De Flesselles. roi à l'Assemblée nationale. — Bailly, maire de Paris. — Lafayette, général, commandant la garde nationale. Première émigration. —Le roi vient à Paris.—Malheurs de Saint-Germain et de Poissy. Mort de Foulon et de Berthier. Du secret des lettres. Création du comité des recherches.—Retour de Necker.-Troubles dans les provinces. —Séance du 4 au 5 août. Nous avons vu le malheureux Louis XVI conduit de faute en faute à la nécessité de convoquer les Etats-Généraux. Bientôt il se repent de cette résolution, il recourt à de misérables ruses; il veut embarrasser l'assemblée et la réduire à l'impuissance de faire le bien; la déception ne lui réussit pas tout le monde pénètre sa politique, elle paraît au grand jour ; alors les courtisans, qui l'entraînent et le dominent depuis son avénement au trône, le poussent à employer la force pour dissoudre l'Assemblée nationale qu'il désespère de soumettre à ses volontés. Voilà le prince en face d'une révolution ; que vont faire ces courtisans à la parole superbe et menaçante qui ne donnaient que des conseils violens! Aucun d'eux ne se présente avec une force puisée dans le caractère ou le talent; aucun n'est prêt à conjurer le péril ou à l'affronter. Louis manque d'audace pour se mettre à la tête de l'armée avec laquelle il voudrait reprendre l'autorité ab solue. Pas un homme de tête qui sache le remplacer, lui faire même violence pour le sauver, et imposer au peuple par une de ces résolutions sagement téméraires qui décident souvent la fortune. Le vieux maréchal de Broglie n'a pas l'étoffe d'un pareil rôle ; Bezenval, plus hardi peut-être, n'ose faire entrer les troupes dans la capitale : il doute de leur fidélité, et attend des ordres de Versailles, où l'on s'aveugle au point de regarder trois cent mille insurgés comme un attroupement. Cependant l'insurrection augmentait en force et en audace. Mais les armes livrées par la ville ou saisies chez les armuriers n'étaient qu'une bien faible ressource: cinquante mille piques sont forgées en trente-six heures; tous les fusils se réparent; le plomb bout dans les chaudières et se transforme en balles; des faux tranchantes, des lames acérées sont fixées au bout de longues perches; des haches aiguisées, de lourdes massues arment des bras nerveux ; les femmes du peuple elles-mêmes portent quelques instrumens de destruction; des batteries s'élèvent devant les postes les plus exposés à l'attaque et les plus favorables à la défense. Dans les rues, dans les promenades, sur les places publiques, de vieux officiers, des soldats aux trois chevrons qui ont repris le harnais, des jeunes gens animés de la plus belliqueuse ardeur; une foule de citoyens courant des districts à l'hôtel-de-ville et de l'hôtel-de-ville aux districts; les clameurs du peuple qui s'offre à tous les périls avec ce courage impétueux qui lui est propre; dans toutes les assemblées, le tumulte, la méfiance, le courage, les propositions multipliées, les inspirations du dévouement; au Palais-Royal, les motions les plus violentes, mais toutes tendant au salut commun: des orateurs, montés sur des chaises ou sur des tables, enflammant par des harangues de feu les auditeurs qui se pressent autour d'eux, et se répandent ensuite dans la ville comme la lave d'un volcan: voilà Paris. Cependant une foule immense obstrue toutes les avenues de l'hôtel-de-ville, et demande à grands cris des munitions et des armes. Tout à coup un long cri d'épouvante parcourt cette multitude. Royal-Allemand est à la barrière du Trône! il sabre tout ce qui se trouve sur son passage! Ces fausses rumeurs soulèvent des cris de rage et de vengeance. Le comité central ordonne à chaque district de sonner partout l'alarme, de dépaver les rues, de creuser des fossés, de former des barricades, d'opposer enfin tous les obstacles que le zèle et le patriotisme sont capables d'inventer et de mettre en usage. L'hôtel-de-ville, où viennent aboutir toutes les nouvelles, toutes les informations, toutes les résolutions, tous les besoins, toutes les alarmes, ressemble à une place assiégée par une foule de citoyens qui paraissent monter à l'assaut; mais, pour parvenir jusque dans la place, il faut traverser la masse du peuple semblable à une mer orageuse dont les flots tonrbillonnent en sens contraire. Du sein de ce peuple sortait à tout moment le cri: Des armes! des armes! Le prévôt des marchands, Flesselles, par une imprudence inexplicable, prodiguait des promesses sans effet qui ne servaient qu'à irriter les esprits. Le malheureux jouait sa vie, sans le savoir, par ces imprudentes déceptions. Enfin les électeurs, ne sachant plus comment satisfaire un peuple trompé qui pouvait s'exaspérer jusqu'à la fureur, envoyèrent M. Ethis de Corny qui vint, du haut du perron de l'hôtel-de-ville, annoncer l'ordre qu'il avait reçu d'aller demander des armes aux Invalides. Il part; trente mille hommes le suivent: tout Paris s'élance après eux. On arrive, on s'adresse à M. de Sombreuil, gouverneur de l'hôtel. Fidèle à son devoir et à l'honneur militaire, il répond par un courageux refus aux instances et aux cris de la multitude. Tandis que l'on parlemente avec lui, quelques Parisiens pénètrent dans l'hôtel, et ouvrent les portes à la foule qui s'élance comme un torrent. Elle cherche, avide et em pressée; elle parconrt les salles dans tous les sens : toujours point de fusils! Un cri de joie retentit sous les voûtes de l'église! Un hasard heureux vient de faire découvrir le lieu où la prudence du gouverneur avait caché le dépôt remis à sa garde. On enlève les armes, on se les dispute dans le souterrain obscur où elles sont enfouies; on fouille même le dôme de l'église, qui présente de nouvelles découvertes vingt mille mousquets sont conquis, ainsi que vingt canons, et la multitude se retire victorieuse, en respectant toutefois la fermeté de Sombreuil qui n'avait pas voulu remettre les clefs de la place que lui avait confiées le roi. Au milieu des plus grands emportemens, on rencontre avec joie des preuves de l'ascendant des belles actions sur le cœur du peuple: il peut tout briser dans son aveugle fureur, et tout à coup il s'arrête devant un acte d'héroïsme et de vertu. On revenait à la Grêve avec l'artillerie des Invalides. Au même instant un homme, envoyé par le district SaintAntoine, accourt annoncer aux électeurs et aux citoyens que les canons de la Bastille paraissent aux embrasures et tournés contre le faubourg dont les barrières sont menacées par les hussards, et que déjà un peuple immense entoure la forteresse et veut en faire le siége. Thuriot, qui parlait ainsi, avait pénétré dans la Bastille et reçu de M. De Launay la promesse que ses troupes ne feraient feu que dans le cas d'une attaque. L'agitation causée par ces nouvelles durait encore, lorsqu'une rumeur se fit entendre ; un coup de canon lui succéda, et presque aussitôt on vit paraître des blessés que l'on apportait à l'hôtel-de-ville. Les Parisiens avaient voulu la Bastille, et l'avaient attaquée sans consulter la gravité du danger. De mauvaises nouvelles circulaient dans le peuple. Le gouverneur De Launay, disait-on, est un traître et un perfide; il a fait baisser le pont-levis, et les imprudens qui ont osé entrer dans la la première cour ont été mitraillés; que les chaînes du pont ayant été brisées par quelques-uns des assiégeans, le gouverneur avait employé la force pour refouler cette multitude en dehors de la nouvelle enceinte. Trois députations envoyées par l'assemblée siégeant à l'hôtel-de ville accourent, traversent le peuple qui se bat avec fureur. Pendant long-temps leur drapeau parlementaire n'est pas aperçu par de Launay; enfin il le voit un instant le feu cesse de part et d'autre. Mais nul moyen de se parler et de s'entendre au milieu du bruit et de la confusion générale. Quelques mots sont à peine échangés, que des coups de fusils partent de différens côtés; des hommes du peuple tombent blessés à côté des députés. C'en est fait, plus de trève possible! On fait avancer des pièces de canon; des gardes françaises accourus régularisent l'attaque. Il faut forcer la seconde enceinte on adosse au second pont trois charrettes de paille, auxquelles on met le feu. La fumée épaisse qui s'élève favorise les assaillans. Les chaînes sont brisées par Elie, officier au régiment de la Reine, et par Réole, marchand mercier, Hullin et Maillard. La deuxième cour se trouve envahie. Clouet, régisseur de la forteresse, ne doit la vie qu'au dévouement de deux hommes du peuple, Cholet et de Sandray. Une jeune fille, belle et toute tremblante, tombe entre les mains des assiégeans. C'est la fille de de Launay ! s'écrie-t-on. Qu'il rende le fort, ou nous allons la brûler!......... Le sacrifice horrible est près de se consommer, lorsque Aubin Bonnemère, indigné, enlève mademoiselle de Montsigny du milieu de la foule, la dépose en lieu sûr, et revole au combat. Une porte et une enceinte restaient encore à forcer. De Launay, dont le courage et la triste position méritent l'estime et la pitié, court aux poudres, veut faire sauter la forteresse et engloutir sous les débris de la Bastille les invalides qui n'ont pu la défendre et cette foule innombrable qui presse et entoure la redoutable citadelle. Des officiers |