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devaient contenir les armes promises. On les ouvre, et on ne trouve que de vieux linges. La multitude indignée est sur le point de se porter aux plus grandes violences. Le prévôt détourne l'orage, en le dirigeant vers les Chartreux. « Là, dit-il, sont des armes. >> La foule se précipite. Les moines effrayés ouvrent toutes leurs salles elles ne contenaient ni munitions, ni fusils. Le cri de trahison court dans les rangs du peuple exaspéré qui retourne en fureur vers l'hôtel-de-ville. Pour apaiser les esprits, les nouvelles autorités annoncent la fabrication immédiate de cinquante mille piques. Mais ce peuple, qui se retire, emporte avec lui un doute et de violens soupçons contre les magistrats.

A deux heures du matin, un ramas de brigands descendit la rue Saint-Antoine; l'hôtel-de-ville touchait au moment d'être forcé par eux. « Il ne le sera pas! » répondit Legrand Saint-René qui se fait apporter six barils de poudre, et jure d'y mettre le feu. La menace suffit pour écarter l'attaque de cette bande de voleurs. La crise devenait si terrible, que les électeurs de Paris crurent devoir envoyer une députation à l'Assemblée nationale, pour la prévenir de l'état où se trouvait la capitale.

Instruits du renvoi des ministres, quelques députés du tiers s'étaient réunis le 12 au soir. Ils se trouvèrent en trop petit nombre pour délibérer, mais ils se communiquèrent leurs craintes et leurs résolutions en présence des dangers publics, encore augmentés par l'exil de M. Necker que la cour avait chassé, afin de se débarrasser d'un obstacle à ses mauvais desseins.

en

Le lendemain 15, l'assemblée se réunit; Mounier demanda la parole, proposa une adresse et une députation au roi, pour le supplier de rappeler les ministres, lui exposant tous les dangers que peuvent produire leur renvoi et les mesures violentes dont il est accompagné. L'orateur veut encore qu'on déclare à sa majesté que

l'assemblée ne consentira jamais à une honteuse banqueroute, et qu'elle prendra les précautions nécessaires pour la prévenir, quand elle aura terminé ses travaux relatifs à la constitution du royaume.

Lally-Tolendal prit la parole. Son discours, plein de l'éloquence de l'ame, toucha vivement l'assemblée, lorsque, d'une voix émue, il dit en parlant de Necker :

« Membres des communes, qu'une sensibilité si noble précipitait au-devant de lui le jour de son dernier triomphe, ce jour où, après avoir craint de le perdre, vous crûtes qu'il vous était rendu pour plus long-temps; lorsque vous l'entouriez, lorsqu'il élevait sa voix au nom du peuple, vous semblait-il un chef de parti, vous disait-il autre chose que de vous confier au roi, de chérir le roi ?

« Et sa retraite, messieurs, sa retraite, avant-hier, at-elle été celle d'un factieux? >>

Le comte de Virieu voulait que, par de nouveaux actes, l'Assemblée nationale confirmât ses arrêtés des 17, 20 et 23 juin. Grégoire fit entendre une voix noble et sévère. Guillotin redemanda la garde bourgeoise. Enfin, ni SaintFargeau, ni Chapelier, ni Barnave, ne manquèrent à la chose publique au milieu de cet orage. Tout à coup une lettre arriva de Paris, contenant la relation des malheurs survenus dans la capitale. A cette lecture, tous les députés pleurèrent et s'indignèrent à la fois : « Ne perdons pas de temps, s'écria le duc d'Aiguillon, hâtons-nous; quand le sang coule, ce n'est pas un discours bien arrangé qu'il nous faut, mais une députation au roi et à Paris. Et toutes les provinces, ajoute M. de Custine, doivent aujourd'hui partager l'honneur et le péril de la députation à la capitale. » Pendant que l'archevêque de Vienne était chez le roi, avec les députés chargés de l'accompagner, tandis qu'on choisissait les membres de l'assemblée qui devaient porter au peuple de Paris des paroles de confiance et de paix, deux électeurs de cette ville entrèrent au sein de

l'assemblée pour y faire l'exposé des scènes déplorables et sanglantes qui venaient de se passer sous leurs yeux. Au moment où on allait les entendre, la députation, de retour du château, vint répéter à l'assemblée la réponse du roi, conçue en ces termes :

« Je vous ai fait connaître mes intentions sur les mesures que les désordres de Paris m'ont forcé de prendre. C'est à moi seul à juger de la nécessité, et je ne puis à cet égard apporter aucun changement. Quelques villes se gardent elles-mêmes; mais l'étendue de Paris ne permet pas une surveillance de ce genre. Je ne doute pas de la pureté des motifs qui vous portent à m'offrir vos soins dans cette affligeante circonstance; mais votre présence à Paris ne ferait aucun bien : elle est nécessaire ici pour l'accélération des importans travaux, dont je ne cesserai de vous recommander la suite. >>

Nous le demandons aux hommes raisonnables, quel nom donner à la conduite du roi? La guerre civile désole la ville bien-aimée de Henri IV; tout est en désordre; des troupes l'entourent de toutes parts; des brigands cherchent à la dévaster! Et voilà tout ce qu'un roi qui se prétend un père, a trouvé dans son ame pour plaindre et sauver ses sujets, ses enfans!

A peine cette fatale réponse est-elle connue, que l'assemblée, qui savait heure par heure toutes les menées de la cour, et ce dont est capable le pouvoir en démence, prit l'arrêté suivant :

« Il a été rendu compte, par les députés, envoyés au roi, de la réponse faite par sa majesté.

<«< Sur quoi, l'Assemblée nationale, interprète des sentimens de la nation, déclare que M. Necker, ainsi que les autres ministres qui viennent d'être éloignés, emportent avec eux son estime et ses regrets.

« Déclare qu'effrayée des suites funestes que peut entraîner la réponse au roi, elle ne cessera d'insister sur l'éloi

gnement des troupes, extraordinairement assemblées près de Paris et de Versailles, et sur l'établissement des gardes bourgeoises.

« Déclare de nouveau qu'il ne peut exister d'intermédiaire entre le roi et l'Assemblée nationale.

« Déclare que les ministres et les agens civils et militaires de l'autorité sont responsables de toute entreprise contraire aux droits de la nation et aux décrets de l'assemblée.

« Déclare que les ministres actuels et les conseillers de sa majesté, quelque état et quelque rang qu'ils puissent avoir, sont personnellement responsables des malheurs présens et de tous ceux qui peuvent suivre.

« Déclare que, la dette publique ayant été mise sous la garde de l'honneur et de la loyauté française, que la nation ne refusant pas d'en payer les intérêts, nul pouvoir n'a le droit de prononcer l'infâme mot de banqueroute, sous quelque forme et dénomination que ce puisse être.

Enfin, l'Assemblée nationale déclare qu'elle persiste dans ses précédens arrêtés, notamment dans ceux des 17, 20 et 23 juin dernier. La présente délibération sera remise au roi par le président, publiée par la voix de l'impression, et adressée par ordre de l'assemblée à M. Necker et aux ministres que la nation vient de perdre.

L'archevêque de Vienne, accablé par l'âge et par une fatigue excessive, avait dû se retirer du bureau. Lafayette occupait le fauteuil pendant que l'assemblée rendait cette délibération mémorable. La destinée de cet homme dévoué au culte de la liberté, est de figurer partout où il se passe quelque grand événement qui la proclame ou la consacre.

On ne peut qu'admirer ici la prudence et la fermeté des mandataires de la France; justement mécontens de la fallacieuse réponse du roi, ils le respectent, mais ils s'élèvent contre les conseillers de la couronne et osent

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les menacer de l'avenir; ils sentent que les mesures mêmes qui se préparent ne peuvent que conduire à la banqueroute, et ils mettent la dette publique sous la sauvegarde de l'honneur national; ils se trouvent environnés de troupes étrangères amenées pour renverser la liberté naissante, et ils embrassent hautement sa défense. Sans autres armes que des paroles et des décrets, incapables de craintes et décidés à tout éprouver, ils attendaient sur leurs chaises curules les soldats du despotisme.

Mais on n'eût pas impunément attenté au caractère sacré des mandataires de la France; en apprenant leur magnanime opposition, le peuple de Paris avait juré de les défendre; la garde nationale était prête à les recevoir sous l'abri de ses drapeaux, et à offrir, non pas un Jeu de Paume, mais un temple à leurs délibérations. Cette garde achevait de s'organiser pour être prête à tout ce que la patrie demanderait d'elle. Sur le refus du duc d'Aumont, les électeurs avaient nommé le marquis de La Salle commandant de l'armée parisienne.

Pendant ce temps, la ville entière est dans une agitation extraordinaire; chacun prend conseil de son zèle ou de la nécessité. Tout le monde commande, tout le monde obéit. Le garde-meuble est forcé, on s'empare des armes antiques ; le casque et l'armure de l'homme de fer de la féodalité vont être utiles à la vengeance populaire. L'épée de Henri IV est baisée avec respect; entre des mains roturières, elle va servir contre le despotisme de l'un de ses descendans! Il n'a fallu que deux jours à Paris pour se mettre en état de se défendre contre les fureurs de la cour! L'orage approche, grossit, la mer monte; à demain l'irruption !

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