Pendant la nuit, des bandes de voleurs, écume de toutes les grandes villes, sortent de leurs repaires, se répandent dans Paris et dans ses faubourgs, mettent le feu en différens endroits, et dévastent plusieurs maisons. Tout était confusion, point d'autorités; point d'ordres; une terreur profonde, solennelle, plane sur cette immense cité qui a cent mille de ses enfans prêts à la défendre, mais pas une tête pour les commander. Le lendemain, au lever du jour, le peuple est à l'hôtelde-ville; il veut des armes. Les électeurs réunis lui répondent qu'ils n'en ont pas, qu'il faut s'adresser au prévôt des marchands et aux échevins. M. de Flesselles, leur chef, ne veut venir que sur une invitation générale des électeurs. Il la reçoit, obéit, et la foule l'accueille avec transport. Les drapeaux de la ville qui avaient été pris pendant la nuit, sont rapportés et placés en trophée à côté d'un buste de Lafayette, envoyé par les Etats-Unis à la ville de Paris. En voyant l'image de l'ami de Washington, quelques citoyens, saisis d'une inspiration soudaine, s'écrient qu'il faut déférer à M. de Lafayette le commandement de la garde nationale. Des tambours dans les différens quartiers appellent le peuple aux armes : il se rassemble sur les places, dans les jardins; il se forme en troupes qui bientôt prirent des noms particuliers; les unes furent appelées volontaires du Palais-Royal, d'autres volontaires des Tuileries, de la Basoche, de l'Arquebuse, etc. En haine du comte d'Artois, dont la livrée était verte, on se hâte de déposer les premières cocardes pour y substituer les couleurs de Paris, rouges et bleues. Les Parisiens avaient des armes; celles de l'hôtel-de-ville leur avaient été livrées au moment où ils enfonçaient les portes pour s'en emparer. Mais la poudre manquait ; le hasard en fait découvrir cinq milliers chargés sur un bateau, et qui allaient sortir de Paris. Ils sont arrêtés, saisis, déposés dans une salle basse de l'hôtel-de-ville, où l'abbé Lefèvre les distribue au milieu des plus grands périls, et d'un tumulte difficile à décrire. Les drapeaux de la ville sont déployés, on fait des décharges de canons pour tenir les citoyens en alerte, on établit des tranchées, des barricades dans les faubourgs, ainsi que dans quelques rues du centre; on poste partout des corps-de-garde; en moins de trente-six heures Paris présente l'image d'une ville de guerre. Cent mille citoyens se nomment des commandans, s'organisent en bataillons qui se dévouent pour veiller à la tranquillité publique. Les gardes françaises viennent aussi, au nombre de trois mille, se ranger autour de l'assemblée des électeurs, et jurent de mourir pour la patrie. Leurs chefs voulaient les entraîner dans la plaine Saint-Denis, c'était les envoyer à la boucherie; ils refusèrent, aimant mieux, disaientils, verser utilement leur sang, s'il le fallait, que d'aller se livrer, sans aucune chance de succès, à la fureur des troupes étrangères, pourvues de tous les moyens de défense, et redoutables encore par la supériorité du nombre. Non-seulement la cour avait résolu de tout soumettre par la force, mais elle employait encore un moyen odieux dont la découverte ne pouvait qu'enflammer les esprits. Des citoyens surprirent un convoi de farines que l'on faisait sortir de Paris au moment où le peuple manquait de pain. On a donné, pour prétexte à cet enlèvement, la nécessité de nourrir les troupes chassées de Paris ; mais alors quel défaut d'habileté ou quelle imprudence de s'exposer à rassembler des troupes sans avoir d'autre moyen de les approvisionner que celui de diminuer les subsistances déjà insuffisantes de la capitale! Flesselles avait promis douze mille fusils, pour lesquels il prétendait avoir passé un marché avec M. de Pressoles, intéressé dans la manufacture de Charleville. Le soir, on apporté des caisses sur lesquelles était écrit artillerie, et qui devaient contenir les armes promises. On les ouvre, et on ne trouve que de vieux linges. La multitude indignée est sur le point de se porter aux plus grandes violences. Le prévôt détourne l'orage, en le dirigeant vers les Chartreux. « Là, dit-il, sont des armes. >>> La foule se précipite. Les moines effrayés ouvrent toutes leurs salles: elles ne contenaient ni munitions, ni fusils. Le cri de trahison court dans les rangs du peuple exaspéré qui retourne en fureur vers l'hôtel-de-ville. Pour apaiser les esprits, les nouvelles autorités annoncent la fabrication immédiate de cinquante mille piques. Mais ce peuple, qui se retire, emporte avec lui un doute et de violens soupçons contre les magistrats. A deux heures du matin, un ramas de brigands descendit la rue Saint-Antoine; l'hôtel-de-ville touchait au moment d'être forcé par eux. « Il ne le sera pas ! » répondit Legrand Saint-René qui se fait apporter six barils de poudre, et jure d'y mettre le feu. La menace suffit pour écarter l'attaque de cette bande de voleurs. La crise devenait si terrible, que les électeurs de Paris crurent devoir envoyer une députation à l'Assemblée nationale, pour la prévenir de l'état où se trouvait la capitale. Instruits du renvoi des ministres, quelques députés du tiers s'étaient réunis le 12 au soir. Ils se trouvèrent en trop petit nombre pour délibérer, mais ils se communiquèrent leurs craintes et leurs résolutions en présence des dangers publics, encore augmentés par l'exil de M. Necker que la cour avait chassé, afin de se débarrasser d'un obstacle à ses mauvais desseins. Le lendemain 13, l'assemblée se réunit; Mounier demanda la parole, proposa une adresse et une députation au roi, pour le supplier de rappeler les ministres, en lui exposant tous les dangers que peuvent produire leur renvoi et les mesures violentes dont il est accompagné. L'orateur veut encore qu'on déclare à sa majesté que l'assemblée ne consentira jamais à une honteuse banqueroute, et qu'elle prendra les précautions nécessaires pour la prévenir, quand elle aura terminé ses travaux relatifs à la constitution du royaume. Lally-Tolendal prit la parole. Son discours, plein de l'éloquence de l'ame, toucha vivement l'assemblée, lorsque, d'une voix émue, il dit en parlant de Necker : << Membres des communes, qu'une sensibilité si noble précipitait au-devant de lui le jour de son dernier triomphe, ce jour où, après avoir craint de le perdre, vous crûtes qu'il vous était rendu pour plus long-temps; lorsque vous l'entouriez, lorsqu'il élevait sa voix au nom du peuple, vous semblait-il un chef de parti, vous disait-il autre chose que de vous confier au roi, de chérir le roi? << Et sa retraite, messieurs, sa retraite, avant-hier, at-elle été celle d'un factieux? » Le comte de Virieu voulait que, par de nouveaux actes, l'Assemblée nationale confirmât ses arrêtés des 17, 20 et 23 juin. Grégoire fit entendre une voix noble et sévère. Guillotin redemanda la garde bourgeoise. Enfin, ni SaintFargeau, ni Chapelier, ni Barnave, ne manquèrent à la chose publique au milieu de cet orage. Tout à coup une lettre arriva de Paris, contenant la relation des malheurs survenus dans la capitale. A cette lecture, tous les députés pleurèrent et s'indignèrent à la fois : « Ne perdons pas de temps, s'écria le duc d'Aiguillon, hâtons-nous; quand le sang coule, ce n'est pas un discours bien arrangé qu'il nous faut, mais une députation au roi et à Paris. Et toutes les provinces, ajoute M. de Custine, doivent aujourd'hui partager l'honneur et le péril de la députation à la capitale. » Pendant que l'archevêque de Vienne était chez le roi, avec les députés chargés de l'accompagner, tandis qu'on choisissait les membres de l'assemblée qui devaient porter au peuple de Paris des paroles de confiance et de paix, deux électeurs de cette ville entrèrent au sein de l'assemblée pour y faire l'exposé des scènes déplorables et sanglantes qui venaient de se passer sous leurs yeux. Au moment où on allait les entendre, la députation, de retour du château, vint répéter à l'assemblée la réponse du roi, conçue en ces termes : « Je vous ai fait connaître mes intentions sur les mesures que les désordres de Paris m'ont forcé de prendre. C'est à moi seul à juger de la nécessité, et je ne puis à cet égard apporter aucun changement. Quelques villes se gardent elles-mêmes; mais l'étendue de Paris ne permet pas une surveillance de ce genre. Je ne doute pas de la pureté des motifs qui vous portent à m'offrir vos soins dans cette affligeante circonstance; mais votre présence à Paris ne ferait aucun bien: elle est nécessaire ici pour l'accélération des importans travaux, dont je ne cesserai de vous recommander la suite. >>> Nous le demandons aux hommes raisonnables, quel nom donner à la conduite du roi? La guerre civile désole la ville bien-aimée de Henri IV; tout est en désordre; des troupes l'entourent de toutes parts; des brigands cherchent à la dévaster! Et voilà tout ce qu'un roi qui se prétend un père, a trouvé dans son ame pour plaindre et sauver ses sujets, ses enfans! A peine cette fatale réponse est-elle connue, que l'assemblée, qui savait heure par heure toutes les menées de la cour, et ce dont est capable le pouvoir en démence, prit l'arrêté suivant : « Il a été rendu compte, par les députés, envoyés au roi, de la réponse faite par sa majesté. << Sur quoi, l'Assemblée nationale, interprète des sentimens de la nation, déclare que M. Necker, ainsi que les autres ministres qui viennent d'être éloignés, emportent avec eux son estime et ses regrets. << Déclare qu'effrayée des suites funestes que peut entraîner la réponse au roi, elle ne cessera d'insister sur l'éloi |