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... Nous conviendrons au surplus, disait l'écrivain ministériel en terminant cette apologie, que des esprits éclairés pouvaient être divisés sur la convenance ou l'opportunité de la mesure; mais, pour être juste, il faut convenir aussi que personne plus que les ministres n'a pu apporter dans cette discussion un esprit dégagé de toute préoccupation d'intérêt personnel; ils sont à peu près les seuls en France qui n'eussent plus rien à redouter de la presse. Les attaques (pour nous servir d'un mot poli) auxquelles ils ont été en butte depais quatre ans ne pouvaient que s'affaiblir en se répétant; il est même à remarquer que dans cette lutte prolongée les premiers symptômes de lassitude sont venus du public. La fatigue a produit l'impartialité, et ceux sur qui étaient venues s'épaiser tant de violences se sont retrouvés dans la situation que choisirait toat honuête homme, celle où l'on est jugé par ses actes, et sur ses actes seulement.

Malgré la politesse de ce début, la lutte fut courte; et nonobstant la protection que l'établissement du conseil de surveillance, composé de personnages pris dans les premiers corps de l'État, semblait promettre à la presse périodique, le bureau de censure, signalé tout d'abord au mépris de l'opinion publique par des écrivains en possession de la diriger, parut bientôt armé de toutes ses rigueurs.

Dès son début, trois journaux qui passaient pour avoir été soutenus ou acquis depuis long-temps par le ministère, la Gazette de France, le Journal de Paris et l'Étoile, se fondirent dans un seul, qui, sous le premier et le plus ancien titre, devint feuille du soir, et obtint les premières communications officielles, la protection de la censure, et le privilége d'être reçu plus tard que les autres dans les bureaux de la poste.

Quant aux journaux de l'opposition royaliste ou libérale, la censure se montra bientôt inexorable, supprimant non- seulement les reproches, les critiques, mais les faits et les réponses aux attaques des feuilles privilégiées, exigeant que les articles ainsi retranchés. fussent immédiatement remplacés, de manière qu'on n'aperçût pas le vide des mutilations qu'elle leur avait fait subir.. L'éditeur d'un de ces journaux (la France chrétienne) avait refusé de viser l'épreuve mutilée qu'on lui avait rendue; il fut suspendu sans autre jugement que celui du bureau de censure. Toutes les réclamations qui furent élevées à cet égard demeurèrent sans effet : le journal ne reparut que lorsque la censure n'existait plus.

Cependant la presse périodique avait déjà trouvé des moyens de

vengeance et de compensation. Il s'était formé entre les gens de lettres indépendans une association politique, une sorte de compagnie d'assurance contre la censure, dans le but de rendre à la publicité les faits qu'elle s'efforçait d'y dérober. Parmi ces écrivains, la plupart rédacteurs des principaux journaux de l'opposition, figuraient des noms célèbres, entre autres celui de l'auteur des Martyrs, dont il parut plusieurs pamphlets qui se distribuèrent gratuitement chez quelques libraires de la capitale. On fit de petits journaux à la main ou en forme de lettres lithographiées, et des brochures qui se publiaient à des intervalles plus ou moins éloignés; ces dernières composées de ce qu'on appelait les rognures de la censure, c'est-à-dire des articles retranchés, dont la plupart semblaient si peu hostiles envers l'administration, que, dans l'impossibilité de comprendre les motifs qui avaient dirigé les censeurs, on accusait encore ici l'effet de certaines influences secrètes dont on les supposait dominés, comme l'administration elle-même.

C'est ainsi, pour nous borner à un seul exemple, que dans une affaire dont la déplorable célébrité vint affliger la morale publique (le procès du prêtre sicilien Contrafatto, condamné aux travaux forcés pour attentat sur la personne d'une jeune fille de sept ans (1)), on vit avec surprise les censeurs refuser aux journaux l'insertion d'une allocution du président des assises, qui rendait hommage aux principes de morale et de religion dans lesquels la mère de la victime élevait ses enfans: rigueurs incompréhensibles qui achevèrent de flétrir la censure dans l'opinion publique.

Un procès en matière de délits de la presse, intenté avant l'établisement de la censure au Courrier français, est aussi un événement à citer, en ce qu'il prouvait de plus en plus la tendance des tribunaux à se séparer de la politique ministérielle. L'objet de ce procès était un article inséré lors des discussions du projet de loi sur la police de la presse, et dont le sens était que la désaffection qu'inspireut les mauvais ministres rejaillit sur le trône. Il contenait, entre

(1) Voir la Chronique.

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autres phrases incriminées, celle-ci : « M. de Villèle ne peut rester plus long-temps l'organe du trône sans l'avilir.

On trouvera dans une autre partie de cet ouvrage les détails de cette procédure (1); il nous suffit de dire ici que M. Kératry, qui S'était déclaré l'auteur de l'article, ayant été renvoyé de la plainte par jugement du tribunal de police correctionnelle (24 avril), le ministère public appela de ce jugement à la cour royale qui, adoptant les motifs des premiers juges, mit l'appel au néant (arrêt du 3 juillet). Quelques jours après (8 juillet ), M. de Broë, qui remplissait alors les fonctions d'avocat-général en même temps qu'il était membre du conseil de surveillance de la censure, cumul signalé dans la plaidoirie de M. Kératry comme une incompatibilité et même une inconvenance, fut remplacé au conseil de censure. Un calme de quelques semaines succéda aux agitations des partis; ce fut comme une espèce de trève, au milieu de laquelle s'ouvrit l'exposition des produits de l'industrie française (1er août) sous des galeries construites à grands frais dans la vaste cour du Louvre ; exposition qui manifesta le perfectionnement des arts industriels et la protection éclatante qu'ils reçoivent de la munificence royale. Nous en rendrons ailleurs un compte particulier. (Voir l'Appendice.)

Mais la diversion que cette circonstance devait faire aux débats politiques ne fut pas de longue durée; ils se ranimèrent bientôt à la nouvelle de la mort du ministre dirigeant de l'Angleterre, M. Canning (8 août), événement regardé comme devant amener un grand changement dans le système d'un gouvernement qui avait pris sinon pour but réel, du moins pour devise: Liberté civile et religieuse pour tous les peuples, et dont le dernier acte venait de proclamer l'indépendance de la Grèce (traité du 6 juillet); aussi le parti libéral en poussa-t-il des cris de douleur. L'éloge du ministre anglais sortit de toutes les plumes on fit frapper à sa mémoire, et par souscription, une médaille avec la devise qu'il avait proclamée; enthousiasme de parti; honneurs accordés moins en admiration d'un ministre étranger qu'en haine des mi

(1) Voir la Chronique, avril, juillet.

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nistres français, et par un sentiment qui se manifesta plus vivement encore aux obsèques du célèbre ex-député Manuel, décédé à Maichez l'honorable M. Laffitte, son ami.

sons,

Le convoi, parti de Maisons (24 août), était arrivé à la barrière des Martyrs au milieu d'un grand concours de citoyens de toutes les classes, et d'une force imposante de gendarmerie tant à pied qu'à cheval. Jusque là, tout s'était passé dans l'ordre; mais au moment où le cortège se remit en marche pour gagner le cimetière du Père Lachaise par les boulevards extérieurs, quelques jeunes gens, se fondant sur ce que l'ordonnance de police sur les convois n'était point applicable extrà muros, voulurent s'emparer du cercueil et le porter jusqu'au cimetière. Les ordonnateurs s'y étant refusés, les jeunes gens dételèrent les chevaux et traînèrent le corbillard pendant un assez long trajet. Bientôt de nouveaux ordres arrêtèrent cette marche : les chevaux durent être replacés au corbillard, et le cortége parvint sans nouvel incident à sa destination. Une foule considérable s'était rendue d'avance au cimetière, dont l'entrée fut interdite à la gendarmerie, et où des discours furent prononcés par MM. le général La Fayette, Laffite, Béranger et de Schonen, tous plus ou moins empreints de douleur, de regrets sur la perte de l'orateur célèbre qui descendait dans la tombe avant l'âge, et quelquesuns d'indignation sur la décision violente qui lui avait fermé la carrière législative. (Voy. l'Ann. hist. pour 1823, pag. 76.)

Une relation de cette cérémonie, qui parut imprimée quelques jours après, motiva des poursuites devant le tribunal correctionnel, qui renvoya encore cette fois (28 septembre) les prévenus de la plainte (1). Ce qu'on remarqua le plus dans le considérant de ce jugement, c'est qu'il jetait un blâme indirect sur la conduite de la police, à laquelle il reprochait d'avoir déployé un si grand appareil de force militaire, tandis que, dans l'opinion des juges, il eût suffi d'un simple procès verbal pour faire punir par la voie judi

(1) MM. Mignet, homme de lettres, auteur de l'écrit; Sautelet, libraire, et Gaultier de la Guionie, imprimeur.

ciaire les auteurs et complices de la prétendue contravention aux règlemens de police, surtout si aucun désordre n'avait résulté de la manière dont le char chemiuait.

La capitale se ressentait encore de ces agitations, moins importantes dans leurs effets que dans leur cause, lorsque le Roi partit de Saint-Cloud (3 septembre) pour aller visiter le camp de manœuvres établi sous les murs de Saint-Omer (1), et quelques uns des départemens du nord de la France, si florissans par leur agriculture et leur industrie. Sa Majesté, accompagnée ou suivie à quelques jours de distance des principaux officiers de sa maison, des ministres de l'intérieur et de la guerre, du directeur-général des postes et d'un nombreux et brillant état-major, traversa successivement les départemens de l'Oise, de l'Aisne et du Nord, Soissons, Laon, Saint-Quentin, Cambrai, Valenciennes, Douai et Lille, accueillie par des témoignages unanimes de respect et d'amour des autorités et des populations accourues sur son passage. Les curés de chaque commune, en habits sacerdotaux et assistés de leur clergé, se tenaient sur les marches des églises devant lesquelles passait S. M., et le son des cloches se mêlait au bruit des acclamations. Partout des arcs-de-triomphe, des maisons pavoisées, des routes restaurées et embellics, attestaient l'allégresse publique ; toutes les contrées que traversait le monarque, heureuses de sa présence, offraient l'aspect d'une véritable fête de famille. M. le Dauphin rejoignit son auguste père à Lille, où le prince héréditaire des Pays-Bas arriva presque en même temps pour présenter ses hommages au roi de France; et tous deux accompagnèrent S. M. à Saint-Omer, où les grandes manoeuvres, favorisées par le plus beau temps, eurent lieu depuis le 10 jusqu'au 15 septembre en présence du Roi et des princes, et d'une foule innombrable attirée de tous les pays voisins par ce brillant spectacle.

Enfin le Roi, après avoir été fêté par son armée comme par son peuple, après avoir, dans son infatigable activité, examiné tout ce

(1) Ce camp était composé de 14,000 hommes d'infanterie et de 3,000 hommes de cavalerie.

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