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qu'une volonté et des agens. Il importe seulement ici de lui transmettre que la majorité du peuple ne vota point le consulat à vie, mais qu'elle le laissa pour ainsi dire passer sans effroi, sans inquiétude, confiante dans la magnanimité de Bonaparte, autant que rassurée par l'intérêt de la propre gloire du héros. Les adresses ou pétitions, ainsi que les registres des votes dont on s'est appuyé dans cette circonstance, sont en partie l'ouvrage des instrumens de l'autorité (1).

L'opinion publique, quoique silencieuse, justifiait le consulat à vie par un raisonnement qui se trouve exprimé d'une manière remarquable dans un petit écrit publié comme une réfutation de la proposition de Chabot (de l'Allier). Voici cet écrit :

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« Le Tribunat vous propose de donner au général Bonaparte, premier consul de la République, un gage éclatant de la reconnaissance nationale.

<< Telle est, a dit un de ses orateurs (Chabot de l'Allier), » la volonté du peuple français. »

« Nous attendons, a dit un autre (Siméon), que le premier » corps de la nation se rende l'interprète de cette reconnais»sance publique, dont il n'est permis au Tribunat que de » désirer et de voter l'expression.

Sénateur, quelle fonction que celle d'exprimer au chef de l'État la reconnaissance nationale! Quelle tâche que celle de donner une récompense digne de celui qui doit la recevoir et du peuple qui la décerne!

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Que lui offrirez-vous? Un accroissement de pouvoir ? Il n'en a pas manqué si l'on en juge par ce qu'il a fait. Plus d'éclat et de pompe autour de lui? Qui peut l'approcher sans l'émotion du respect, et qui pourrait remarquer ce qui l'en

(1) La police employa des scribes pour remplir des registres de noms supposés.

vironne en sachant ce qu'il est? Serait-il moins grand sous la tente que sous le dais, et sous l'habit de soldat que sous le manteau doré? Ah! la magnificence n'est-elle pas chez lui un tribut qu'il paie plutôt qu'une décoration dont il s'entoure? Lui offrirez-vous des honneurs? Mais quelle autorité peut en décerner à celui que la nation a chargé de les distribuer, de qui chacun est flatté d'en recevoir? Des monumens? Mais qui les exécutera ? Ce sera donc lui-même qui s'érigera ceux que vous aurez décernés! Des monumens! En est-il de plus honorables que la félicité publique, qui est son ouvrage? en est-il de plus éloquens que les paroles, que les actions dont les pages de l'histoire offriront le recueil ?

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Sénateur, cette récompense seule sera digne de la nation française qui donnera pour prix des services rendus le droit d'en rendre encore, qui estimera l'honneur de servir la patrie le plus grand honneur où puisse prétendre un citoyen, et lui imposera la félicité publique pour prix de la restauration générale. Cette récompense sera digne de Bonaparte qui lui donnera le moyen d'ajouter de la gloire à de la gloire, de consacrer son utilité par une utilité nouvelle, d'affermir l'œuvre du génie et du courage par la sagesse et la persévérance, et de contraindre le temps, qui détruit tout, à tout sceller du sceau de l'immortalité.

» Sénateur, ce qui manque aux grands hommes pour mûrir de grands desseins, pour les accomplir, pour assurer toutes les destinées soumises à leur influence, c'est le temps. Prisonnier dans les étroites limites de la vie humaine, le génie peut à peine fixer ses pensées, dompter les obstacles, élever l'édifice qui doit donner à ses conceptions la vie et l'immortalité. Plus avare que la nature, votre politique, ennemie de vous-mêmes, resserrera-t-elle, étranglera-t-elle dans un espace de dix, de vingt années des projets pour lesquels la nature en eût peut-être accordé cent? Marquerez-vous un terme, un jour, unè minute au delà de laquelle tout ouvrage commencé sera délaissé, toute idée nouvellement conçue sera condamnée à l'avortement, et où la puissance même de concevoir ne deviendra qu'un stérile tourment?

» Vous cherchez quels dons vous offrirez à cet homme extra

ordinaire, quelles récompenses vous déposerez devant lui, quel monument vous éleverez pour sa gloire ! Vous ne pouvez lui faire qu'un don digne de son dévouement; c'est celui du temps nécessaire pour assurer le bonheur de la France. Donnez-lai LE SIÈCLE qui commence avec lui; qu'il le remplisse de ses œuvres, qu'il le distingue et de ceux qui l'ont précédé et de ceux qui le suivront, qu'il le sépare de tous les autres par une abondance de bonheur public, par un éclat de gloire inconnu jusqu'à lui, impossible à soutenir après Jui; que ce siècle soit la colonne qu'il sera chargé de s'ériger à lui-même, et qu'il l'élève si haut que son nom, placé au sommet, soit au-dessus de toute atteinte et de toute comparaison !

» Heureuse nation, dont les lois politiques ont tellement balancé les pouvoirs et déterminé leur intensité, qu'impuissans contre la liberté publique, suffisans pour opérer tous les genres de bien, on ne peut craindre que la brièveté de leur exercice, et n'en désirer que la durée!,

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Et quelle imagination froide aurait en effet repoussé celte douce illusion qui montrait la liberté publique encore entourée de respects', lorsque l'homme pour qui l'on sollicitait une prolongation indéfinie de pouvoir rappelait luimême le peuple à son plus cher souvenir! L'anniversaire de l'héroïque quatorze juillet revenait pour la treizième fois ; les citoyens étaient encore appelés à l'une des dernières fêtes de la révolution; et Bonaparte leur disait :

PROCLAMATION.

Fête du QUATORZE JUILLET. (25 messidor an 10.)

Français, le 14 juillet commença en 1789 les nouvelles destinées de la France! Après treize ans de travaux, le 14 juillet revient plus cher pour vous, plus auguste pour la postérité. Vous avez vaincu tous les obstacles, et vos destinées sont accomplies. Au dedans plus de têtes qui ne fléchissent sous l'empire de l'égalité ; au dehors plus d'ennemis qui menacent votre sûreté et votre indépendance, 'plus de colonie française qui ne soit soumise aux lois, sans lesquelles il ne peut exister

de colonie. Du sein de vos ports le commerce appelle votre industrie, et vous offre les richesses de l'univers ; dans l'intérieur, le génie de la République féconde tous les germes de prospérité.

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Français, que cette époque soit pour nous et pour nos enfans l'époque d'un bonheur durable! que cette paix s'embellisse par l'union des vertus, des lumières et des arts! que des institutions assorties à notre caractère environnent nos lois d'une impénétrable enceinte ! qu'une jeunesse avide d'instruction aille dans nos lycées apprendre à connaître ses devoirs et ses droits! que l'histoire de nos malheurs la garantisse des erreurs passées, et qu'elle conserve au sein de la sagesse et de la concorde cet édifice de grandeur qu'a élevé le courage des citoyens !

» Tels sont le vœu et l'espoir du gouvernement français. Secondez ses efforts, et la félicité de la France sera immortelle comme sa gloire !

Le premier consul. Signé BONAPARTE. »

Deux mois après fut célébrée la fête de la fondation de la République (1er vendémiaire an 11). Le poteau indicatif des repères du canal de l'Ourcq fut solennellement posé ; il y eut une exposition des produits de l'industrie : le premier consul porta partout l'encouragement par sa présence; mais il ne fit point de proclamation. Depuis deux mois il était consul à vie.

Les fêtes de la révolution ne tarderont pas à être totalement oubliées.

La session de l'an 11, ouverte le 2 ventose par le ministre de l'intérieur, fut en partie consacrée au Code civil. Elle se termina aux cris de guerre contre les anglais : la perfidie du cabinet de Londres avait rompu le traité d'Amiens.

Dans la session de l'an 12, ouverte le 15 nivose, et pour la dernière fois par le ministre de l'intérieur, le Corps législatif se vit définitivement p'acé sous la main du pouvoir. (V. plus loin le sénatus-consulte du 28 frimaire an 12.) Le Code civil fut achevé dans cette session.

De vastes complots, tramés à l'étranger contre toute la France dans la personne du premier consul, ont signalé la douzième année de la République. Ce n'est pas ici le lieu de s'expliquer sur tous les conspirateurs; mais il est au moins nécessaire de dire que parmi ceux qui ont succombé il n'y a pas eu une seule victime : c'est vainement que l'esprit de parti voulut en quelque sorte sanctifier Moreau ; cet illustre général avait dans la vie privée les faiblesses d'un homme ordinaire (1).

Ces trames ont servi de prétexte à la proposition d'établir le gouvernement impérial héréditaire, malheur moins grand pour la République que pour le consul: Bonaparte posait des bornes à sa gloire; un peuple peut toujours recommencer sa carrière.

La dignité impériale héréditaire n'a rencontré dans le Tribunat qu'un opposant, Carnot.

Elle a été adoptée par le Sénat conservateur à la majorité de soixante-onze membres contre trois; Grégoire, Lambrechts, Garat (2).

La majorité du peuple ne la votera point. Du sein même de l'armée s'élevera un cri d'improbation. Mais bientôt on se résignera; et pendant quelque temps une simple légende servira d'égide au pouvoir et de consolation aux citoyens; ce sont ces mots : République française. Napoléon empereur.

Poursuivrons-nous dans leurs conciliabules les fauteurs et les esclaves de ce trône? Les montrerons-nous, infidèles à leur mandat constitutionnel, trafiquant de la liberté de leur patrie, et portant à la tribune, comme des vœux spontanés, le tribut consenti d'une longue et secrète soumission? Non, ils sont Français; et d'ailleurs les publications officielles les couvriront déjà d'une assez grande honte.

1) Voyez-le surtout au 18 fructidor.

(2) Il y avait soixante-seize votans; mais on trouva deux billets blancs.

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