delle, n'y enleva pas une riche dépouille. Un capitaine de la garde nationale, nommé Pertrand, qui était entré, les armes à la main, dans la forteresse, ayant trouvé une somme de six cent mille francs en billets de la caisse d'escompte, courut la déposer à l'hôtel-de-ville. Assez heureux pour retrouver le propriétaire de cette somme, il lui rendit sa fortune, et ne voulut accepter qu'une épée d'or. Rien de plus lugubre que l'aspect de l'intérieur de la forteresse avec ses murs noircis par le temps, avec ses cachots béans où le jour pénétrait à peine. Toutes les portes sont enfoncées, toutes les chaînes sont brisées ; les meubles, les livres, les registres, les archives, dispersés sur la terre, brûlent lentement et remplissent l'intérieur d'une épaisse fumée. La foule assiége les escaliers, escalade les hauteurs, s'empare des canons, en poussant des cris de joie qui font retentir les airs et sont répétés par le peuple entier du courageux faubourg. La nuit qui suivit la prise du boulevard de la tyrannie fut pleine d'inquiétudes. Tous les premiers étages se trouvèrent subitement illuminés. Les femmes, les vieillards, des enfans veillaient pour la garde de leurs foyers, tandis que les citoyens, réunis sur les quais et dans les places publiques, se préparaient à voler aux lieux menacés; car on s'attendait sans cesse à être attaqué sur plusieurs points. Cependant une sombre terreur agite la multitude sans ébranler son courage. Le tocsin sonne l'insurrection dans toutes les paroisses. Le bruit lugubre de la cloche fatale qui n'est interrompu que par le fracas du canon d'alarme semble annoncer à tout moment le péril et la mort. Des voix lentes et lugubres ne cessent de crier dans tous les quartiers : « Citoyens! l'ennemi est aux portes, veillez! ne laissez pas éteindre vos lampions! ne soyons pas surpris dans l'obscurité ! » Pendant que la Bastille tombe sous le bélier populaire et que Paris fermente, pendant que les magistrats et les citoyens agissent et consultent, l'Assemblée nationale environnée de troupes étrangères, délibère avec un calme plein de courage et de dignité; elle ne sait encore que la prise des Invadides et le siége de la Bastille. Le jour succède à une nuit qui n'a été qu'une veille douloureuse; l'inquiétude augmente d'heure en heure. Enfin deux membres de l'assemblée, parvenus avec peine jusqu'à Versailles, annoncent que Paris est insurgé, que le sang coule. Bientôt des députations de l'hôtel-de-ville sont introduites: on se presse pour les entendre raconter la grande et subite insurrection. Profondément émue de ce récit, l'assemblée nomme quatre-vingt de ses membres pour demander au roi de révoquer les fatales mesures qu'on lui a fait prendre : c'est la troisième fois que l'assemblée lui adresse cette prière. La députation va partir, quand Mirabeau, qui sait qu'il faut tonner à l'oreille des rois pour faire entrer la vérité dans leurs cœurs, s'écrie : << Dites-lui que les hordes étrangères dont nous sommes investis ont reçu hier la visite des princes, des princesses, des favoris, des favorites, et leurs caresses et leurs exhortations et leurs présens! Dites-lui que, toute la nuit, des satellites étrangers, gorgés d'or et de vin, ont prédit, dans leurs chants impies, l'asservissement de la France, et que leurs vœux brutaux invoquaient la destruction de l'Assemblée nationale. Dites-lui que, dans son palais même, les courtisans ont mêlé leurs danses au son de cette musique impic, et que telle fut l'avant-scène de la Saint-Barthélemy. << Dites-lui que ce Henri, dont l'univers bénit la mémoire, celui de ses aïeux qu'il voulait prendre pour modèle, faisait passer des vivres dans Paris révolté qu'il assiégeait en personne, et que ses féroces conseillers font rebrousser les farines que le commerce apportait dans Paris fidèle et affamé! » C'était le 15 au matin, la députation allait sortir de la salle; M. le duc de Liancourt entre et annonce l'arrivée du roi. , La veille, à dix heures dusoir, on ignorait encore à la cour les événemens de la journée. La postérité pourra-t-elle le croire ? Ce fut le duc de Larochefoucault-Liancourt qui, le premier, en informa le roi. Il dormait si profondément, qu'on eut peine à l'éveiller. Le volcan jetait des flammes et personne n'avait osé dire au monarque menacé : La lave approche ! Berthier, intendant de Paris, seul avait annoncé l'invasion de l'hôtel des Invalides et l'attaque projetée contre la Bastille. Lorsque M. de Liancourt eut achevé son terrible récit, lorsqu'il eut raconté la défection des gardes, la prise de la forteresse, les massacres qui l'avaient suivie, et la formation d'une armée de plus de cent mille citoyens : « C'est donc une révolte! dit le roi, après quelques momens de silence. - Non, Sire, lui répondit le duc, c'est une révolution. » Comprenant l'énormité de la faute qu'on lui avait fait commettre, l'impuissance où il se trouvait de résister à l'insurrection, le roi refusa de céder aux conseils de Broglie qui l'engageait à se retirer avec les troupes et à entraîner l'assemblée avec lui. Empressé d'arrêter les massacres qui ensanglantaient la capitale et de prévenir de plus grands dangers, il résolut d'éloigner les soldats. Accompagné des deux princes ses frères, dont l'un était bien coupable, il se rendit à pied, sans suite, sans escorte, au sein de la représentation nationale. A l'annonce de l'approche du roi, des applaudissemens éclatèrent dans plusieurs bancs de l'assemblée. « Attendez, s'écrie Mirabeau, que le roi nous ait fait connaître les bonnes dispositions qu'on nous annonce de sa part; qu'un morne respect soit le premier accueil fait au monarque dans ce moment de douleur. Le silence des peuples est la leçon des rois. Louis XVI entra, et, debout, découvert, sans cérémonial, ne voulut pas même faire usage d'un fauteuil placé pour lui sur une estrade; puis, facile à changer de rôle et de langage comme les princes de sa race, il prononça ces paroles avec une dignité toute paternelle : << Messieurs, « Je vous ai assemblés pour vous consulter sur les affaires les plus importantes de l'état. Il n'en est pas de plus instante et qui affecte plus sincèrement mon cœur que les désordres affreux qui règnent dans la capitale. Le chef de la nation vient avec confiance au milieu de ses représentans leur témoigner sa peine et les inviter à trouver les moyens de ramener l'ordre et le calme. Je sais qu'on a donné d'injustes préventions; je sais qu'on a osé publier que vos personnes n'étaient pas en sûreté. Serait-il donc nécessaire de vous rassurer sur des bruits aussi coupables, démentis d'avance par mon caractère connu? Eh bien, c'est moi qui ne suis qu'un avec ma nation, c'est moi qui me fie à vous! Aidez-moi dans cette circonstance à assurer le salut de l'état. Je l'attends de l'Assemblée nationale. Le zèle des représentans de mon peuple, réunis pour le salut commun, m'en est un sûr garant; et, comptant sur l'amour et la fidélité de mes sujets, j'ai donné l'ordre aux troupes de s'éloigner de Paris et de Versailles. Je vous autorise et vous invite même à faire connaître mes dispositions à la capitale. >> Le président répondit à ce discours avec dignité; il remercia le roi des paroles de paix qu'il apportait à la nation, et lui renouvela, au nom de l'assemblée, la demande d'une communication, toujours libre et immédiate, entre sa personne et les représentans de la France. « La communication, répondit le monarque, sera toujours libre, et je ne refuserai jamais de vous entendre. >>> Le roi sortit; tous les députés, sans s'être concertés le suivirent au milieu d'une foule immense qui ne faisait entendre que des cris de vive le roi! des bénédictions et des vœux pour lui. Ce fut ainsi que le cortége arriva au château. L'enthousiasme redoubla lorsqu'on vit la reine au balcon, tenant son fils entre ses bras. Le peuple la salua par des acclamations, tandis que le roi et les députés, dans la chapelle du château, rendaient grâces à Dieu de la fin d'une crise qui avait menacé et le pays et la royauté. Jamais fête ne fut plus simple et plus touchante. En voyant le roi entouré avec amour par les représentans du peuple, la multitude disait : « Il ne lui faut pas d'autres gardes. » L'archevêque de Vienne observait à sa majesté que le chemin était long et pénible. Louis XVI, en montrant sa nouvelle escorte, répondit: Il n'est pas fatigant! N'est-ce pas une chose digne de remarque que la facilité avec laquelle la nation confiante se rapprochait toujours de son roi que des conseillers perfides tendaient toujours à séparer de la France! Pourquoi les a-t-il écoutés au lieu de se jeter à jamais dans les bras d'un peuple, qui lui criait sans cesse: Venez à nous et ne nous quittons plus !... Toutes les inquiétudes n'étaient pourtant pas dissipées. On ne savait pas encore si les ministres se retireraient. Les députés avaient résolu, à l'unanimité des suffrages, de demander le renvoi de ces dangereux conseillers et le rappel de M. Necker. Cette délibération venait d'être terminée, lorsque M. l'archevêque de Vienne, qui apparaissait toujours comme un messager de paix, vint apporter à ses collègues une lettre du roi au ministre redemandé par l'opinion. L'assemblée, vivement touchée de cette heureuse nouvelle, résolut de s'unir au prince et de transmettre à l'illustre exilé une pressante invitation de revenir promptement au timon des affaires. Après la révélation des grands événemens de la capitale., dans la journée du 14 juillet, la cour s'était trouvée partagée d'opinion. La reine, le comte d'Artois, les Polignacs et autres voulaient que l'on se mît sous la protection des troupes et que l'on continuât la guerre civile. Le roi, toujours enclin aux délais et aux demi-mesures, s'était re |