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Des acclamations universelles accueillirent cette proposition; l'assemblée arrêta de se rendre en députation auprès du roi, pour lui porter son hommage et le titre de restau rateur de la liberté française. Les cris de vive le roi! les transports de l'allégresse générale, multipliés sous toutes les formes, les félicitations mutuelles des députés et du peuple terminèrent cette séance, non moins décisive que le serment du Jeu de Paumé et la journée du 14 juillet.

Voici l'ensemble des mesures adoptées par l'assemblée dans la nuit du 4 août :

L'abolition de la qualité de serf et de main-morte, sous quelque dénomination qu'elle existe

Faculté de rembourser les droits seigneuriaux.
Abolition des juridictions seigneuriales.

Suppression du droit exclusif de chasse, des colombiers et des garennes.

Taxe représentative en argent de la dime. Suppression ou rachat possible de toutes les dimes, de quelque espèce que ce soit.

Abolition de tous les priviléges et immunités pécuniaires.

Egalité des impôts, de quelque espèce que ce soit.

Admission de tous les citoyens aux emplois civils et

militaires.

Déclaration de l'établissement prochain d'une justice gratuite et de la suppression de la vénalité des offices. Abandon du privilége particulier des provinces et des villes.

Abandon des priviléges de plusieurs villes, Paris, Lyon, Bordeaux, etc.

Suppression du droit de déport et vacat des annates, de la pluralité des bénéfices.

Destruction des pensions obtenues sans titre.

Réformation des jurandes.

Une médaille frappée pour éterniser la mémoire de ce jour.

Un Te Deum solennel et l'Assemblée nationale en députation auprès du roi pour lui porter l'hommage de l'assemblée et le titre de restaurateur de la liberté française, avec prière d'assister personnellement au Te Deum.

Tous ces principes avaient été adoptés dans un élan d'enthousiasme et de générosité; les regrets survinrent. Le temps apporta d'autres conseils : plus d'un député aurait voulu reprendre le lendemain ce qu'il avait accordé la veille, et ce ne fut qu'après de longues discussions, dont nous allons rendre compte, que l'on vit enfin transformer en décret des propositions irrévocables et sanctionnées d'avance par l'opinion.

CHAPITRE VI

Finances. Suppression de la dime. - Résolutions décrétées dans la nuit du 4 au 5 août. - Famine. - Droits de l'homme.-Partis dans l'assemblée. - Véto. Succession à la couronne. Sanction royale non entière. - Emprunt de confiance. - Repas des gardesdu-corps. - Evénemens des 5 et 6 octobre.

PENDANT que les représentans de la France fondaient nos libertés, de grands troubles ne cessaient d'agiter les provinces, les élémens de l'ordre tombaient en dissolution. Le peuple acceptait tous les bienfaits comme des droits reconquis, profitait avec empressement des avantages de la révolution, et refusait de se soumettre aux conditions imposées par des lois qui lui semblaient mettre des limites à ses exigences. Le 7, les ministres vinrent à l'Assemblée nationale; le garde des sceaux, leur interprète, après une peinture énergique de la situation du royaume, finit par demander à l'assemblée d'accorder au gouvernement les moyens de défendre la propriété et la sûreté publiques partout violées. A ce tableau déjà si sombre succéda le rapport de M. Necker, qui venait supplier l'assemblée de l'aider à rétablir les finances de l'état, tombées dans une espèce de ruine qui allait devenir irréparable, si l'on ne s'empressait de remédier au mal par les plus promptes et les plus énergiques mesures. Le ministre, pénétré d'une véritable affliction, proposait de voter un emprunt de trente millions.

Les discours de l'archevêque de Bordeaux et de M. Necker étaient remplis de déférence pour l'assemblée; mais une inquiétude visible tourmentait les ministres qui, au milieu des débris de tous les pouvoirs, ne savaient plus sur quoi s'appuyer. Soit ignorance, soit fol enthousiasme, plusieurs membres, entre autres Clermont-Lodève, proposèrent de voter l'emprunt par acclamation. Cette proposition ne fut point appuyée par l'assemblée. Mirabeau, ennemi juré de Necker, qui craignait le talent du tribun et le méprisait à cause de ses mœurs dépravées, réclama l'absence des ministres; ils se retirèrent. Alors s'engagea une discussion vive et prolongée : les uns soutenaient que les emprunts, plus onéreux au peuple que les autres impôts, ouvraient la porte à l'agiotage, plaie des états modernes, jeu terrible et fatal pour tout le monde, excepté pour quelques capitalistes sans entrailles; ils ajoutaient qu'aux termes formels des cahiers, les représentans du peuple n'avaient pas le droit de voter de nouveaux subsides, sous quelque forme que ce fût, avant d'avoir mis la dernière main à la constitution.

Barnave répondit à Lally-Tollendal, qui avait invoqué en faveur de l'emprunt l'honneur national, la sainteté de la foi publique, le danger de Paris et la suprême loi du salut de l'état : « Les emprunts n'ont réussi jusqu'à présent qu'à ruiner le pays.... Il est une vérité de fait, c'est que la masse des impôts ne peut être accrue : le peuple les repousse, il se refuse à leur paiement. Comment pouvezvous vous flatter qu'en les multipliant et les augmentant encore, ils seront perçus plus facilement ?

Mirabeau, reconnaissant que l'emprunt était nécesaire, mais que pourtant la lettre des mandats était impérative, dit : « Je n'hésite pas à vous proposer que l'emprunt des

trente millions actuellement nécessaires au gouvernement soit fait sur l'engagement des membres de cette assemblée, chacun pour la somme dont ses facultés permettront de se rendre responsable envers les prêteurs, somme dont nous ferons incessamment la souscription entre les mains de notre président, pour être remise à sa majesté, et servir de caution à l'emprunt de trente millions dont ses ministres demandent l'autorisation à l'assemblée!...

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<< Vous n'hésiterez pas, messieurs, à prendre le noble parti que je vous propose; et, si vous éprouvez à cet égard quelque doute, il viendra de la crainte de n'être généreux qu'en apparence, tant il y a lieu de croire que la nation se hâtera de vous relever de vos engagemens!

Mais n'avons-nous pas d'autres ressources? s'écrie le marquis de La Coste : les biens du clergé ne peuvent-ils pas servir de caution aux prêteurs? Lameth soutint l'affirmative. Mais enfin l'assemblée accorda l'emprunt sans donner de garantie, en réduisant toutefois l'intérêt à quatre et demi pour cent, sur la proposition du vicomte de Noailles et de Delaville-le-Roux : c'était créer un emprunt illusoire et faire une faute grave. La clause de l'intérêt à quatre et demi pour cent fit échouer le projet de Necker: on refusa d'acheter, parce que sur la place il y avait des fonds au même titre, avec la même garantie, et dont le taux de l'intérêt était plus élevé d'un dixième (1). On en revint à la délibération de la nuit du 4 août. Quatre articles étaient déjà convertis en décret, lorsque la discus

(1) Ce fut le 9 août, après deux jours de discussion, que l'assemblée décréta l'emprunt demandé. Les conditions propesées par le ministre étaient: 1o l'intérêt à cinq pour cent; 2o le remboursement à telle époque qui serait demandée par chaque prêteur à la tenue suivante des Etats-Généraux; 3o que ce remboursement fût placé en première ligne dans les arrangemens à prendre pour l'établissement d'une caisse d'amortissement; 4o que la liste des souscripteurs de cet emprunt patriotique fût communiquée à l'assemblée et conservée dans ses registres.

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