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Le timbre ainsi établi aurait-il les effets utiles qu'on s'en promettait ?

Enfin les inconvéniens ne l'emportaient-ils pas sur les avantages?

Telles étaient les principales questions que la commission s'était proposées. Elle avait d'abord reconnu que le timbre avait pour objet, dans l'esprit de la loi projetée, de mettre un frein au débordement des petits écrits pernicieux qui se vendent à vil prix, et qui, souvent même, se distribuent gratuitement; qu'un droit bursal considérable établi sur la première feuille, et sensible encore sur les feuilles suivantes, rendrait nécessairement plus rares les opuscules dangereux, qui seraient alors à un prix hors de la portée du grand nombre; mais quelque graves qu'eussent paru ces motifs, des argumens forts et nombreux y avaient été opposés.

Voici, dit l'honorable rapporteur, celui qui se présente le plus naturellement:

Vous frappez les mauvais écrits, mais vous frappez aussi les bons, et enfin (n'exagérons rien) ils sont en plus grand nombre que les mauvais : vous timbrez les pamphlets séditieux, les libelles, les maximes licencieuses, mais vous timbrez aussi les pensées généreuses, les révélations utiles, les vues d'une saine politique de plus, vous n'atteindriez qu'imparfaltement votre but, et vons arriveriez à un autre qui tromperait vos intentions. En effet, il est déplorable, mais il n'est que trop vrai, que la plupart des hommes sont moins portés à faire des sacrifices pour ce qui est sage et ntile, que pour ce qui est ou malicieux, ou téméraire, ou subversif de ce qui existe: on aime raisonnablement les choses raisonnables; mais un certain nombre aime avec fureur les choses folles et prohibées. Ainsi le bon se ressentirait plus que le mauvais de la mesure pesante et coërcitive du timbre.

C'est en vain qu'on se retrancherait sur les exceptions; celles que le projet indique sont trop peu nombreuses, et quand on en rédigerait une nouvelle et plus longue nomenclature, on s'apercevrait bientôt que d'autres y manque

raient encore.

«En un mot, les exceptions en justice et en raison devraient comprendre tout ce qui est bon, sage, utile, et même tout ce qui, sans être éminemment utile, n'est pas dangereux; en sorte que ce serait la règle qui deviendrait l'exception; d'où l'on arriverait peut-être à n'assujétir au timbre que ce qui, timbré ou non, devrait être soustrait à la circulation.

« Ajoutez qu'assnjétir au timbre les bons et les mauvais écrits indistinctement, c'est, sous un autre rapport, manquer le but désiré. Les auteurs et imprimeurs des bons ne se soustrairont pas à l'impôt, parce qu'il est dans leur caractère de respecter les lois, même celles qui pèsent sur cux; tandis que les mauvais, les plas mauvais circuleront sans timbre, puisque les auteurs ou imprimeurs, conpables par la nature même de leurs ouvrages, craindront peu d'être repréhensibles encore sous le rapport d'une simple contravention.

A ces considérations morales s'unissaient dans l'esprit des Ann. hist. pour 1827.

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membres de la commission d'autres motifs tirés de la question politique et des intérêts de l'industrie et du commerce.

L'assujétissement au timbre est un véritable impôt, et la commission pensait que l'établissement d'un impôt ne pouvait trouver place dans une loi aniquement destinée à la police de la presse; que ce serait l'entacher en quelque sorte de fiscalité, et rendre suspecte l'intention du législateur.

Elle reconnaissait aussi que cette mesure porterait préjudice aux intérêts industriels et commerciaux, en ce que ce serait ajouter un franc au prix du moindre écrit, de l'opuscule le plus léger, et près d'un franc et demi à celui de la plus mince brochure; ce qui aurait pour effet inévitable de produire une grande diminution dans le nombre de ces ouvrages qui occupent une multitude d'hommes dont les moyens d'existence se trouveraient compromis.

L'honorable rapporteur faisait observer d'ailleurs que les petits écrits n'en afflueraient pas moins chez nous; et qu'après s'être fait imprimer en Belgique et en Hollande, ils nous reviendraient abondamment, parce que entre le prix du timbre et celui de l'assurance, la marge serait assez grande pour garantir contre la chance de la saisie. Ces considérations réunies avaient déterminé la commission à proposer de substituer à la formalité du timbre celle de l'autorisation du Gouvernement pour tous les écrits au dessous de vingt feuilles, et d'un format au dessous de l'in-18; quelques membres avaient même été d'avis de fixer l'in-12 pour limite, mais l'avis opposé avait prévalu. On verra dans la suite que la Chambre a partagé l'opinion de la minorité de la commission, et que le projet adopié consacrait sa proposition.

Arrivant à la disposition relative aux écrits périodiques, l'honorable rapporteur admettait avec la commission le principe de la loi relatif à la responsabilité personnelle des propriétaires de journaux; mais il ajoutait que les moyens d'appliquer ce principe n'avaient pas paru également admissibles.

« Quelques journaux actuels ont un grand nombre de propriétaires : sans doute, en cas de délits, ils doivent supporter les condamnations pécuniaires et les amendes; leur cautionnement est là pour les subir, et chacun d'eux a bien entendu courir ce danger en s'associant à une entreprise de cette nature,

. Mais les peines correctionnelles de prison pour les délits peuvent-elles équitablement être appliquées à tous les propriétaires, lorsque évidemment sont innocens plusieurs d'entre eux, et le plus grand nombre quand ce nombre est considérable?

« La loi du 9 juin 1819 rendait responsables du délit les propriétaires ou l'éditeur présenté par eux; et cette alternative sauvait une difficulté, mais par une disposition dérisoire qui laissait subsister l'absence mème de responsabilité. «Quant à la responsabilité de l'auteur de l'article, elle ne présente non plus aucune solidité; car on peut présenter comme tel un inconnu ayant aussi peu de consistance que l'éditeur responsable.

Les auteurs du projet de loi l'ont senti, et c'est pour parer à ces difficultés qu'on vous propose, par l'article 9 de ce projet, de ne reconnaître comme propriétaires que ceux qui réuniront les qualités exigées par l'art. 980 du Code civil (c'est-à-dire d'être måles, majeurs, sujets du Roi, et jouissant des droits civils); et par l'art. 15, d'obliger les propriétaires de se réduire au nombre de cinq.

Par là, sans doute, la loi atteindrait tous les propriétaires et ne pèserait pas sur des êtres qu'on ne pourrait condamner sans injustice, comme les femmes, les mineurs; mais par là aussi on tomberait (c'est l'avis de la majorité de votre commission ) daus d'autres inconvéniens plus graves peut-être.

D'abord le nombre de cinq responsables lui a paru encore trop grand. II arrivera souvent que plus il y aura de responsables, moins il y aura de responsabilité; la faute, en ce cas, pouvant errer vaguement sur cinq têtes, l'embarras des joges augmente, et le penchant à l'acquittement des prévenus accroît les chances de l'impunité.

•Ensuite, et ce qui est plus important, l'effet de cette disposition serait donc de priver entièrement, soit actuellement, soit à chaque mutation de la propriété, par deces ou autrement, cenx qui peuvent y avoir droit: l'effet serait de bouleverser dans leur entier des sociétés contractées, des pactes anciens : ni la venve ni les enfans n'auraient la faculté de contracter la chose; ils pourraient seulement céder avec peu d'avantage une propriété qui ne convient qu'à un très petit nombre de concurrens..

Quoique ces raisonnemens ne soient pas restés sans réplique, néanmoins la majorité de la commission, considérant que le même but pouvait être atteint d'une manière plus douce et moins subversive des droits acquis, avait proposé un changement essentiel aux articles 9 et 13. (Voy. fin du chapitre.)

Parmi les autres modifications proposées par la commission au même chapitre, la suppression de l'augmentation du timbre sur les journaux est la plus importante.

Une partie des motifs donnés relativement au timbre sur les écrits non périodiques s'applique à celui-ci. De plus, les calculs de la commission établissaient que, en combinant cette disposition avec celle de la loi des postes, il y aurait augmentation de 25 fr. dans le prix de chaque abonnement de l'année, dont 14 fr. 76 c. pour le timbre seulement.

La commission avait pensé que ce surcroît de frais considérable ne ferait peut-être qu'un tort léger aux journaux les plus accrédités, mais ruinerait ceux qui ont le moins d'abonnés.

Le titre des peines, auquel la commission proposait de substituer la qualification de titre des amendes, avait donné lieu à diverses observations, principalement en ce qui touche la proportion des amendes aux délits; mais cette partie du rapport échappe à l'analyse.

La faculté donnée au ministère public, de poursuivre d'office le délit de diffamation commis envers les particuliers, avait ensuite occupé l'attention de la commission, qui avait été partagée sur l'utilité de cette disposition. Plusieurs membres pensaient qu'on ne pouvait classer parmi les délits la publication d'actes de la vie privée qui n'ont rien de répréhensible; que les journaux les plus sages ne se remplissent souvent que de noms propres et de faits particuliers qui n'inculpent personne, qui même sont rapportés à la louange de ceux qu'ils concernent, et qu'un article qui prononçait 500 fr. d'amende, pour des publications de cette nature, était toutà-fait inadmissible. Les autres soutenaient que nul n'avait droit de publier ce que chaque citoyen a peut-être des raisons sages de cacher; que nul ne peut être mis en scène malgré lui; que la vie privée des citoyens doit être murée; que tel fait, indifférent en apparence, peut ne pas l'être en réalité; enfin, que dans la publication des actes les plus simples la malice peut trouver une occasion de dénigrement et de calomnie.

La commission avait jugé, en conséquence, utile de substituer à la disposition absolue du projet une disposition facultative qui laissait au ministère public le soin d'apprécier les cas où la publication serait innocente ou nuisible.

Une pareille controverse s'était engagée sur l'article qui donne au ministère public la faculté de poursuivre seul, et selon sa prudence, la diffamation envers les particuliers; et la majorité de la commission, invoquant les articles 5 de la loi du 26 mai 1819, et 17 de celle du 25 mars 1822, ainsi que les motifs de cette dernière, s'était déterminée à introduire un amendement qui prévenait tout

inconvénient, en exigeant que la poursuite d'office n'ait lieu que précédée de l'assentiment de la partie intéressée.

Restait la disposition du projet, relative à la responsabilité des imprimeurs.

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Les expressions « responsables dans tous les cas, responsables de plein droit indiquaient le but du projet de loi, celui d'obtenir une garantie nouvelle, et plus certaine peut-être, contre des excès danla garantie des imprimeurs, de ceux sans l'auxiliaire desquels le plus mauvais écrit ne peut causer dommage à la société.

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Cet article, comme il est conçu', dit M. Bonnet, donnerait aux auteurs un censeur, mais un censeur aimable, un censeur de leur choix, ou platôt un conseil bienveillant.

• Avant d'apprécier si l'article était aussi admissible dans sa générosité qu'il est louable dans son intention, votre commission a considéré l'état actuel de la législation. Elle a vu que par la loi du 21 octobre 1814, l'imprimeur co vaincu en justice de contravention aux lois ou règlemens pent être par l'administration privé de son brevet.

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Elle a vu aussi que par l'article 24 de la loi du 17 mai 1819 « les imprimeurs d'écrits dont les auteurs seront mis en jugement pourraient être pour« suivis dans les cas où ils ont agi sciemment... »

Dans l'article 60 du Code pénal, « que ceux-là sont considérés comme "complices qui ont avec connaissance aidé ou assisté l'auteur de l'action coupable, dans les faits qui l'ont préparée ou facilitée.

« Ces garanties sont-elles suffisantes? Ici la commission a été divisée d'opinions. « On a reconnu généralement que le cas de complicité supposant la culpabilité de l'imprimeur bien avérée, les condamnations judiciaires contre lui seraient fort rares.

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Que cependant il pouvait y avoir négligence, oubli de ses devoirs, à tel point qu'on dût le rendre au moins civilement responsable du mal fait à la société, notamment s'il s'agissait d'un ouvrage manifestement contraire aux lois

on aux mœurs.

« Mais résultait-il de là que les imprimeurs dussent être responsables dans tous les cas et de plein droit?

Quelques lumières qu'on leur accorde, on ne peut cependant leur déférer le droit de décider souverainement sur le quid deceat, quid non, quò virtus, quò ferat error!

• D'un autre côté, les imprimeurs les plus accrédités sont accablés d'occnpations qui ne leur permettent ni de lire ni surtout d'apprécier tous les ouvrages qu'ils impriment; enfin l'impression ne s'opérant souvent que par parties successives, il peut arriver que tel ouvrage, inoffensif au commencement, renferme dans la suite des passages dangereux; de là discussion, procès entre l'auteur et l'imprimeur, et nécessité d'un jugement civil sur une question qui appartiendrait à la police correctionnelle.

Ces considérations avaient amené la commission à proposer de faire à cet article l'amendement qu'on va lire :

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