur la réclamation des intéressés... La crainte que pour s'exempter du jury on ne réclame pas contre les omissions est écartée par cette considération, que les préfets composeront la liste d'office. Il sera de leur devoir d'y porter tous ceux qui, à leur connaissance, doivent y être...

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Ceux qui voudraient être électeurs réclameraient s'ils étaient omis sur la liste, et seraient conséquemment appelés au jury; ceux qui, plutôt que de s'exposer à être jurés, sacrifieraient leur droit électoral, seraient déçus par la surveillance du préfet et par l'opinion publique, qui dénoncerait au besoia l'omission..

Quant au nombre des jurés, la commission proposait de fixer le minimum des listes de service à six cents; ce qui, en diminuant d'autant la crainte de l'influence des préfets, donnerait aux citoyens compris dans cette liste plus d'espérance de n'être pas appelés de nouveau l'année suivante.

Une autre objection non moins forte portait sur ce que la liste annuelle, dans tous les départemens, comprenait indistinctement

un même nombre de deux cents, sans égard à la population, excepté à Paris où cette liste serait de douze cents. Cette disposition avait frappé la commission qui proposait comme moyen d'y remédier de régler (suivant le tableau joint aux amendemens) le nombre des jurés à porter sur les listes annuelles au tiers de toutes les listes générales, sans pouvoir néanmoins excéder cinq cents, si ce n'est à Paris où ce nombre serait de deux mille, en raison de ce qu'il y a plus d'assises extraordinaires à Paris que d'assises ordinaires, et de ce que la cour d'assises étant divisée souvent en deux sections, il faut un nombre double de jurés.

La liste destinée à fournir le jury, ajoutait le noble rapporteur, puisqu'elle doit être annuelle, doit être différente chaque année; il faut pourvoir à ce que les préfets n'y maintiennent pas toujours les mêmes personnes, les incapables exceptés, et je comprends dans cette expression les incapables d'esprit, d'âge, d'infirmités, de moralité; chacun doit être mis à son tour sur la liste. Ce serait un grand abus si elle venait à constituer dans chaque département un corps permanent de jurés; un article additionnel devra donc dive« que nul n'y sera porté deux ans de suite. »

La commission avait aussi examiné la question de savoir s'il ne convenait pas mieux de confier au sort la désignation des jurés de la liste annuelle, que de l'abandonner au soin des préfets; mais elle avait considéré que si le sort est impartial, il n'est pas moins aveugle; qu'il pourrait amener dans la composition de la liste ce qu'un discernement éclairé et juste en écarterait. En Angleterre, c'est le shérif qui dresse les listes, et ce magistrat, ainsi que nos préfets, pourrait être accessible à l'esprit de parti; on ne saurait accorder à ces derniers moins de confiance. D'ailleurs, dans le système du projet, le choix confié aux préfets n'aura plus les inconvéniens qu'il présente actuellement, puisqu'au lieu de prendre au moment des assises soixante noms dans un registre secret, incomplet et fautif, il choisira d'avance dans une liste générale et publique deux cents jurés au moins, ce qui doit exclure toute idée de partialité.

On regrette de ne pouvoir donner qu'une idée vague de ce lumineux rapport, mais le lecteur en saisira l'esprit et les détails essentiels qui nous sont échappés en comparant le projet ministériel avec les amendemens qu'y proposait la commission.

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